Résumé des conclusions de la session du Tribunal Russell au Cap en Français
Session du Cap: Résumé des conclusions, 7 novembre 2011
« Puisse ce Tribunal prévenir le crime de silence »
Bertrand Russell, Londres, 13 novembre 1966
Le Tribunal Russell sur la Palestine (TRP) est un tribunal de conscience international créé par des citoyens de plusieurs pays pour répondre aux demandes de la société civile (ONG, organisations caritatives, syndicats et organisations confessionnelles) d'informer et de mobiliser l'opinion publique ainsi que de faire pression sur les décideurs. Vu l’absence de suite réservée à l’avis consultatif du 9 juillet 2004 de la Cour internationale de justice (CIJ) concernant l'édification par Israël d'un mur en territoire palestinien occupé, vu l’inapplication de la Résolution ES-10/15 de l’Assemblée générale des Nations Unies, adoptée le 20 juillet 2004 et entérinant l’avis de la CIJ, vu les événements de Gaza en décembre 2008 — janvier 2009, des comités se sont constitués dans différents pays pour promouvoir et soutenir une initiative citoyenne en faveur des droits du peuple palestinien.
Le TRP s'inscrit, avec le même esprit et selon les mêmes règles de rigueur, dans la lignée du Tribunal sur le Vietnam (1966-1967), mis sur pied par l'éminent savant et philosophe Bertrand Russell, et du Tribunal Russell II sur l'Amérique latine (1974-1976), organisé par la Fondation internationale Lelio Basso pour le droit et la libération des peuples. Le tribunal ne jouit pas d’un statut juridique et œuvre comme un tribunal populaire.
Le gouvernement israélien a été invité à exposer son cas devant le Tribunal mais a choisi de ne pas exercer ce droit et n'a pas répondu aux lettres du TRP.
Après les auditions et délibérations du jury, les conclusions de la troisième session du Tribunal Russell sur la Palestine, qui s'est tenue au Cap les 5 et 6 novembre 2011, sont les suivantes :
I. Apartheid
Le tribunal conclut qu'Israël soumet le peuple palestinien à un régime institutionnalisé de domination considéré comme apartheid en vertu du droit international. Ce régime discriminatoire se manifeste sous une intensité et des formes variables à l'encontre de différentes catégories de Palestiniens selon le lieu de résidence. Les Palestiniens vivant sous le régime militaire colonial en territoire palestinien occupé sont soumis à une forme d'apartheid particulièrement grave. Les citoyens palestiniens d'Israël, bien que jouissant du droit de vote, ne font pas partie de la nation juive en vertu du droit israélien et sont dès lors privés des avantages découlant de la nationalité juive et soumis à une discrimination systématique touchant une vaste gamme de droits de l'homme reconnus. Indépendamment de ces différences, le Tribunal conclut que l'application de l'autorité israélienne sur le peuple palestinien, quel que soit le lieu de résidence, équivaut dans son ensemble à un régime intégré unique d'apartheid.
L'État d'Israël est légalement tenu de respecter l'interdiction d'apartheid comme le stipule le droit international. En plus d'être considérée comme crime contre l'humanité, la pratique de l'apartheid est universellement interdite. Le Tribunal a estimé que l'autorité exercée par Israël sur le peuple palestinien relevait de sa compétence à la lumière de la définition juridique de l'apartheid. L'apartheid est proscrit par le droit international à la suite de l'expérience d'apartheid qu'a connue l'Afrique australe et qui répondent à des caractéristiques propres. Cependant, la définition juridique de l'apartheid s'applique à toute situation, partout dans le monde, où les trois éléments clés suivants coexistent: (i) deux groupes raciaux distincts peuvent être identifiés; (ii) des « actes inhumains » sont commis à l'encontre du groupe subordonné; et (iii) ces actes sont commis systématiquement dans le contexte d'un régime institutionnalisé de domination d'un groupe sur l'autre.
Groupes raciaux
La question d’apartheid repose sur l'existence de « groupes raciaux ». Sur base des témoignages apportés par les experts au Tribunal, le jury conclut que le droit international donne au terme « racial » une définition large qui englobe des éléments d'origine ethnique et nationale. La définition de « groupe racial » relève dès lors plutôt de la sociologie que de la biologie. Les perceptions (y compris les perceptions propres et les perceptions extérieures) de l'identité juive israélienne et de l'identité palestinienne démontrent que les Juifs israéliens et les Arabes palestiniens peuvent aisément être définis comme des groupes raciaux distincts au regard du droit international. D'après les preuves présentées, il est évident pour le jury que deux groupes distincts et identifiables existent de façon très concrète et que la définition juridique de « groupe racial » s'applique à toutes les circonstances dans lesquelles les autorités israéliennes exercent leurs compétences sur les Palestiniens.
Actes inhumains découlant de la politique d’apartheid
Les actes inhumains individuels commis dans le contexte d’un tel système sont qualifiés en droit international de crimes d’apartheid. Le jury a reçu de nombreux témoignages prouvant que des actes pouvant être qualifiés d’ « actes inhumains » sont perpétrés à l’encontre du peuple palestinien par les autorités israéliennes, entre autres :
o la privation à large échelle de la vie palestinienne par le biais d’opérations et d’incursions militaires, une politique officielle d’ « exécutions ciblées » et le recours à une force mortelle contre les manifestants.
o la torture et le mauvais traitement de Palestiniens dans le cadre de la privation généralisée de liberté découlant de politiques d’arrestations arbitraires et de détentions administratives sans chef d’accusation. Le jury considère que de telles mesures vont fréquemment au-delà de ce qui peut raisonnablement se justifier pour des raisons de sécurité et constituent une forme de domination sur les Palestiniens en tant que groupe.
o les violations systématiques des droits de l’homme qui empêchent le développement palestinien et maintiennent les Palestiniens, en tant que groupe, à l’écart de la vie politique, économique, sociale et culturelle. Les réfugiés palestiniens déplacés sont également victimes d’apartheid puisqu’on leur refuse le droit de regagner leur foyer et que des lois les privent de leurs droits à la propriété et à la citoyenneté. Les politiques de transfert forcé de la population demeurent généralisées, particulièrement en territoire palestinien occupé.
o les droits civils et politiques des Palestiniens sont sérieusement limités, y compris les droits de circulation et de séjour ainsi que les droits à la liberté d'opinion et d'association. Des politiques israéliennes discriminatoires réduisent également fortement les droits socio-économiques des Palestiniens dans les domaines de l'éducation, de la santé et du logement.
Depuis 1948, les autorités israéliennes mènent des politiques concertées de colonisation et d'appropriation de territoires palestiniens. De par sa législation et ses pratiques, l'État d'Israël a séparé les populations juive israélienne et palestinienne et leur a alloué des espaces différents. Le niveau et la qualité des infrastructures, des services et de l'accès aux ressources, varient selon le groupe auquel on appartient. Tout cela débouche sur une fragmentation territoriale généralisée et sur la création d'une série de réserves et d'enclaves séparées. Il en résulte une vaste ségrégation entre ces deux groupes. Le Tribunal a entendu des témoignages selon lesquels cette politique est officiellement décrite en Israël sous le nom de hafrada, « séparation » en hébreu.
Un régime systématique et institutionnalisé
Les actes inhumains repris ci-dessus n'arrivent pas par hasard et ne constituent pas des actes isolés. Ils sont suffisamment répandus, intégrés et complémentaires pour être qualifiés de systématiques. Ils sont également suffisamment enracinés dans la législation, dans la politique générale et dans les institutions officielles pour être qualifiés d'institutionnalisés. Le système juridique israélien octroie un statut privilégié aux Juifs par rapport aux non-Juifs par le truchement de ses lois sur la citoyenneté et sur la nationalité juive. Celles-ci ont créé un groupe privilégié dans la plupart des domaines de la vie publique, y compris les droits de séjour, la propriété foncière, l'urbanisme ainsi que l'accès aux services et aux droits sociaux, économiques et culturels (voir la liste des lois et des projets de loi en annexe). Le Tribunal a recueilli des témoignages d'experts détaillant les relations entre l'État d'Israël et les institutions nationales juives quasi étatiques (l'Agence juive, l'Organisation sioniste mondiale et le Fonds national juif) qui intègrent et officialisent un grand nombre de ces privilèges matériels octroyés exclusivement aux Juifs israéliens. En ce qui concerne la Cisjordanie, le Tribunal met en exergue la séparation et la discrimination institutionnalisées révélées par l'existence de deux systèmes juridiques entièrement séparés: les Palestiniens sont soumis au droit militaire appliqué par des tribunaux militaires ne répondant pas aux exigences en matière de normes internationales d'équité. Les Juifs israéliens qui vivent dans des colonies de peuplement illégales sont soumis au droit civil israélien dépendant de tribunaux civils. Par conséquent, il existe un vaste écart entre les procédures et les peines appliquées, pour un même crime et dans une même juridiction, selon le groupe auquel on appartient. Un appareil de contrôle administratif, mis en œuvre au moyen de systèmes de permis et de restrictions bureaucratiques très répandus, affecte sérieusement les Palestiniens dans les territoires sous contrôle israélien. Contrairement à la législation d'apartheid sud-africaine explicite et facilement disponible, le Tribunal attire l'attention sur le caractère obscure et inaccessible d'un grand nombre de lois, d'ordres militaires et de réglementations qui sous-tendent le régime institutionnalisé de domination d'Israël.
II. La persécution en tant que crime contre l'humanité
La plupart des témoignages entendus par le Tribunal en matière d'apartheid sont également valables en matière de persécution. Celle-ci constitue un autre crime contre l'humanité et peut être retenue par rapport aux pratiques israéliennes en vertu du principe du cumul des charges. La persécution implique la privation grave et intentionnelle de droits fondamentaux à l’encontre de membres d'un groupe identifiable dans le cadre d'attaques généralisées et systématiques contre une population civile. Le Tribunal conclut que les preuves qui lui ont été présentées lui permettent d'établir l'existence de persécutions dans le cadre des actes suivants:
o le siège et le blocus de la bande de Gaza comme moyen de châtiment collectif de la population civile;
o la prise pour cible de civils lors d'opérations militaires d'envergure;
o la destruction de logements civils non justifiée d'un point de vue militaire;
o l'impact négatif du Mur sur la population civile et du régime qui lui est associé en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est;
la campagne concertée d'évacuation et de démolition forcées de villages bédouins non reconnus dans la région du Néguev au sud d'Israël.
III. Conséquences juridiques
L'apartheid et la persécution constituent des actes imputables à Israël et engagent sa responsabilité juridique internationale. Israël doit cesser de commettre des actes d'apartheid, mettre un terme à ses politiques de persécution et offrir des garanties satisfaisantes de non-répétition. En outre, Israël doit réparer intégralement tous les dommages, qu'ils soient matériels ou moraux, causés par ses actes internationalement illicites. En ce qui concerne les réparations, Israël doit indemniser les Palestiniens pour les dommages qu'il a occasionnés. Ces indemnités doivent couvrir tous les dommages susceptibles d'évaluation financière en matière de pertes de vies, de pertes matérielles et de pertes de profits pour autant que ces faits puissent être établis.
Les États et les organisations internationales exercent également des responsabilités au niveau international. Ils ont le devoir d'aider à mettre un terme aux actes d'apartheid et aux politiques de persécution d'Israël en refusant notamment d'apporter une aide ou une assistance à Israël et en ne reconnaissant pas les situations illégales qui découlent de ses actes. Ils doivent mettre fin aux violations du droit pénal international commises par Israël en poursuivant les auteurs de crimes internationaux, y compris les crimes d'apartheid et de persécution.
Mesures requises et recommandées
Sur base des conclusions énoncées ci-dessus, le Tribunal Russell sur la Palestine appelle résolument toutes les parties concernées à agir dans le respect de leurs obligations légales.
Par conséquent, le Tribunal exhorte:
o L'État d'Israël à mettre immédiatement fin au système d'apartheid qu'il impose au peuple palestinien, à abroger toutes les lois et pratiques discriminatoires, à ne plus adopter de lois discriminatoires supplémentaires et à cesser immédiatement les actes de persécution contre les Palestiniens;
o Tous les États à coopérer afin de mettre un terme à la situation illégale qui découle des actes d'apartheid et de persécution pratiqués par Israël. Compte tenu de l'obligation de ne pas prêter aide ou assistance, tous les États doivent envisager des mesures appropriées afin d'exercer une pression suffisante sur Israël, notamment par l'imposition de sanctions ou la rupture des relations diplomatiques, que ce soit de façon collective par le biais d'organisations internationales ou, en l'absence de consensus, de façon individuelle en rompant les relations bilatérales avec Israël.
o Le Procureur de la Cour pénale internationale à se déclarer compétent comme l'ont requis les autorités palestiniennes en janvier 2009 et à ouvrir une enquête « dans les plus brefs délais », comme le demande le « Rapport Goldstone », sur les crimes internationaux commis en territoire palestinien depuis le premier juillet 2002, y compris les crimes d'apartheid et de persécution;
o La Palestine à adhérer au Statut de Rome de la Cour pénale internationale;
o La société civile mondiale (y compris tous les groupes et individus qui travaillent de leur mieux en Israël et en territoire palestinien occupé pour lutter contre le système de domination raciale qui y règne) à reproduire l'esprit de solidarité qui a contribué à mettre fin à l'apartheid en Afrique du Sud, notamment en conscientisant les parlements nationaux par rapport aux conclusions de ce Tribunal et en soutenant la campagne de Boycott, de Désinvestissement et de Sanctions (BDS);
o L'Assemblée générale des Nations Unies à reconstituer le Comité spécial des Nations Unies contre l'apartheid et à convoquer une session extraordinaire pour examiner la question de l'apartheid contre le peuple palestinien. À cet égard, le Comité devrait, afin d'adopter des mesures appropriées, dresser une liste des individus, des organisations, des banques, des sociétés, des entreprises, des organisations caritatives et des autres organes publics ou privés qui coopèrent au régime d'apartheid d'Israël;
o L’Assemblée générale des Nations Unies à réclamer un avis consultatif à la Cour internationale de justice comme l’ont demandé l’ancien et l’actuel Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés ainsi que le Conseil pour la recherche en sciences humaines d’Afrique du Sud. Ceci afin d’analyser la nature prolongée du régime israélien d’occupation et d’apartheid;
o Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations Unies à aborder la question de l’apartheid lors de son prochain examen de la situation israélienne en février 2012;
o Le gouvernement sud-africain, en tant que pays hôte de la troisième session du Tribunal Russell sur la Palestine, à assurer que l’État d’Israël n’entreprendra aucune forme de représailles à l’encontre des personnes qui ont témoigné devant le Tribunal.
Le Tribunal salue la décision de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) d’admettre la Palestine comme membre. Il regrette les sanctions adoptées par les États-Unis contre cette organisation et invite instamment tous les États et organisations internationales à soutenir activement le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Le Tribunal salue l’esprit solidaire et le soutien des pays qui ont constamment et résolument défendu le respect de droits de l’homme pour les Palestiniens, et les prie de poursuivre leur combat pour que justice soit rendue.
Annexe: Lois et projets de loi
Lois:
1. Loi du retour (1950)
2. Loi sur la citoyenneté (1952)
3. Loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël (2007)
4. Convention entre le Gouvernement israélien et l’Exécutif sioniste (1952)
5. Loi sur le statut de l’Organisation sioniste mondiale et de l’Agence juive (1952)
6. Loi Keren Kayemeth le-Israel (1953)
7. Convention avec l’Exécutif sioniste (1954, 1971)
8. Loi du rabbin en chef d’Israël (1980)
9. Loi sur le drapeau et les emblèmes (1949)
10. Loi d’État sur l’éducation (1953) et ses 2000 amendements
11. Loi sur les propriétés des absents (1950)
12. Loi sur l’acquisition des terres (1953)
13. Loi fondamentale: terres d’Israël [Terres du peuple] (1960)
14. Loi sur les colonies agricoles (1967)
15. Loi fondamentale: la Knesset (1958), amendement No 9 (1985)
16. Loi sur l’administration des terres d’Israël (ILA) (2009)
17. Amendement (2010) à l’Ordonnance sur le régime foncier (Acquisitions à fins publiques) (1943)
18. Loi sur les comités d’admission (2011)
19. Loi sur les terres d’Israël (Amendement No 3) (2011)
20. Loi sur l’efficacité économique (Amendements législatifs pour la mise en œuvre du plan économique)
21. Loi sur l’insertion des soldats démobilisés (1994) [Amendement de 2008]
22. Loi sur l’insertion des soldats démobilisés (1994) (Amendement No 12) (2010)
23. (2011) Loi visant à amender la loi sur les principes budgétaires, amendement No 40 (Loi « Nabka »)
24. Loi sur les Conseils régionaux (Date des élections générales) (1994) Amendement spécial No 6 (2009)
25. Loi relative à l’obligation des bénéficiaires de déclarer les aides en provenance d’entités politiques étrangères (2011) (« Loi sur les financements originaires d’ONG ou gouvernements étrangers »)
Projets de loi:
1. Projet visant à amender la loi sur la citoyenneté (1952) afin d’imposer un serment d’allégeance aux personnes qui souhaitent être naturalisées israéliennes et aux citoyens israéliens qui demandent leur première carte d’identité
2. Projet (2009) visant à amender la loi fondamentale: Dignité humaine et liberté. Cet amendement limiterait les pouvoirs d’examen de la Cour suprême en matière de citoyenneté.
3. Projet de loi accordant une préférence aux anciens soldats lors des nominations dans la fonction publique
4. Projet de loi octroyant des avantages aux anciens soldats dans le secteur des services.
5. Projet de loi interdisant l’imposition d’un boycott (2010) (« Projet de loi sur l’interdiction du BDS »)
6. La loi sur les associations (Amutot) (Amendement – Exceptions à l’inscription et à l’activité d’une association) (2010) (« Projet de loi sur la compétence universelle »)
7. Projet de loi visant à protéger les valeurs de l’État d’Israël (Modification de la législation) (2009) (« Projet de loi sur l’État juif et démocratique »)
8. Nouveau projet de loi sur le cinéma. Celui-ci exigerait aux réalisateurs souhaitant bénéficier de financements en provenance de l’État de signer une déclaration d’allégeance à Israël et à ses institutions en tant qu’« État juif ».
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