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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Les Immigrés dans une grève populaire Usines Peugeot ( Mulhouse – Sochaux ) Automne 1989

6 Septembre 2019 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Étrangers et immigrés

Capture d'écran Youtube

Capture d'écran Youtube

Un reportage de l'agence IM'média - 7 min. 18''– septembre 1989

Il y a tout juste trente ans, la rentrée sociale débute avec la dernière grande grève des usines Peugeot dans l'est de la France, avec pour principal mot d'ordre : " 1 500 FF pour tous ! On veut vivre, pas survivre !" En filigrane se profile une critique des nouvelles formes de production et de management disciplinaire "à la japonaise" : 

Automne 1989 : dans un contexte de reprise économique sous le gouvernement Rocard, on s'attendait à une rentrée sociale agitée due au maintien du blocage des salaires et aux restructurations au nom de la compétitivité de l'industrie française. C'est dans les usines automobiles Peugeot (PSA), à Mulhouse puis à Sochaux, que les ouvriers déclenchent une grève dès le 5 septembre. Elle va durer sept semaines. Ils manifesteront aussi à plusieurs reprises devant le siège à Paris.

Alors que le groupe PSA annonce un bénéfice de 8,8 milliards de francs en 1988 et affiche des gains de productivité supérieurs à 50 %, les grévistes dénoncent des salaires à peine au-dessus du SMIC, l'introduction de la précarité au sein même des usines avec l'embauche d'intérimaires (1 800 à Sochaux, 600 à Mulhouse), des conditions de travail qui ont empiré depuis la robotisation, les injonctions pour une meilleure « qualité » du travail par un encadrement de plus en plus dirigiste .... Bref, une forme de production "à la japonaise" avec ses nouveaux impératifs ("zéro stock", "zéro défaut") etc.

« La grève a démarré parce que dans cette entreprise, il y avait une répression énorme » déclare Nasser Messaoud, délégué CGT Peugeot-Mulhouse. Les libertés étaient bafouées. La discipline était très, très sévère ici. Et la maîtrise, elle est plutôt dirigiste. Elle dirige les hommes et s'y connait très peu en technique. C'est des gens formés pour pour diriger uniquement les hommes. »

Aux abords du site de Mulhouse, Grid Douadi arbore de multiples stickers. L'un d'entre eux proclame : « La grève pour 1500 FF c'est l'affaire de tous ». Haranguant la foule, le gréviste s'enhardit : « Calvet [le patron de PSA], très longtemps nous a dit : serrez-vous la ceinture pour aider l'entreprise. Aujourd'hui nous lui disons : après avoir partagé les pertes, partagez les bénéfices. De l'argent, il y en a ». A l'intérieur des usines en grève, entre défilés mégaphone en main et assemblées générales, c'est le même refrain, résumé par les pancartes : « Un seul mot d'ordre : augmentation des salaires ». « On veut vivre, pas survivre ! »

Ouvriers spécialisés (OS) ou professionnels (OP), hommes et femmes, jeunes ou d'âge mûr, Français et immigrés, participent à ce mouvement de grève qui, bien qu'il ne soit pas majoritaire dans l'usine, s'avère populaire et festif. Les jeunes intérimaires semblent eux, en retrait.

« Je pense qu'après les dégraissages, dit encore Nasser Messaoud, le Français a changé de mentalité vis-à-vis de l'immigré. Avec les départs, leurs postes ont été remplacés par des Français [entre 1980 et 1989, les effectifs sur le site de Peugeot-Sochaux sont passés de 40 000 à 23 000]. Dans le temps, les Français avaient plutôt tendance à croire que c'était les immigrés qui tiraient les salaires à la baisse, en assurant des postes un peu dégradants. Aujourd'hui ils se rendent comptent que ce sont des Français qui ont remplacé les immigrés qui sont partis [environ 8 500 en dix ans, dont la plupart ont été incités à accepter « l'aide au retour » au pays d'origine], et que ça n'a pas changé ni au niveau des salaires ni au niveau des classifications. Là aussi, le Français a compris que ce n'est pas seulement à l'immigré d'aller dans les conflits sociaux, que pour s'en sortir il fallait lui-même mettre la main à la pâte. »

Nasser Messaoud a encore en tête les affrontements raciaux entre grévistes et non-grévistes qui eurent lieu au début des années 1980, notamment à Talbot-Poissy en janvier 1984. « On n'a pas voulu tomber dans le piège les immigrés d'abord, les Français après. Il faut dire que là c'est une grève complètement différente, très populaire ». Farouk Khaldi, ouvrier professionnel (OP) à Peugeot-Sochaux, délégué CGT et membre de l'Union des travailleurs tunisiens en France, revient quant à lui sur l'histoire de cette mutation : « La syndicalisation a pris ici depuis 1972, mais le fort de la syndicalisation s'est fait à partir des années 1980, et lors des conflits, surtout en 1982 il y a eu une très forte mobilisation des travailleurs immigrés. A un moment donné les immigrés ont voulu créer leur propre syndicat, ce qui allait dans le sens du patronat... Il y a eu une grande discussion au sein du CAIF (Conseil des associations immigrées de France), puis nous avons opté pour rester dans les syndicats traditionnels CGT, CFDT, FO etc... Avec les conflits, comme celui-ci en tout cas, travailleurs français et immigrés nous sommes dans la même bataille, au coude à coude, pour le pouvoir d'achat ». Dyani Bouzekri, délégué FO Peugeot-Mulhouse, déclare aussi que la solution pour les immigrés, c'est d' accéder à des responsabilités. « Certains ont des compétences, sont aptes et instruits ».

Dans son élan, Grid Douadi s'enflamme lui sous les applaudissements : « Peugeot veut nous diviser, aujourd'hui on a fait l'unité. On est tous des ouvriers, on ne lâchera pas ! Et j'espère que bientôt nous serons des millions dans tout le pays ! »

Ce reportage sera le point de départ d'une série de Voyages au pays de la Peuge, qui donnera le documentaire éponyme de Samir Abdallah, Maurizio Lazzarato et Raffaele Ventura.

Contact : agence.immedia@free.fr

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