Salah Hamouri : Réponse à Mme Alliot-Marie (Jean-Claude Lefort)
"Certains de porter la défense des droits de l’Homme dans ce combat pour libérer Salah Hamouri, nous ne nous lasserons pas de vous demander la justice et sa liberté."
Paris, le 16 janvier 2011
Madame Michèle Alliot-Marie
Ministre d’Etat
Ministre des Affaires étrangères
37, quai d’Orsay
75007 Paris
Madame le Ministre,
Dans un courrier daté du 5 janvier, en réponse à ma lettre concernant la situation de notre compatriote Salah Hamouri, vous avez écrit cette phrase finale : « Les autorités françaises accordent une attention constante à la situation de Salah Hamouri et ne se satisfont pas de son maintien en détention. Il ne leur appartient pas, néanmoins, d’intervenir ou même de commenter les procédures judiciaires d’un Etat souverain. »
Cela appelle de ma part deux remarques principales :
1. Est-ce que l’Iran – indépendamment de ce que nous pouvons penser les uns et les autres de son régime actuel – est un Etat souverain ? Si oui, est-ce que la France est intervenue pour la libération de notre jeune compatriote Clotilde Reiss ? Oui ! L’affaire était clairement politique et Clotilde est désormais, et fort heureusement, libre. Est-ce que le Mexique est un Etat souverain ? Si oui, est-ce que la France est intervenue et continue de le faire pour une compatriote française, Florence Cassez, incarcérée pour des motifs d’une toute autre nature ? Oui ! Je pourrais ainsi multiplier les cas où nous sommes intervenus, inclus pour « L’Arche de Zoé », dans des procédures se déroulant dans des « Etats souverains ». Pourquoi cette fois, s’agissant d’Israël, même ne serait-ce que « commenter », c’est non ?
J’aimerais connaître ce qui peut justifier à vos yeux cet incroyable double standard dans le comportement de notre pays.
2. Mais le plus important, qui est de fond, réside en ceci : Israël est un « Etat souverain » qui occupe illégalement des territoires palestiniens, fait subir un blocus inhumain à la population de Gaza et colonise Jérusalem-Est – le tout en violation totale du droit international.
Dans ces conditions vous ne pouvez pas considérer qu’Israël est un « Etat souverain » dans les territoires qu’il colonise. La Palestine, toute la Palestine, inclus Gaza et Jérusalem-Est, n’est pas partie intégrante de cet « Etat souverain ».
Or, à vous lire, c’est ce que vous laissez clairement comprendre.
Et c’est inacceptable.
Ainsi :
Est- ce que refuser une telle occupation, qui plus est pacifiquement, est de droit et légitime ? Oui ! Or c’est le seul fait tangible qui peut être imputé à Salah Hamouri. Et cela lui vaut 7 ans de prison, dont plus de 5 ans déjà accomplis ! Résister est un droit imprescriptible. Mais vous portez ce fait à charge contre lui. Inacceptable.
Salah Hamouri n’a rien fait de condamnable. Il n’a ni volé, ni tué, ni porté la moindre arme, ni eu le moindre geste négatif contre un rabbin ou contre quiconque d’autre. Le Tribunal militaire d’occupation l’a condamné sur la base d’une simple et unique « intention ». Or vous souscrivez aux fadaises des israéliens sans la moindre hésitation : selon vous il faudrait qu’en plus il s’excuse… Et le fait qu’il s’y refuse, légitiment, serait la preuve qu’on ne peut pas le libérer de manière anticipée car ce refus légitime serait la preuve qu’il y aurait « un risque élevé de récidive » à le libérer. Il ne sortira donc jamais de prison ? Inacceptable.
Vous écrivez qu’il avait « plaidé coupable » ? Mais c’est totalement inexact. Le choix devant lequel il était placé au terme de ce qu’on appelle là-bas un « arrangement », autrement dit un chantage, était le suivant : ou bien 7 ans ou bien le double. Il était donc condamné à-priori. C’est d’un « juger coupable » qu’ il faut parler. Cela n’a strictement rien à voir avec le système du « plaider coupable » là où il s’exerce dans des Etats de droit. Encore une fois : c’est un tribunal militaire d’occupation qui l’a condamné. Et pourquoi un tribunal « militaire » alors qu’il était étudiant et non pas un soldat ? Tout « simplement » parce qu’il fait partie des « occupés ». Il devait être forcément condamné. Et vous acceptez cela ! Pas nous.
Madame le Ministre, vous avez déclaré, en prenant vos fonctions, que la France ne suivrait pas une politique extérieure dictée depuis l’étranger. C’est en effet le minimum que nous pouvons souhaiter et admettre ! Mais que faites vous donc en l’occurrence sinon que de suivre à la lettre les accusations mensongères d’une force occupante condamnée et condamnable ?
Notre compatriote franco-palestinien, Salah Hamouri est donc doublement victime : il l’est parce qu’il refuse l’occupation du pays qui l’a vu naître et il l’est car la France accepte de considérer que c’est une charge qui doit peser contre lui. Je rappelle que, franco-palestinien, Salah Hamouri est de jure uniquement français du fait que, comme tous les habitants palestiniens de Jérusalem-Est, la dimension palestinienne de sa bi-nationalité lui est récusée par Israël.
C’est pourquoi, moi, je ne suis pas « étonné » par votre lettre comme vous semblez l’être par la mienne. Personnellement je suis choqué. Choqué par votre réponse qui reprend à la virgule près, sans la moindre précaution, les mots et les charges inventés contre un jeune Français par une force occupante - et non pas par un « Etat souverain »- constamment condamnée par l’ONU.
Oui je suis choqué que les autorités françaises n’agissent pas au niveau requis pour obtenir la libération de Salah Hamouri qui, bien que jeune, est finalement le plus vieux prisonnier politique français.
Je suis choqué que le Président de la République maintienne son refus de recevoir les parents de Salah. C’est le seul et unique cas où il agit ainsi. Et vous ne pouvez, là non plus, prétendre le contraire.
Madame le Ministre,
Un tribunal militaire – encore un –, celui de Clermont-Ferrand, condamnait à mort « par contumace » le général de Gaulle le 2 août 1940 parce que celui-ci avait choisi la résistance plutôt que la collaboration.
Le général de Gaulle, également déchu de sa nationalité française, considéra que ce jugement était « nul et non avenu ». Qui oserait prétendre qu’il avait tort ?
Un tribunal militaire d’occupation ou un tribunal complice d’une occupation ne sont que des instruments de la puissance occupante. Ils sont aux ordres. Ce n’est pas la justice. Il n’y a pas d’exception à cette règle. De même que ce concept incroyable utilisé en Israël « d’exécution extrajudiciaire ». Nous sommes bien dans une situation de guerre. Pourtant vous osez écrire que l’Etat israélien occupant est un « Etat souverain » et qu’il est donc libre de faire ce qu’il veut sans que vous ayez à intervenir ni même à commenter !
Il est vrai que votre positionnement sur les événements de Tunisie – ne condamnant même pas la répression et appelant à une coopération policière renforcée avec ce pays quelques jours avant la fuite du Président dictateur et corrompu – n’est pas spécialement à porter à votre crédit. Mais cela atteint gravement la France dans son image au Moyen-Orient.
Etant certains de porter la défense des droits de l’homme dans ce combat pour libérer Salah Hamouri, nous ne nous lasserons pas de vous demander la justice et sa liberté. Croyez-le bien !
Je vous prie de croire, Madame le Ministre, en mes sentiments distingués.
Jean-Claude Lefort
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