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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

2006 : Réponse de Mouloud Aounit à Jean Ferrat

1 Janvier 2010 , Rédigé par Repères antiracistes Publié dans #MRAP, #Mouloud Aounit, #Repères

LE PRÉSIDENT                                                A l’attention de Monsieur Jean Ferrat

                                                                          

                                                                          

                                                                           Paris, le 17 mars 2006

 

 

Cher Jean,

 

J’ai pris connaissance avec la plus grande attention de ton courrier, ainsi que des soutiens que m’ont adressés Albert Lévy, « père » fondateur du MRAP, et  François Grémy, ancien président délégué de notre mouvement dont tu trouveras copies ci-joint.

 

Je prends acte des témoignages et opinions exprimés par ceux qui, comme toi, forcent notre respect tant nous connaissons et admirons l’intégrité de leur combat  contre tous les totalitarismes et contre toutes les formes hideuses du racisme qui n’ont cessé, par leurs assauts, de porter atteinte à la dignité et à l’intégrité de la personne humaine.

 

Je me dois de te dire que j’entends et respecte entièrement ton argument – hostile à une plainte du MRAP ciblant la publication d’une des caricatures par le journal France Soir. Cela démontre une fois de plus que le MRAP ne constitue pas un monolithe mais, au contraire, fait preuve d’une grande vitalité démocratique puisqu’en son sein se poursuivent de durs et difficiles débats, à la mesure de la gravité des enjeux auxquels se trouve confrontée notre société toute entière.

 

Le débat interne du MRAP a permis de mettre  en évidence le fait que notre mouvement laïque n’entend en aucune façon s’écarter du positionnement dont il n’a jamais dévié depuis sa fondation, à savoir la lutte contre le racisme sous toutes ses formes, à l’exclusion de toute intervention dans le domaine du « religieux ». Cela signifie que notre mouvement reconnaît pleinement le droit de libre critique de toute religion.

 

Si je prends note de ta position que je respecte, je tiens cependant à souligner que la décision de porter plainte contre le fait d’avoir publié une seule caricature bien précise est fondée non pas sur l’irrespect envers l’islam, mais bien sur le motif d’incitation au racisme tel qu’il se dégage clairement et directement de nos statuts : «  Le MRAP est une association laïque qui a pour objet de lutter contre le racisme, c'est-à-dire toutes discriminations, exclusions, restrictions ou préférences, injures, diffamations, provocations à la haine ou aux violences, à l'encontre d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, réelle ou supposée, à une prétendue « race », une ethnie, une nation, une culture ou une religion déterminées » ( art.1.1 des statuts adoptés par la séance de l’assemblée générale du MRAP du 5 décembre 2004).

 

Si certains médias ont délibérément personnalisé le débat avec parfois des attaques violentes et infamantes à mon égard, la décision de porter plainte a été prise à la majorité des voix exprimées au sein du conseil d’administration du 4 février 2006 par 21 voix pour, 6 voix contre et 1 abstention. Pour autant, la position minoritaire m’apparaît totalement respectable et notre mouvement ne peut que réaffirmer sa détermination à faire prévaloir un respect  moral sans faille à l’égard de toute position minoritaire se faisant entendre lors d’un vote démocratique.

 

Devant la « caricature » des positions du MRAP, je crois utile pour ton information de redresser deux contre vérités et de te donner une information sur le contexte et le journal danois qui a publié ces caricatures.

 

Premièrement, ce ne sont pas les 12 caricatures de Mahomet qui sont dénoncées par le MRAP mais une seule (celle où le Prophète porte une bombe sur la tête), ce qui prouve bien que ni le blasphème ni l’irrespect envers l’islam ne concernent le Mouvement, parce que n’étant pas de sa compétence en tant que mouvement laïc.

 

Si le caricaturiste avait dessiné Ben Laden avec une bombe sur la tête, le MRAP n’y aurait pas vu de la propagande raciste mais la dénonciation du terrorisme. Ce n'est pas pour le MRAP une question religieuse qui est en cause mais le message raciste  et les signifiants véhiculés : cette caricature adresse un message très grave de conséquences dans le contexte politique aujourd'hui : Mahomet est dépeint sous les traits d’un islamiste terroriste; c'est l'équation véhiculée depuis le 11 septembre: “musulman = islamiste = terroriste”. L'intention du message est clairement raciste. Chaque musulman devient coupable de chaque exaction commise dans le monde par des intégristes. Le MRAP ne peut accepter un tel amalgame. Cela ne relève pas de la critique d'une religion, mais de l'islamophobie telle qu'elle a été définie et acceptée au dernier Congrès, à savoir “l'islamophobie est une nouvelle forme du racisme anti-musulman et par conséquent entre dans le champ d'activités du MRAP”. Par ailleurs, à la question : « le MRAP doit il poursuivre le combat contre l'islamophobie dans le cadre de la définition légale de la loi à la provocation à la haine raciale?” Le vote fut unanime moins 23 abstentions.  La décision de porter plainte contre la caricature incriminée ne fait que respecter et mettre en application ce vote de Congrès.

 

Deuxièmement, le MRAP est profondément attaché à la liberté de la presse mais la liberté de la presse comme la liberté en général a une limite celle de la justice et du droit. Si nous ne respectons pas cette limite alors il faut être cohérent et demander l'abrogation de la loi Gayssot, prolongement de la loi de 72 qui fait du racisme non pas une opinion mais un délit. C'est d'ailleurs au nom de la liberté d'expression que le FN réclame cette abrogation. Nous rappelons que cette loi est l'honneur du MRAP qui en est à l'origine et qui a été adoptée en juillet 1972 à l'unanimité de l'Assemblée. Cette loi rattachée à la loi de la presse (“modification de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse”) stipule que pourront  déposer plainte “toute  personne ou un groupe de personnes qui aura, dans un journal ou écrit périodique, fait l'objet d'imputations susceptibles de porter atteinte à leur honneur ou à leur réputation à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.”

 

Par ailleurs, la publication des caricatures dans le journal danois Jyllands-Posten s’inscrit dans un contexte particulier dans ce pays caractérisé par l’adoption de nouvelles lois discriminatoires relatives aux étrangers et par le développement de discours racistes. Ce journal depuis quelques mois publiait des éditos, des articles et courriers de lecteurs qui, loin de défendre la liberté d’expression, portaient d’avantage la marque d’une certaine idéologie xénophobe.

 

Cautionner la publication des caricatures du journal danois Jyllands-Posten au nom de la liberté d’expression, reviendrait à publier les calembours racistes de Monsieur Le Pen.

 

Que ton interprétation de ce dessin soit différente de la nôtre, que tu ne voies dans ce dessin qu’une dénonciation de l’utilisation de la religion par les terroristes, ce sera à la justice de trancher.

 

En ce qui concerne Charlie Hebdo, c’est le CA du 18 mars qui arrêtera la position du MRAP sur les éventuelles suites juridiques à donner.

 

Personnellement, je ne mettrais pas sur le même plan France Soir et Charlie Hebdo. L’un est un grand journal d’information qui le premier a publié l’ensemble des caricatures avec une intention politique douteuse. L’autre est un journal, qui a certes publié l’ensemble des caricatures, mais dont la vocation est délibérément satirique.

Enfin, le MRAP n’a jamais été partisan d’une juridisation systématique et acharnée. Il a toujours cherché par les actions juridiques engagées, à obtenir une réparation pour les victimes du racisme sous toutes ses formes et à transmettre symboliquement un message politique - en la circonstance - de l’argumentaire développé ci-dessus.

 

Devrions nous au nom de la liberté d'expression accepter cet odieux concours  des “meilleures caricatures sur l'Holocauste” lancé par le plus grand journal iranien et qui est l'une des conséquences désastreuses de la caricature incriminée? Concours que nous avons dénoncé publiquement. Nous sommes certains que pas un démocrate n’accepterait une telle dérive.

 

Voici cher Jean les explications que je te dois.

 

Ta correspondance ayant été envoyée à la presse, tu comprendras que je m’autorise à faire connaître publiquement cette réponse.

 

Une fois encore, sois assuré, cher Jean, de mon respect le plus profond à ton égard.

 

Très sincèrement à toi.

 

 

                                                                             

 

 

                                                                             

 

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