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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Contribution sur la laïcité (MRAP Menton)

10 Mars 2012 Publié dans #Laïcité, #MRAP expressions plurielles

Ces dernières années, la laïcité est devenue un axe autour duquel, en France, se sont cristallisés bien des débats jusqu’à éclipser  les autres principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité jusqu’à mettre au rencard  les exigences de justice, de dignité  ….voire le devoir d’insoumission.  La laïcité est un principe qui est énoncé aujourd’hui d’un bout à l’autre du spectre partisan, et tous les partis s’en réclament. Cet unanimisme interpelle et inquiète  tant et si bien  que lorsque l’on évoque la laïcité certains en viennent à  devoir employer des expressions comme « moi qui suis un laïque de gauche », preuve de la récupération de ce concept.


Si de façon classique, la laïcité se définit  à partir du principe de séparation des Eglises et de l’Etat comme un ensemble de droits et de devoirs au sein de l’espace public


§    Au niveau de ce qui pourrait être considéré comme celui des matérialités, il est essentiel :


-    de replacer la laïcité dans les conditions matérielles dans lesquelles elle peut se réaliser,
-     de prendre en compte  que tout citoyen est d’abord un être vivant, travaillant, inséré dans des structures de parenté et de sociabilité
-    de considérer que ces structures se matérialisent en premier lieu dans les questions du logement,  de l’école, mais de façon plus large dans les structures économiques.

En ce sens, en tant que principe de l’organisation de l’espace public, la laïcité ne peut faire l’impasse sur la division de l’espace public en une zone centrale et des zones périphériques et  sur le fait que cet espace est structuré avant tout par des rapports de production qui sont souvent un frein au développement du potentiel émancipateur de la laïcité.


Quand les conditions matérielles se dégradent, la laïcité ne cesse-t-elle pas d’être un principe actif, concret pour ne se représenter dès lors que comme un référent extérieur perçu sous son seul angle répressif et non plus émancipateur ?

§    Au niveau de  ce qui pourrait être défini comme celui des identités, il est à noter que  :


-    à bien des reprises, l’universalisme laïque s’est trouvé instrumentalisé jusqu’à rendre envisageable la question de savoir s’il était toujours indemne de toute tentation identitaire
-     La récupération de la laïcité par l’extrême droite en est la marque la plus manifeste mais qui ne doit pas faire oublier non plus que certains partis, groupes ou associations  démocratiques ont pu également participer à cette instrumentalisation.


En clair, l’universalisme laïque ne fonctionne-t-il pas dans des cas de plus en plus fréquents comme un véritable marqueur identitaire, voire même comme une machine à exclure et à discriminer renvoyant aux questions de l’imaginaire des identités, des appartenances religieuses ou non ?

Universalisme et racisme


La laïcité émancipant progressivement l’humanité, la libérant du joug théologico-politique par la seule force de ses principes rationnels et de ses idées est un mythe.
La sécularisation qui est un phénomène à l’œuvre à des degrés divers sur l’ensemble de la planète, (alors que la laïcité « à la française » n’en est qu’une forme la plus radicale) n’est pas un processus culturel autonome mais un processus indissociable du système-monde marchand qui repose à la fois sur les classes et sur les identités et qui a besoin de s’organiser à la fois  selon un système de classes sociales mais également d’appartenances.

La dynamique du capitalisme consiste à attirer les flux les plus rentables –capitaux, marchandises, êtres humains- vers le centre du système et à orienter les moins rentables vers la périphérie.


Pour que cette dynamique capitaliste puisse fonctionner, elle a besoin à la fois  d’égalité théorique et d’inégalités structurelles.


-    L’égalité théorique parce qu’il faut que les individus soient libérés des communautés et des traditions pour que rien ne s’oppose à leur mobilité garantissant la rentabilité maximum.
-     Des inégalités structurelles pour que dans le même temps les rapports inégaux  centre-périphérie ne soient pas remis en  cause et maximaliser l’accumulation du capital.

Le racisme est alors le recours le plus opérant parce qu’il permet d’ethniciser la force de travail et de justifier les rémunérations de la force de travail inférieures pour les travailleurs de la zone périphérique. Et comme l’affirment de nombreux sociologues notre société ne génère-t-elle pas à la fois de l’universalisme pour énoncer l’égalité entre les hommes et du racisme pour justifier leur inégalité structurelle ?


C’est d’ailleurs ce type d’universalisme ethno-centré, racialisé qui a servi de base idéologique au colonialisme et au nationalisme et qui agit aujourd’hui sous forme de racisme culturel des populations du centre à l’encontre des populations de la périphérie sous forme d’oppositions peuples développés / peuples arriérés,  tolérants /fondamentalistes, pacifiques / agressifs …


Dans le cadre de cette polarité centre/périphérie, la laïcité est complètement pervertie et devient une religion de croisade dans le choc des civilisations et cette perversion n’est pas que conjoncturelle.


Laïcité et obsession de l’identité


Aujourd’hui l’interpellation identitaire efface les hiérarchies et les classes. Les catégories autrefois pertinentes « patrons / cadres / ouvriers », « jeunes/vieux », « hommes/femmes » sont progressivement effacées et dans l’idéologie dominante qui a cours, nous sommes d’abord tous Français ou musulmans, Européens ou non-européens, Occidentaux ou pas. Aujourd’hui, on identifie un groupe d’appartenance quel qu’il soit de façon exclusive en désignant simplement ceux qui n’en sont pas, en les instituant comme Autres et de fait très rapidement, on intériorise ce que l’on pourrait désigner comme leur « barbarisme ».
Le compromis capital-travail qui s’est construit dans les décennies 45-75 autour de valeurs matérielles collectives (Sécurité sociale, lois …) a été totalement remis en cause par le tournant libéral  qui a imposé l’individualisation dans l’ordre matériel, l’idéologie méritocratique et l’ultra individualisme qui, en fragilisant les individus ont créé une demande de collectif, une demande d’appartenance dans l’ordre symbolique. Le discours de la droite populiste se développe sur cette frustration et s’inscrit exactement dans cette double dynamique de dérégulation sociale et de collectivisation symbolique.


Concernant les banlieues, le retour des identités religieuses musulmanes -mais aussi pentecôtistes dans les communautés sub-sahariennes-  n’est autre,  comme toutes les études le démontrent, qu’un phénomène  compensatoire qui répond à la désaffection de la société française à leur égard et aux promesses d’intégration non tenues par l’Etat. Néanmoins la laïcité ou la neutralité sont largement respectées par ces populations mais elles sont perçues au mieux  comme une norme  vide de sens et qui reste extérieure,  au pire vécues comme une norme répressive et doctrinaire qui dans tous les cas ne s’incarne pas dans la vie quotidienne (habitat, éducation, sécurité etc.)

 

Pour une laïcité authentique qui n’oublie pas l’égalité des droits

Une laïcité authentique ne peut être qu’une laïcité critique, qui réfléchit en prenant en compte les éléments historiques de la situation et à même de critiquer les éléments de domination tant matériels qu’identitaires dans lesquels elle se trouve elle-même impliquée.
Il est évident  qu’aujourd’hui certains cherchent à réduire la laïcité au statut d’instrument idéologique de domination et en ce sens elle n’est alors que le paravent du capitalisme et du racisme.
A l’opposé  la laïcité doit être conçue comme une dynamique historique. Elle ne peut être que sur une ligne de compromis, c’est à dire dans une sorte d’équilibre instable, constamment renégociée entre forces sociales et politiques.

Pour la laïcité l’enjeu est clair
-    soit elle s’inscrit dans cette dynamique ultra libérale, jusqu’à n’être que l’instrument de l’individualisme méritocratique sur le plan matériel et du nationalisme sur le plan symbolique
-    soit la laïcité résiste à cette dynamique comme force critique et même autocritique, comme force de dissensus sur le plan social et sur le plan symbolique.

Le défi de la laïcité est qu’elle doit garantir un être au monde nécessairement pluriel, métissé, toujours « étranger à lui-même » au plan des identités, et dans le même temps agir comme puissance égalitaire pour permettre l’inclusion de tous dans un  même espace.
Ce défi ne peut être relevé qu’à deux conditions :
-    ne pas se comporter comme une force d’interpellation identitaire qui ne laisserait plus aucun espace de métissage et de distance permettant aux individus de construire leur propre identité
-     prendre en compte une véritable égalité de traitement en retissant de véritables solidarités.

Cependant certains apôtres de la laïcité ne craignent pas d’utiliser ce concept à la seule fin de susciter des situations de confrontation en opérant sciemment des clivages (voile, accusation de communautarisme, de non-intégration …) jusqu’à sommer l’Autre de renier son identité. Dans bien des cas pourtant, le clivage aurait pu être évité en ayant recours au dialogue en évitant les abcès de fixation volontairement exacerbés et les radicalisations qui conduisent chaque « camp » à s’enfermer dans son intransigeance.
Il nous faut analyser chaque situation pour ce qu’elle est dans sa spécificité propre en évitant les amalgames et les généralités hâtives et malveillantes qui caricaturent les positions de l’Autre .

Le recours à l’universalisme dont l’Europe et l’Occident seraient les phares dans la confrontation  mise en scène entre les  Lumières et les ténèbres suffit souvent à disqualifier l’Autre, les Autres jugés nécessairement enfermés dans leurs particularismes, incapables de s’arracher à leurs traditions et qui ne connaissent de cet universalisme-là que les interventions militaires, le soutien aux dictatures, le pillage de leurs ressources, les contrôles au faciès, les reconduites à la frontière.
L’accusation de communautarisme, portée par le groupe majoritaire – qui bien souvent, parce qu’il est le groupe majoritaire, n’a pas conscience de son propre communautarisme avec des pratiques et des comportements tout aussi stigmatisables si l’on se donne la peine de se décentrer – sert souvent à disqualifier des revendications dès lors qu’elles n’entrent pas dans le schéma et le cadre de référence du groupe dominant –c’est à dire du groupe formant la grande majorité de la population.


Ainsi bien souvent un problème social classique de hiérarchie, de génération, de genre est présenté comme un problème d’ordre culturel ou cultuel.
Faire en sorte qu’une revendication sociale ne se trouve dévoyée en exigence communautariste doit être une ligne directrice de la laïcité, qui doit en outre veiller à ce qu’un fait isolé ne soit pas transformé en une généralité stigmatisant le groupe entier.


C’est en s’orientant vers la recherche commune de solutions que la laïcité trouve toute sa raison d’être (et une solution a plus de valeur pour le vivre ensemble qu’un compromis) dans une démarche qui fait qu’une revendication est satisfaite dans le cadre d’un statut général  qui peut et doit évoluer et non d’un statut dérogatoire qui ne ferait qu’encourager les revendications communautaristes


L’exemple des cantines qui offrent à tous la possibilité de prendre des repas végétariens et non pas de façon spécifique des repas hallal ou casher évite de fait de faire face à une revendication d’ordre religieux tout comme dans les entreprises la mise à la disposition de tous de salles de silence ou de repos où chacun selon ses désirs peut faire une petite sieste, lire ou bien faire sa prière.

Imposer la laïcité comme on impose un ultimatum, en mettant la pression sur ceux que l’on renvoie à leur supposée  appartenance communautaire, mis en demeure de faire allégeance à une laïcité qui reste dans la matérialité de leur situation lettre morte, sans même prendre conscience que dans cette confrontation les tenants des intégrismes  se retrouvent confortés, est contre-productif et ne peut que favoriser l’audience et  l’ influence d’un intégrisme politique que l’on prétend combattre.
 
Ainsi donc, la référence quasi obligée à la laïcité n’est pas dénuée d’ambiguïté et peut se révéler un piège et/ou une impasse.
Le combat contre les discriminations, pour l’égalité des droits et pour le développement des solidarités reste le seul élément pour fédérer l’ensemble de la population dans sa diversité  et  lutter  en commun contre un ultra-libéralisme et ses effets dévastateurs… C’est d’ailleurs par là que la laïcité aura le plus de chances d’être reconnue comme un principe librement consenti et devenir une valeur partagée par le plus grand nombre.

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