Pour une police républicaine respectueuse des droits de l'homme (Sihem Souid)
Intervention de Sihem Souid, auteure de « Omerta dans la police » à l’occasion de la Journée contre les violences policières organisée à Nice par le Comité Vérité et Justice pour Hakim Ajimi, le 5 février 2011
(Propos recueillis et retranscrits par Y.M. et A.V.)
Violences policières Témoignage de l’intérieur
Fonctionnaire dans la police nationale, je suis en outre l’auteure du livre « Omerta dans la police , Abus de pouvoir, homophobie, racisme, sexisme » et à ce titre ma présence aujourd’hui parmi vous à l’invitation du Comité Hakim Ajimi s’en trouve par là même justifiée.
Un parcours jalonné de désillusions
Le plus simple pour aborder le sujet est sans nul doute de vous raconter mon parcours. Je suis rentrée dans la police nationale par vocation, vraiment par vocation, pour être au service du public parce que je voulais sauver des vies. Je voulais rendre service et être utile, partant du principe que la police est nécessaire, qu’elle est utile. Je suis sortie major de ma promotion, ce qui prouve ma motivation. Ma première affectation a été dans la police aux frontières à Orly. Petit à petit, j’ai commencé à déchanter. Je me suis retrouvée là, parmi quelques collègues qui en parlant des Arabes, des personnes en provenance du Maghreb, employaient les termes de « bougnoules » ou « couscous ». Les Noirs, ils les nommaient « Bamboula ».Parmi mes collègues certains se battaient pour aller accompagner Jean-Marie Le Pen en escorte….J’ai donc déchanté, même si au départ, je ne disais rien, même si je n’ai jamais été tentée de faire ma petite révolution dans mon coin. Au fur et à mesure, j’ai vu des choses de plus en plus graves. Des violences policières, ça existe et je suis la première à les dénoncer mais il ne faut pas généraliser : il y a des policiers qui font très, très bien leur travail, de manière exemplaire. Ceux qui ont un comportement répréhensible ne sont qu’une minorité, sur les 350 fonctionnaires de la PAF avec qui j’ai pu être en contact, il n’y a pas 350 fonctionnaires racistes et homophobes et corrompus. Au cours d’une émission, j’ai avancé le chiffre de 30% sur un plateau de télévision, et je me suis fait « incendier » par le syndicat Alliance, parce qu’on a dit que c’était trop. Effectivement, je n’ai pas d’outils statistiques, mais selon mon expérience, quand j’analyse ce qui se passe, le chiffre de 30% me paraît justifié.
La minorité de policiers qui commettent des abus très graves, des violences, qui sont racistes, ou homophobes, sont malheureusement protégés. Par qui et pourquoi, me direz-vous ? il y a quand même une majorité de policiers qui se taisent, non pas parce qu’ils approuvent et sont complices forcément - il y en a qui sont là juste pour l’alimentaire, d’autres qui ont pris l’habitude d’entendre ça et qui ne disent rien, il y en a qui ne veulent pas se créer de problèmes, et beaucoup qui ne sont pas d’accord mais qui ne veulent pas perdre leur boulot,- mais la raison essentielle à ce silence reste le corporatisme, c’est à dire que la police, comme on dit, c’est une famille, et qu’on lave son linge sale en famille. On se heurte à cette mentalité-là, si une personne dénonce ce qui se passe, ne serait-ce qu’à l’intérieur de l’institution, elle est déjà traitée de traître, alors vous pouvez imaginer les réactions si on met cela sur la place publique.
Quand je suis rentrée dans la police, je pensais que les bavures étaient extrêmement rares, je ne pensais pas que c’en était à ce stade, peut-être que je vivais dans un autre monde, que mes parents m’ont trop protégée, pourtant je suis issue des banlieues mais surtout je ne pensais pas que le racisme était ancré à ce point chez certains policiers. Je ne m’imaginais pas ça. J’ai été stupéfaite par ce monde-là.
Malheureusement, j’ai été témoin de plusieurs faits graves et inadmissibles, par exemple une femme noire de nationalité française, qui était en situation régulière sur le territoire et qui se retrouve nue dans une cellule de garde à vue, filmée, traitée de « sale nègre » par plusieurs policiers. Des procès verbaux, des témoignages sont là qui le prouvent. Personne n’a été même auditionné pour qu’une enquête soit déclenchée et pourtant nous sommes sept à avoir dénoncé ces faits–là. Avec pour seule conséquence que cela s’est retourné contre nous. Autres cas : celui des personnes qui sont reconduites à la frontière, ainsi, un homme s’est retrouvé avec 21 jours d'’ITT, sans que l’on sache pourquoi. Sa plainte sera classée sans suite. Que dire également des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière qui sont non-justifiés. Des personnes sont remises dans l’avion alors qu’elles sont en situation régulière et cela dans le seul but de faire du chiffre.
Politique du chiffre et manquements graves
A partir de mon expérience, plusieurs raisons à cet état de choses peuvent être avancées. Je pense que la situation s’est beaucoup dégradée à cause de cette politique du chiffre imposée de façon militaire depuis plusieurs années. On nous demande de faire du chiffre à tout prix. On ne nous demande plus d’être une police au service de notre public mais une police commerciale, à qui il est demandé de faire du rendement pour que des politiciens à la fin de l’année en fassent leur fond de commerce présidentiel en mettant sur la table le débat de l’insécurité, en prenant comme boucs émissaires toujours les mêmes, -les Arabes, les Noirs, les étrangers, les Roms-, en stigmatisant les minorités visibles (un mot difficile à admettre pour moi, qui suis de la diversité).
J’ai vu des choses vraiment atroces. On a décidé de briser l’omerta déjà en interne. Avec six collègues, nous avons décidé de porter plainte au pénal. On a écrit, on a fait des rapports dénonçant tous ces faits avec pour résultat des mutations de service en service. Considérés comme des traîtres, des personnes à mettre de côté à tout prix et à condamner même, des collègues ont été licenciés, après être tombés en dépression. Quant à moi je suis devenue l’Arabe de service. L’enquête a été bâclée par la police des polices parce qu’en fait une police qui enquête sur une autre police, il n’y a aucune impartialité, c’est le corporatisme qui domine et prend le pas sur les autres considérations. Malgré toutes les preuves apportées, accumulées pendant plusieurs mois, la plainte au pénal a été classée sans suite. Il est à noter que le procureur de l’époque, le procureur de Créteil, était lui même mis en cause dans ce que nous dénoncions parce qu’il avalisait les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière qui étaient complètement illégaux. On a décidé d’aller voir des politiques, des députés… Avant la sortie de mon livre, le procureur de la république de Créteil a été muté en Martinique, le préfet a également été muté, en province tandis que le directeur de la PAF (Police de l’Air et des Frontières) a été placardisé puis mis à la retraite d’office. J’avais dénoncé ses agissements : en tant que directeur de la PAF, il faisait du chantage, menaçant les compagnies aériennes, car il faut savoir que contrairement à ce que les gens croient ce n’est pas avec nos impôts qu’on paie les reconduites à la frontière. On fait peur aux gens, on les monte contre les immigrants clandestins en leur disant que les sans papiers, ça nous coûte de l’argent mais en fait ce ne sont pas les Français qui paient. En fait, lorsqu’une personne arrive avec des papiers falsifiés, c’est la compagnie aérienne sur laquelle elle a voyagé qui doit prendre en charge les frais occasionnés, l’hébergement à l’hôtel Ibis, les frais médicaux, le billet retour. Elle doit également acquitter une amende de 5 000 à 10 000 euros. Les compagnies aériennes ont donc tout intérêt à être gentilles avec la PAF, cadeaux à tout va, corruption, voyages gratuits…
Nous on est censé représenter la loi, certains policiers sont pourtant les premiers à l’enfreindre. On nous dit qu’il ne faut pas dénoncer ces agissements, que ca donne une mauvaise image de l’institution et que désavouer quelques membres de la police, c’est jeter le discrédit sur l’ensemble de la police. En fait c’est en laissant cette impunité que le discrédit est jeté ? C’est ce que l’actuel gouvernement se refuse à comprendre et à prendre en considération. Les gens ne sont pas dupes. Des bavures policières, il y en a. Mais on laisse faire, on couvre au lieu de sanctionner les agents qui les commettent pour éradiquer au fur et à mesure ces pratiques et avoir ainsi une police exemplaire, une police républicaine, respectueuse des droits de l’homme,.
Et en réponse à l’interpellation qui m’a été adressée parce que j’emploie le mot de police républicaine « C’était quand la police républicaine ? » , il n’est pas juste de généraliser et de condamner toute la police. Je suis dans l’institution et je vois, je vois des policiers qui ont des valeurs républicaines, des policiers qui font leur travail avec cœur et générosité. Je suis la première à condamner les faits délictueux, les bavures, ce qui me vaut de me retrouver en procès pour divulgation du secret professionnel, suspendue pour atteinte au devoir de réserve, et de risquer la révocation. Ainsi je n’ai aucune raison de défendre la police mais je suis là pour dire la vérité. Je suis d’accord que cette partie de la police qui ne représente pas les valeurs républicaines n’a rien à faire chez nous, et qu’elle doit être sanctionnée
Pour que la police soit respectée, il faut qu’elle soit elle-même respectueuse et respectable. Au lieu de sanctionner les dérives, monsieur Hortefeux les couvre. Il n’est que de voir ce qui s’est passé au tribunal de Bobigny où étaient jugés les 7 policiers qui avaient fait un faux contre un homme qui risquait quand même trente ans de prison. Ils ont été condamnés à quelques mois de prison tandis que 200 policiers étaient en train de manifester pour défendre leurs collègues. Et notre ministre qui prend publiquement leur défense. C’est complètement aberrant.
Il est urgent et de notre de devoir de réagir et de ne pas laisser s’installer pareille dérive, de faire évoluer les mentalités pour nos enfants, pour les générations à venir, pour ce beau pays, parce que la France c’est un beau pays. C’est peut-être paradoxal après ce que j’ai dit, ce que je dénonce, mais il faut croire en la France, en la justice malgré les grosses dérives dans la police mais également dans le justice, dans le cas d’Hakim et de bien d’autres victimes dont on a parlé. Tout dépend malheureusement du magistrat sur lequel on tombe. Il y a des magistrats qui vont couvrir la police, d’autres, non, qui vont faire leur travail de façon exemplaire. En fait, il ne faut pas généraliser, il ne faut pas tout condamner. Cette minorité qui ne fait pas bien son boulot doit disparaître. Le racisme dans la police, bien sûr qu’il existe, mais il ne suffit pas seulement de le déplorer, il faut le combattre sans faiblesse.
Souvent les jeunes des quartiers réagissent mal face à la police. Les policiers sont sur la défensive parce qu’ils ont l’impression de n’être pas aimés, ce qui est le cas. De l’autre côté, le jeune, le citoyen ne se sent plus en sécurité dans ses rapports avec la police, et il en a peur. Or on ne devrait pas avoir peur de sa police, on devrait se sentir rassurés. Les policiers le vivent mal, conscients qu’ils ne sont pas aimés de la population. Il est dramatique de voir, d’année en année, se creuser le fossé entre les citoyens et la police, et cela représente un véritable danger pour la démocratie. Par contre, je crois que cela arrange certains politiciens. Les victimes, ce sont en premier lieu bien sûr les citoyens mais aussi certains policiers eux-mêmes prisonniers de cette politique du chiffre.
Des combats nécessaires
Je n’ai pas de mots pour exprimer ce que je ressens face à cela, face à ces injustices, j’en suis attristée, désolée, mais au-delà de ces sentiments, refuser cet état de fait et se battre s’impose comme une nécessité. Néanmoins se battre sur le terrain des pratiques policières et des dérapages condamnables ne doit pas nous amener à faire l’impasse sur le combat à mener sur le terrain de la formation qui est donnée aux policiers. La formation des gardiens de la paix se déroule sur un an seulement. S’il n’y a guère de souci en ce qui concerne la formation technique et pratique -on apprend les gestes techniques d’immobilisation, le tir et même la clé d’étranglement-. le problème essentiel, c’est que, dans la police nationale, nous n’avons pas assez de cours sur l’éthique. On nous fait apprendre le code de déontologie par cœur, bêtement. On doit le citer dans les évaluations mais on n’a pas des cours d’éthique proprement dits à propos des contrôles au faciès, des violences policières qui restent un tabou. Il est impossible d’aborder ces questions dans une section si vous ne voulez pas vous retrouver tous les collègues à dos. Et pourtant ce serait un grand pas que la reconnaissance entre nous, dans notre institution, de ces dérives.
Pour ce qui est de la clé d’étranglement, et j’aborde ce sujet parce que des associations et le comité pour Hakim en demandent l’interdiction comme cela est déjà le cas dans plusieurs pays, il n’est pas inutile de rappeler que cette technique nous est apprise à l’école de police. Un prof nous explique comment la faire, et on est même noté là-dessus. Il est bien précisé cependant qu’elle n’est pas faite pour tuer, mais juste pour arrêter le forcené. On a des consignes strictes, ainsi sa durée ne doit pas excéder quelques secondes. Normalement on ne doit pas être tout seul mais en équipe, la clé d’étranglement ne doit être pratiquée qu’en dernier recours. Pour Hakim, c’est un meurtre. C’est scandaleux, et c’est très grave
Pour des motifs que chacun peut aisément concevoir, les propos tenus par des membres de l’actuel gouvernement, ou par le chef de l’Etat ne sont pas de nature à calmer le jeu et à remettre en question une politique basée essentiellement sur la répression. La répression comme seule alternative à la délinquance souvent provoquée par le mal-être et la désespérance ne peut qu’engendrer la violence. Si la répression est nécessaire de temps en temps, elle ne doit pas faire oublier le volet essentiel de la prévention dans la définition des tâches de la police. Il faut autant de prévention que de répression, ce sont les deux « mamelles » de la police.
Je milite pour la création d’un comité d’éthique dans la police, projet de loi rédigé par mes soins et déposé par l’intermédiaire de plusieurs députés. Cette proposition de Loi donne une véritable indépendance à ce Comité national d’éthique et de la sécurité, d’ailleurs chaque groupe parlementaire, et même les Non-inscrits y seront représentés, mais elle donne aussi un véritable pouvoir d’injonction, nécessaire pour agir afin d’éviter que de telles horribles choses puissent se reproduire ou bien être gardées sous silence. Elle donne également une possibilité de saisine élargie sans conditions de forme, et une meilleure protection du plaignant.
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