Violences policières et désignation de l'ennemi intérieur (Mathieu Rigouste)
Intervention de Mathieu Rigouste, auteur de « L’Ennemi intérieur », à la Journée contre les violences policières organisée à Nice par le comité Vérité et Justice pour Hakim Ajimi, le 5 février 2011
(Propos recueillis et transcrits par Y.M et A.V.)
Violences policières et désignation de l’ennemi intérieur.
Certaines personnes ont du mal à le comprendre mais la violence policière a quelque chose de systémique, de structurel et qui n’a rien à voir avec quelque chose d’accidentel comme le laisse supposer le mot « bavure » qu’emploient les médias dominants, et qui empêche de saisir la dimension structurelle de cette violence.
Pour cela je commencerai très rapidement par résumer le contenu de mon livre « L’ennemi intérieur » qui développe cette thèse. Me basant sur des archives de l’armée, j’ai essayé de montrer la façon dont l’Etat, la police et l’armée désignent la figure de l’ennemi intérieur. Comment, dans cette manière même de désigner ceux qui nous menacent à l’intérieur, est défini ce qui est à nous, la propriété, le territoire à défendre, mais en même temps qui sont ceux qui menacent… Finalement comment est justifiée la mise en place de systèmes de surveillance, de contrôle, et de répression qui servent un système de domination.
J’ai montré que, grosso modo, le système sécuritaire tel qu’on le vit aujourd’hui dérive en partie des techniques militaires expérimentées pendant les guerres coloniales. En tout cas, les colonies ont servi de laboratoire et de terrain pour expérimenter une nouvelle technologie de violence, de coercition sociale qui petit à petit a sédimenté, avant d’être réimportée dans la police, notamment après 68 et depuis, à partir des années 90.
Un phénomène systémique
Considérer la violence policière comme systémique, ce n’est pas une vue théorique de l’esprit. Le meilleur exemple a été donné tout à l’heure à propos de la formation à la clé d’étranglement. Il n’y a pas minoritairement ou majoritairement des personnes qui dans la police seraient de grands méchants racistes. Il y a une institution qui forme à utiliser des techniques de coercition, et cette technique-là est bel et bien enseignée dans les écoles de police à tous les membres de la police et en particulier à ceux de la BAC (Brigade Anti Criminalité (dont je parlerai tout à l’heure) et aux membres de la police chargée des expulsions qui s’en servent assez régulièrement. C’est cette technique qui a tué Hakim Ajimi. Chaque fois qu’un policier se sert de cette clé d’étranglement, il prend le risque de tuer.
En second lieu, il nous faut revenir sur l’usage de certains mots. On parle de racisme dans la police. Or pour moi, il n’est pas question de dire qu’il existe des policiers qui sont racistes, et d’autres qui ne le sont pas, le problème est mal posé. Il faut considérer la police comme institution et ne pas s’arrêter à la surface des choses. En l’occurrence l’utilisation de mots comme « bougnoule » ne représente que le sommet de l’iceberg du racisme. Le racisme, c’est avant tout, de façon plus structurelle, une forme de société ; c’est le fait que les descendants de la colonisation n’aient pas accès aux mêmes droits, c’est le fait que dans le travail, ils soient surexploités, c’est le fait qu’ils meurent beaucoup plus de la violence policière que le reste de la population, qu’ils soient ségrégués dans certains quartiers, ceux des classes populaires en général, c’est le fait qu’on soit expulsé quand on n’a pas de papiers ...
Le racisme, ce sont des institutions, des structures à l’œuvre dans une société. Autrement dit, une police qui expulse des étrangers privés de papiers développe une violence raciste formidable sans utiliser le mot « bougnoule » : il n’y a pas besoin d’utiliser ce mot pour expulser des gens et détruire leur vie. On a expulsé un de mes amis il y a un mois, on l’a expulsé sans le frapper et sans le traiter de « bougnoule », on a détruit toute sa vie familiale en le renvoyant en Algérie, d’où il avait fui le service militaire. A mon avis cela va très mal pour lui : d’autres structures de l’autre côté de la Méditerranée exercent sur lui cette même violence. Quand on expulse quelqu’un, on détruit sa vie. Il n’y a pas besoin de clé d’étranglement pour développer une violence systématique et très profonde.
Violence/police : un couple indissociable pour un ordre inégalitaire
Une majorité de policiers ne comprennent pas pourquoi on les accuse de bavures : ils ont sans aucun doute raison. Ils ont raison car ils savent pertinemment que c’est inhérent à leur métier, que l’on ne peut pas faire la police sans commettre de violences. Et c’est ce qu’ils répètent quand on les accuse de bavure. Ils font remarquer : « Vous nous envoyez dans les quartiers populaires, vous nous envoyez contraindre des gens, comment voulez-vous que l’on fasse cela sans utiliser la violence ? ». Je ne pense pas que l’on peut dissocier police et violence policière. La violence est le mode de fonctionnement de la police. Elle se définit comme « maintien de l’ordre », et effectivement la police sert à maintenir l’ordre, c’est ce que je dis et c’est comme cela qu’elle se pense elle-même.
Mais la question essentielle reste bien pour maintenir quel ordre ? L’ordre inégalitaire, bien entendu et je crois que ce n’est là une découverte pour personne. C’est le fond de toutes mes recherches, j’essaie de savoir pourquoi « ça tient », comment il se fait que dans une société organisée sur la domination économique et politique d’une minorité, une majorité se fait exploiter toute sa vie.
Dans la première partie de mes recherches, j’ai beaucoup travaillé sur les médias, sur les discours. Il y a certes l’idéologie qui trompe les gens, qui les empêche de comprendre les rapports de domination. Néanmoins il n’y a pas que cela, il existe aussi des techniques de répression. La police maintient un ordre inégalitaire, et pour ce faire elle utilise la violence. La police est une institution de maintien de l’ordre, un point c’est tout : la question de savoir s’il y a une minorité ou une majorité des policiers qui sont méchants, violents fait l’impasse sur la police en terme d’institution.
Quand on parle de violences policières, les sociologues s’intéressent essentiellement au passage à l’acte. Ils montrent que depuis le début du XXème siècle, la police tue moins -cependant ils ne prennent pas en compte le nombre de morts en prison. L’année dernière, tous les records ont été pulvérisés. Il y a eu 117 suicides en prison, et je mets de très gros guillemets à suicides parce que l’on ne peut jamais savoir comment sont morts les gens qui meurent en prison. On a dénombré depuis le début des années 70 environ 300 morts, 300 personnes qui ont été abattues par la police, la plupart du temps dans les quartiers populaires, pour la plupart ces victimes sont issues de la colonisation, en fait des non-Blancs, Noirs ou Arabes. C’est à dire que l’on a à faire à quelque chose de systématique. Quand tout à l’heure, dans le débat précédent, j’ai demandé « C’était quand cette police qui n’était pas violente ? » « C’est quoi, cette police républicaine ? » Cela n’a jamais existé ! Quid du massacre des ouvriers, quand le peuple se soulève et tente de se libérer ? 1848 , 1870, et je passe sur la Collaboration et de nombreux autres épisodes. Il faut peut-être arrêter de se scandaliser, parce que le travail de la police, –elle est payée pour cela- c’est d’utiliser la violence, de maintenir l’ordre, de maintenir les rapports de domination.
L’impunité dont jouissent les policiers reste un facteur important pour que ce système puisse fonctionner. L’impunité des policiers leur permet d’employer en permanence la violence en sachant pertinemment qu’ils ne risquent pas grand-chose. Un exemple assez concret mérite d’être signalé : après le meurtre de Grenoble cet été -un jeune a été abattu par la police-, une blague circulait sur les blogs de la police ; elle consistait à dire que le meilleur moyen d’être muté dans le sud était de buter un jeune. C’est ce qui se passe la plupart du temps, on est muté du commissariat dans lequel on exerçait. La blague « Tuez un jeune, vous aurez votre mutation dans le sud ! » aussi macabre soit-elle, dénote cependant un certain état d’esprit dans l’institution policière.
Quand quelqu’un frappe, tabasse, contraint, tue, et qu’il n’est pas puni par la justice, il devient difficile de croire en la justice- d’autant si l’on a conscience qu’il s’agit d’une justice de classe. Par contre je crois qu’il est extrêmement important de se battre pour faire reculer ces violences, car chaque fois que des policiers se trouvent sur le banc des accusés, s’impose à leur esprit l’idée que finalement ils ne peuvent pas tuer, pas tabasser sans qu’il y ait de réaction. C’est pour cette raison que je soutiens totalement toutes les procédures de mise en accusation des policiers auteurs de violences même si je sais que la justice sert les intérêts de la bourgeoisie.
Hakim Ajiimi a été assassiné par la BAC (Brigade Anti Criminalité), et essayer de retracer une histoire de cette brigade qui est à l’avant-garde de la violence policière aujourd’hui, n’est pas inutile parce que l’on a à faire à un système de violence policière qui s’intègre à tout un système de domination, ainsi que nous l’avons dit précédemment. Les coups donnés par le flic se trouvent sur une même ligne entre les processus d’exclusion de l’instit à l’école et les passages à tabac du maton en prison, notamment lorsqu’on grandit dans les quartiers populaires.
Cependant, cela ne fonctionne pas ainsi pour tout le monde, puisque les classes dominantes ne subissent pas la violence policière, ce qui démontre clairement, si besoin était, à quoi sert la police. Est-ce que quelqu’un peut imaginer ici que monsieur Woerth ou madame Bettencourt, si tant est qu’un jour on vienne les chercher, puissent être l’objet d’une clé d’étranglement au moment de leur interpellation ? Ce n’est pas possible parce que les policiers ont intégré la nature de leurs clients ; ils savent très bien reconnaître à qui ils ont à faire. Pour moi qui ai grandi en banlieue parisienne, c’est de l’ordre du vécu. Je suis Blanc mais j’ai vu la différence quand j’avais une capuche ou non, quand j’étais avec trois potes arabes et noirs, quand je parlais comme je parle ici ou quand j’utilisais un langage un peu agressif envers la police. Les policiers incorporent, toute une série de codes pour reconnaître ceux qui pour eux représentent une menace.
Si l’on fait appel à l’analyse comparée, les études menées sur les Etats-Unis, l’Angleterre, le Canada ou la France montrent que les facteurs principaux de l’emploi de la coercition physique et des passages à l’acte, sont dus à la peur éprouvée par les policiers. En effet, on leur explique que les quartiers populaires sont menaçants. Il en découle qu’ils y vont comme à la guerre. Néanmoins ce n’est pas le seul facteur, le principal, ce sont les inégalités socio-économiques : plus les inégalités se renforcent, plus on voit le système de violence(s) policière(s) se transformer.
Ségrégation sociale et soumission
L’histoire de la BAC, il faut la lier à l’histoire de la ségrégation parce que c’est à cela que sert la police, à ce que les gens qui appartiennent aux classes populaires, restent dans leur case sociale, qu’ils n’en sortent pas et qu’en tout cas leur comportement se soumette à un certain nombre de codes qui leur sont imposés …
Il n’est pas inutile également de revenir historiquement sur le lien qu’il y a entre les rapports de domination et les évolutions dans les formes de la violence policière. Sans nul doute, le moment fondateur du système de domination contemporain est l’esclavage. C’est dans la plantation, la fabrique, de sucre et de coton, -le prototype de l’usine naît aux Antilles-, que se sont mis en place les rapports de domination actuels, une domination essentiellement blanche, occidentale. Maintenir ces rapports de domination dans un système de soumission a représenté dès alors une condition nécessaire à l’exploitation des esclaves. Quand apparaissent les esclaves affranchis ou encore les métis nés du viol systématique des esclaves par leurs maîtres, s’est constituée une population visiblement noire, libre du point de vue du droit, du point de vue du Code noir. Immédiatement on assiste à une transformation du système de répression qui va soumettre ces Noirs libres à la catégorie libres de couleur, victimes du même système de répression que les esclaves car il fallait maintenir la classe des esclaves, -celle des Noirs- dans un certain système de soumission.
Si on interroge ce qui se passe aux Etats-Unis quand on abolit l’esclavage, on se rend compte que jusque vers le milieu des années 30, le lynchage collectif persiste. Il persiste parce qu’il y a une impunité totale. Les Blancs sont autorisés tacitement à lyncher des Noirs quand ils le veulent. Dès lors que les Noirs s’organisent et mettent en place toute une série d’associations d’ auto-défense, le nombre de lynchages baisse. C’est à quelques mois près le moment où l’on voit se développer les Urban Unit Police, les unités de police urbaine, spécialisées dans le contrôle des populations noires dans les Etats du Sud., le moment où l’on voit se développer un système de violence policière contre les Noirs. Ainsi en parallèle avec la disparition du lynchage se mettent en place des institutions policières chargées d’exercer un système de violence particulier qui maintient la classe noire dans un statut de domination.
La police en France … aux sources de la BAC
Il se passe à peu près la même chose en France. La police est créée sous Louis XIV, au même moment que l’instauration du Code noir pour la sécurité publique aux colonies. En métropole, on fait une chasse massive à tout ce que l’on appelle les oisifs, les mendiants et les gens sans aveux. Toujours la même idée : en l’occurrence assurer la sécurité des dominants.
Aujourd’hui, la BAC emploie une technique de police particulière. Pour ceux qui n’ont pas l’habitude de les côtoyer, il faut savoir qu’il s’agit d’unités de 3 à 4 personnes circulant souvent en voiture banalisée et en civil –la police en civil existe depuis l’invention de la police. Le fait de vouloir infiltrer la population existe depuis la naissance de la police. Particulièrement agressive, la BAC –ses agents- utilise la provocation. L’intérêt est de montrer comment cette police s’est institutionnalisée.
Historiquement, une des racines de la BAC, ce sont les Brigades mobiles, les Brigades du Tigre, qui se mettent en place au début du XXème siècle pour faire face aux violences sociales, au militantisme anarchiste, aux nouvelles formes de banditisme dans lesquelles on utilise des voitures etc. En réponse, on considère qu’il faut donner un pouvoir judiciaire à certains policiers, c’est à dire une semi autonomie : la possibilité d’enquêter tout seuls, mais également le pouvoir coercitif, et celui de juger. Ainsi ils peuvent décider de qui on va arrêter, de qui on va emmener. Dans la mythologie d’Etat de la séparation des pouvoirs , cela relève de la compétence d’un juge. Or cela n’existe pas dans la réalité des brigades mobiles créées dans l’idée de pénétrer les milieux ouvriers pour se saisir de la gangrène rouge et anarchiste en général et qui vont être dotées– et c’est la naissance de la police technique et scientifique – d’instruments et de matériel nouveaux et notamment des premières voitures.
Les Brigades nord – africaines, véritables brigades coloniales représentent l’autre racine de la BAC. Elles seront en fonction dans les années 30 et jusqu’en 45, à Paris notamment. Ce sont des unités de police dans lesquelles on intègre de nombreux colonisés. Suivant une bonne logique coloniale est mis en avant un argument d’efficacité : les Arabes connaissent bien les Arabes. Cela évite également l’accusation de racisme, les actes de violence étant commis par des Arabes à l’encontre d’autres Arabes. Les Brigades nord-africaines torturent, bien avant la guerre d’Algérie, font disparaître des gens, bien avant le 17 octobre 61, utilisant une violence systématique, permanente, contre les populations qu’elles sont censées contrôler, ceux qu’à l’époque on appelait les Nord Africains.
Ces brigades seront dissoutes en 1945 –elles écornaient un peu trop l’image d’un pays qui se proclame haut et fort patrie des droits de l’homme – à un moment où on déclare que les colonisés auront les mêmes droits que les autres et où le pouvoir organise des élections truquées notamment en Algérie pour rétablir les rapports de domination.
Il ne faudra pas longtemps pour que l’on recrée de nouvelles unités sur le modèle des Brigades nord-africaines –et les textes sont clairs là-dessus. Alors que l’on voit émerger de nouveaux troubles en Algérie -depuis les années trente la rébellion s’organise- en 1953, on est désormais sûrs qu’il va se passer quelque chose. Le pouvoir décide alors de créer les BAV (Brigades Agression et Violence). Ces BAV -et c’est de là que vient la généralisation du mot « bavure »- vont utiliser les mêmes techniques que celles appliquées aux colonies, elles vont être envoyées contre les colonisés en métropole. En 62, ces Brigades seront dissoutes après la fin de la guerre d’Algérie.
En 1968, on va rechercher tout naturellement dans le répertoire de la contre-insurrection les outils que l’on va utiliser contre la « chienlit » , contre les gauchistes, les ouvriers, les étudiants contre les classes populaires selon l’idéologie dominante … en fait les outils de la contre-révolution coloniale au service de la contre insurrection.
C’est Marcellin, alors ministre de l’Intérieur, qui sera l’un des grands ingénieurs des nouvelles formes de police. On va créer les Brigades de surveillance de nuit (BSN) qui sont là, pour le coup, l’ancêtre des BAC. A la tête de ces BSN, on retrouve les responsables qui avaient l’expérience des BAV, qui s’étaient appliqués à terroriser les colonisés avec pour mission nouvelle d’utiliser dans les quartiers populaires, dans les milieux ouvriers ou étudiants, les techniques qui n’avaient pas trop mal fonctionné.
L’insécurité, nouveau produit sur le marché
Le système sécuritaire est un système qui vit d’une certaine forme de désordre, et on se rend bien vite compte que ces BSN créent un certain désordre qui peut être exploité par le pouvoir, pas trop de désordre toutefois, parce que les classes dominantes n’ont pas intérêt à être renversées.
Depuis les années 70, le capitalisme se restructure, restructuration que l’on appelle la crise. Parmi les nouveaux marchés, celui du contrôle prend des formes nouvelles. Jusque-là, le contrôle servait à encadrer le prolétariat, à encadrer la classe ouvrière, pour qu’elle continue à travailler, sans trop (se) manifester.
Parallèlement à l’émergence de ce que l’on appelle les complexes militaro-industriels, c’est à dire des consortiums géants qui vivent de l’économie de la guerre, va naître le marché de la sécurité (création de laboratoires de recherche et développement sur la sécurité, de matériels de répression, de sociétés de surveillance …) marché qui ne peut se développer sans l’émergence d’une idéologie sécuritaire directement dépendante d’un climat ou d’un sentiment de désordre, en quelque sorte un désordre générateur de capital ! Ainsi, chaque fois qu’on les envoie jusque dans les années 90, essentiellement dans les quartiers populaires, les BAC vont provoquer ce désordre.
L’Histoire n’a rien de déterminé, c’est à dire qu’il y a des choses -ici les techniques de répression- qui apparaissent à moments précis, et qui vont être réactivées dès lors que les circonstances, les rapports de force, les rendent à nouveau « nécessaires ».
Si l’on considère l’histoire de Malik Oussekine, l’emploi des voltigeurs et de leurs bidules -causant la mort d’un jeune dans l’espace public- a coûté très cher médiatiquement d’autant que le même jour Abdel a été tué dans un quartier populaire et que cela ne s’est pas vu. Les autorités vont en tirer les leçons, on comprend dès lors que la technique « voltigeurs » sera abandonnée.
La fin de la menace soviétique, début des années 90 privent les institutions répressives d’un ennemi tout désigné. Dès lors Pasqua va s’intéresser plus particulièrement aux quartiers populaires et se rendre compte que ces Brigades de Surveillance de Nuit, outre qu’elles fonctionnent sur un modèle proche des techniques éprouvées employées dans la contre- insurrection offrent un intérêt certain au titre du marché du contrôle : elles créent un désordre suffisant justifiant d’un investissement massif dans la sécurité et la sécurisation. Implantées dans toutes les grandes villes, ces Brigades Anti Criminalité vont être autorisées à travailler de jour en 91- 92.
Depuis 68, dans le système sécuritaire, on considère que les milieux populaires sont des milieux de prolifération de nouvelles menaces. La contre insurrection coloniale affirmait « Les milieux colonisés sont gangrenés par la subversion communiste et donc il faut taper dedans, dans la fourmilière, pour se saisir des meneurs communistes ». Pareillement il faut aller « taper dedans » –dans les quartiers populaires- pour en faire sortir les meneurs, les individus dangereux socialement, et c’est ce que fait la BAC, c’est ce qui transpire de la formation de ses agents, axée autour de la provocation, la question d’aller agresser devenant fondamentale.
Ainsi, au cours de leur formation, on enseigne aux Baqueux que les milieux populaires sont des milieux de la prolifération de la délinquance ; présentés comme hostiles dans lesquels le recours à la violence se trouve justifié. Il leur est expliqué que si lors de leur surveillance –opérée à partir de voitures banalisées- des jeunes se montrent incapables de supporter leur regard et fuient leur présence c’est qu’ils sont anti-flics et/ou ont quelque chose à se reprocher et qu’ils doivent être pourchassés – alors même que, de façon tout à fait compréhensible, ces personnes ne supportent plus de se faire contrôler pour la énième fois dans la journée et de se faire littéralement agresser par la multiplication de méthodes discriminatoires dont ils sont les cibles.
Ce harcèlement quotidien ne peut que dégénérer et se solde souvent pour les jeunes par une inculpation pour outrages et rébellion à agent, par une mise à disposition d’un officier de police judiciaire. C’est l’une des raisons de la surpopulation carcérale., la prison représentant la phase ultime de ce continuum de la sécurité.
On a maintes fois évoqué la nécessité d’une police pour les pédophiles et autres déviants : cependant 98% des gens qui sont enfermés en prison sont des gosses d’ouvriers, des gens qui sont « tombés » pour des barrettes de sheet , pour le fait qu’ils n’ont pas payé ceci ou cela, ou pour le vol d’une Mobylette. La prison est le point final de tout un système de violence(s) policière(s) lié aux rapports de domination, et ce système évolue en fonction des rapports de domination.
Pour résumer, malgré les bonnes intentions et les projets qui veulent instaurer une police plus proche des citoyens, on n’inventera pas une police sans violences policières. Ce que l’on peut faire, c’est faire reculer ces violences et là je ne parle pas en tant qu’universitaire. Cela demande de s’organiser entre nous, cela passe par l’auto-défense. Cela nécessite de reprendre conscience qu’il n’est pas normal d’être encadré en permanence par la police, que cela est lié au système capitaliste, au fait qu’une classe dominante veut rester en place et qu’elle a besoin d’encadrer les classes populaires.
La solution n’est pas simple mais il n’y a pas de solution simple à des problèmes aussi compliqués. On ne réduira pas la violence policière sans remise en cause des structures économiques, sociales, et politiques de cette société. La question est de nous organiser nous-mêmes pour nous défendre. Nous défendre, c'est-à-dire contre-attaquer.
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