Pays arabes : des peuples en mouvement... des processus en cours (Pierre Barbancey)
Pays arabes : des peuples en mouvement … des processus en cours
Entretien avec Pierre Barbancey, grand reporter à l’Humanité
(réalisé le 25 juin par Y.M et A.V.)
Les illustrations sont de l'initiative du webmestre.
Par la couverture, en tant que grand reporter à l’Humanité des événements et des changements en cours, vous avez une connaissance certaine de ce qui se passe dans les pays arabes. Pouvez-vous tout d’abord dire un mot de vos différents séjours et en tirer les premières leçons ?
Pierre Barbancey : J’ai d’abord couvert, en début d’année, ce qui s’est passé au Soudan pour dire d’emblée que ce qui se passe dans ce pays est intéressant à analyser surtout en ce qui concerne les questions de la partition des Etats, question qui va devenir récurrente dans certains pays arabes ou musulmans, quelle que soit la façon dont on désigne ces pays.
Je rentre du Liban, après avoir vainement tenté d’entrer en Syrie, auparavant j’ai couvert les événements en Egypte puis récemment ce qui se passe en Libye. C’est toute cette matière accumulée lors de ces différents séjours qui me fait dire que l’on parle un peu trop facilement du « printemps arabe » en mettant tout sous le même vocable. En tout état de cause, s’il y a une chose dont il faut être reconnaissants aux Tunisiens, c’est d’avoir permis de vaincre la peur qui existait dans les pays du Maghreb et du Machrek.
Après cela, il faut regarder chaque pays dans ce qu’il est et éviter à tout prix –même si à l’heure de la mondialisation des ressemblances ou des aspects sont ici ou là identiques- de les confondre dans un même regard, ou une même analyse.
Confondre ces événements dans un même regard n’est-ce pas en premier lieu de parler en toute circonstance, de révolutions… ?
P.B. : Des mouvements profonds ne font pas pour autant des révolutions. Il faut éviter que les mots soient galvaudés. Dans les révolutions, il y aussi des contre-révolutions qui peuvent se produire et en France malheureusement, on en a une certaine expérience y compris dans la collaboration de certains révolutionnaires avec des contre-révolutionnaires … Et Robespierre en sait quelque chose !
Je pense que la révolution est un processus et pas seulement une explosion de départ. Dans chaque pays, il existe des situations bien particulières, chaque pays, aujourd’hui, à cette heure même, se trouve dans une situation différente soit parce qu’il a achevé un cycle, et que la lutte entre dans une nouvelle phase, soit parce qu’il est toujours dans cette première phase qui n’est toujours pas achevée.
A partir de cette constatation, il me semble qu’il faut éviter -ce que je fais dans l’Huma-, de parler à chaque fois de révolution à propos des événements. De nombreuses forces sont en présence, parfois contradictoires, et il faut entrer dans une analyse plus approfondie et ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie en est l’illustration. Au moment où un pouvoir en place saute, tout n’est pas fait, au contraire même, tout commence …
L’Egypte également connaît cette situation avec dans ce pays encore plus de manœuvres de la part de forces tant internes qu’externes. Avant de faire « sauter » Moubarak, on a tout de même assisté à la tentative de mettre en place Omar Souleiman, chef des renseignements égyptiens, véritable pion aux mains des Occidentaux dont le rôle était considérable y compris sur la question israélo-palestinienne. Ce n’est que lorsque cette tentative a échoué qu’a été prise la décision de faire sauter Moubarak. Décision d’autant plus urgente que les manifestants de la place Tahrir étaient rejoints par les ouvriers qui, dans les entreprises, commençaient à se mettre en grève, notamment dans le delta du Nil, dans l’industrie textile, changeant totalement en cela la donne de ce que l’on voulait simplement voir comme une révolution du XXIème siècle (Twitter, Facebook et autres …)
C’est pourtant ce que l’on continue à nous « servir » : Internet vecteur de révolutions…
Au niveau anecdotique, il faut savoir que les blogueurs libyens que j’ai rencontrés à Benghazi étaient en contact avec les blogueurs égyptiens qui allaient même jusqu’à leur indiquer en utilisant Google Map, les rues de Benghazi dans lesquelles on pouvait manifester car elles offraient la possibilité de s’échapper ; ces mêmes blogueurs égyptiens reprenaient des conseils que leur avaient donnés les Tunisiens comme celui d’utiliser des oignons pour se prémunir des gaz lacrymogènes, ces mêmes Tunisiens ayant été en contact avec les blogueurs de Belgrade eux –mêmes financés par la fondation Soros. Ces faits sont à prendre en considération, néanmoins, ce serait une grave erreur de réduire ces « révolutions » à la seule utilisation de Facebook et par là même de véhiculer la croyance que Facebook, en dehors de toute autre forme de lutte et de mobilisation, peut dispenser de toute structure de masse syndicale et politique.
Que je sache , ce n’est pas avec Facebook que les manifestants se sont protégés des balles que leur tiraient dessus les policiers tunisiens.
Vous avez parlé de cycles, de phases de lutte…
Effectivement, au fur et à mesure que le mouvement avance, on voit mieux émerger les questions qui sont posées, les forces qui commencent à se distinguer, les intérêts qu’elles défendent, ce que cela va produire par la suite On est dans un processus, encore loin d’une révolution aboutie d’autant que lorsque l’on entend Sarkozy soutenir une révolution, on est en droit de se demander ce que peut bien être cette révolution et que dire lorsque l’on voit que le sommet du G8 qui s’est tenu récemment à Deauville prétend soutenir les révolutions arabes. Lorsque l’on entend cela de la part d’une institution summum du néo-colonialisme, on est en droit de se demander de quelles révolutions il est question, de même que, quand l’OTAN bombarde des villes en Libye, je me demande ce que soutient l’OTAN et ce qu’elle apporte dans et avec ses bombes.
Justement quelles ont été les décisions adoptées par le G8 concernant la Tunisie ?
P.B. : Le sommet du G8 a été clair. On va débloquer de l’argent dans le seul but de créer les conditions d’un environnement économique favorable, en clair pour que nos entreprises puissent aller investir là-bas et dégager des bénéfices, c’est à dire faire de l’argent. A aucun moment, il n’a été dit qu’il fallait en finir avec l’exploitation honteuse des jeunes Tunisiens par les sociétés occidentales qui ne paient aucune taxe, aucune charge, et qui réalisent des profits colossaux dans un pays qui continue à s’enfoncer dans la pauvreté, et qui doit installer la démocratie et la liberté. Ces questions-là ne sont jamais posées.
En élargissant le champ que peut-on dire du jeu des puissances occidentales ?
P.B. : En Syrie, la question du régime autoritaire de Bachar El Assad est posée à juste titre et l’on ne peut que dénoncer la répression qui s’abat sur les manifestations qui ont lieu -et les premières sur les bases de la liberté, de la démocratie et de la justice sociale ont été pacifiques. Par la suite, il est indéniable que se sont greffées d’autres considérations, certaines forces ayant intérêt à déstabiliser le régime –c’est le cas en Libye également- a contrario lorsque l’Arabie Saoudite apporte son assistance au gouvernement du Bahreïn contre la révolte qui le conteste, on juge cela bien normal. En clair déstabiliser des régimes d’un côté et en soutenir d’autres tout aussi répressifs de l’autre mais toujours en fonction d’intérêts inavoués.
Concernant la Syrie, les raisons économiques internes n’ont-elles pas été déterminantes également ?
P.B. : Si les Syriens se sont révoltés pour la démocratie, la liberté –et la voie tunisienne a montré qu’il était possible de provoquer le changement-, évidemment c’est également parce que la politique menée par Bachar El Assad depuis dix ans est, au niveau économique, une politique libérale de privatisations, de mise en place de zones de libre échange avec la Turquie, de non-développement des infrastructures industrielles, qui a enfoncé le pays dans la pauvreté et de ces raisons économiques on ne parle jamais… si bien qu’en dernier ressort on exige que Bachar El Assad change son système politique mais pas son système économique parce que là d’importants intérêts sont en jeu.
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Qu’en est-il de l’influence des forces politiques et des islamistes en particulier?
P.B. : En Tunisie, et encore plus en Egypte, où les Frères musulmans représentent une véritable force, les mots d’ordre islamistes ou les mouvances comme Al Qaïda n’ont pas du tout eu voix au chapitre. En revanche, un certain aspect quelque peu nationaliste s’exprimait, avec, dans les rassemblements, la présence des drapeaux nationaux. En ce sens, et c’est un enseignement à tirer, durant les événements place Tahrir, il n’y a pas eu de référence à la Oumma, à la grande nation musulmane ou même à la grande nation arabe, mais les manifestants exprimaient, en revendiquant et en se réappropriant le drapeau national, la fierté d’un pays qui n’était plus un pays vendu, soumis, aux ordres de.
Néanmoins pour un observateur attentif aux processus en cours, il était évident que certaines choses se passaient, s’organisaient : les Frères musulmans se rassemblaient, même s’ils le faisaient de façon discrète, sans agiter de drapeaux verts ni sans entonner de chants religieux ; de la même façon, les syndicalistes et communistes s’organisaient également. Ainsi, s’il n’y a pas eu de discours politiques proprement dits place Tahrir, des signes commençaient à apparaître et je crois qu’il faut prêter attention à ce processus encore en cours. On ne peut pas faire l’économie d’une analyse de ce qui se passe et il continue de se passer des choses dans ces pays.
Est-il possible de dégager quelques éléments-forces du contexte dans lequel se déroule ce processus ?
P.B. : A un moment donné, les dictatures ont atteint leurs limites : la forme autoritaire de ces Etats n’étant plus adaptée aux affaires empêchait un certain nombre de développements économiques. Il fallait donc faire sauter ces verrous, non pas pour les besoins du peuple –on voit bien ce qui se passe en Irak, par exemple- mais pour répondre aux besoins à l’économie néo-libérale.
Pour ce faire, toutes les voies possibles vont être explorées et certaines inédites il y a peu encore. Ainsi, les Etats-Unis, aujourd’hui, ont changé d’attitude par rapport à l’islam politique et ils rentrent en négociation avec les talibans. S’ils s’entendent bien avec la Turquie, qu’ils restent un grand allié de l’Arabie Saoudite, on comprend alors qu’ils sont prêts à accepter un accord avec les tenants de l’islam politique, en Afghanistan comme ailleurs, du moment que cet accord se réalise dans un cadre général donné qui permet aux intérêts américains dans la région de ne pas être affectés.
Aujourd’hui donc la donne a changé, les Etats-Unis se satisfont d’un islam politique sur le modèle turc en place à Ankara et aujourd’hui Washington est prêt à discuter avec les Frères musulmans en Egypte.
A propos de l’Egypte, comment analysez-vous les résultats du référendum ? Quelles conséquences pour la suite ?
P.B. : D’abord, il est à noter que le premier référendum organisé par les militaires après le formidable mouvement égyptien n’a pas porté sur l’adoption d’une nouvelle Constitution qui représenterait le socle, la base essentielle d’un futur pays et d’autant plus d’une révolution. Il ne s’agissait en fait que d’amendements mineurs à la Constitution restée en vigueur. Ont appelé à voter « oui » à ces petites modifications les Frères musulmans et le PND, le parti de Moubarak. A l’inverse ont appelé à voter « non » tous les mouvements de jeunes qui avaient organisé les manifestations place Tahrir et les partis de gauche.
Alors même que le mouvement avait permis de débarrasser l’Egypte de Moubarak –mais pas de toute sa clique-, le « oui » l’a emporté à 70%, c’est à dire qu’avec ce résultat, les Frères musulmans et du PND peuvent se targuer d’une victoire politique dont les conséquences ont de quoi interroger et qui donne des indications sur le rapport de forces aujourd’hui et alors même que des élections -les législatives et la présidentielle- vont avoir lieu au mois de septembre.
Si on ne regarde que Le Caire où l’essentiel du mouvement s’est développé, on ne voit qu’une petite partie de la société égyptienne qui reste rurale pour une grande part. Cette constatation montre les difficultés rencontrées pour un réel changement de régime malgré la formidable mobilisation place Tahrir. Cela doit nous faire prendre en compte les difficultés auxquelles sont confrontés les progressistes en Egypte mais également en Tunisie, pour arriver à définir et mettre en place le type de société qu’ils veulent. En ce domaine, il faut le répéter, les choses ne sont pas déterminées et continuent à évoluer dans un sens comme dans l’autre.
La Tunisie va également connaître des élections à l’Assemblée Constituante, leur date a été reculée au 23 octobre. Quelle aide peut-on apporter aux forces progressistes ?
P.B. : Effectivement, les élections ont été reportées fin octobre. Cependant qu’il y ait un temps un peu plus long pour l’organisation des élections et que les partis puissent s’y préparer de la meilleure façon me semble important d’autant que toute vie politique et démocratique avait été anéantie, les partis d’opposition ayant été interdits et reconstruire un parti demande du temps.
A contrario, il faut également prendre en considération qu’il y a d’autres forces qui aujourd’hui sont activées –en Tunisie comme en Egypte, au Yémen et à Bahreïn, en Syrie et en Libye- et qui ne sont pas des forces progressistes comme celles liées aux régimes déchus qui n’ont pas été dissoutes et qui ont gardé intact leur potentiel de nuisance.
De notre côté, il ne nous faut pas juger ou donner des leçons mais nous interroger pour essayer de comprendre le rapport des forces en présence, avoir le courage de prendre un certain nombre de positions. Il nous faut éviter de rester à chaque fois simplement bouche bée, béats d’admiration parce qu’il y a des manifestations qui se produisent sans savoir vers quoi cela va aller.
Aujourd’hui, il y a un réel danger en Tunisie et dans le monde arabe et musulman plus largement, que les forces les mieux organisées, celles qui ont soutenu les dictatures, relèvent la tête et mettent en échec les forces progressistes longtemps muselées, emprisonnées, torturées, assassinées et qui pour ces raisons doivent se reconstruire.
La nature ayant horreur du vide, il y a danger que l’islam politique profite de la situation.
Que penser de la position du gouvernement français sur la Libye ?
P.B. : On a refusé en France, tout débat politique sur ce qui se passait réellement en Libye. On nous a vendu l’intervention militaire de la coalition dans un premier temps, puis de l’OTAN dans un second temps, en prenant prétexte d’un génocide ou d’un massacre en train de se perpétrer et qui allait se développer. Je suis allé en Libye, à Benghazi pour l’Humanité. La réalité est tout autre. Sans nier la répression qui a (eu) lieu, la réalité est qu’il n’y a pas eu les massacres annoncés. Au début des manifestations, un représentant libyen anti-Kadhafi a annoncé à Paris qu’il y avait eu 2 000 morts à Benghazi et dans les villes de l’Est de la Cyrénaïque et 6 000 sur l’ensemble du territoire. Au même moment, à Benghazi même, les médecins dans les hôpitaux chiffraient le nombre des morts à 250 ; même si ce sont 250 de trop.
Reste à savoir pourquoi la France et à sa suite l’OTAN ont voulu intervenir de cette manière-là en Libye, pourquoi elles laissent faire ailleurs mais surtout quels sont les plans qui sont à l’œuvre.
En dehors du fait que Sarkozy a voulu d’abord faire un coup médiatique à usage intérieur, tentant de se faire passer pour un grand chef militaire et redorer ainsi son blason, il est évident également que la France et les pays européens ont voulu changer de garde-côtes. En effet, le rôle assigné à Kadhafi, redevenu à l’occasion personnage fréquentable (visite de Blair en Libye, réception de Kadhafi à Paris dénoncée sans résultat par les députés communistes…) était la protection des frontières sud de l’UE en dressant un « mur » contre l’immigration, pour empêcher les populations subsahariennes d’atteindre l’Europe, tâche dont il s’est acquitté avec zèle. Fin novembre 2010, une importante réunion a eu lieu sur cette question à Tripoli à laquelle ont participé l’UE, les Etats-Unis, la Ligue arabe et une partie de l’Union africaine. Au cours de cette réunion, Kadhafi a fait monter les enchères, demandant des sommes d’argent énormes pour continuer à assumer son rôle de garde-côtes. Cela lui a été refusé.
Une autre raison reste évidemment le pétrole : comme par hasard, la partition qui s’est faite dans un premier temps délimite une zone où se trouvent l’essentiel des terminaux et une partie des champs pétroliers. Plus largement, et c’est pour cela que j’ai commencé mon entretien par une évocation du Soudan, aujourd’hui il existe bel et bien des plans de dépeçage de la région Maghreb-Machrek ou en tout cas du Moyen-Orient, pour en finir avec les Etats-Nations et leur substituer des Etats soit de type confessionnel soit des Etats constitués sur des zones géographiques, à partir des appartenances tribales des populations.
Aujourd’hui si l’enlisement se poursuit en Libye, on se dirige vers une partition de ce pays avec d’un côté la Cyrénaïque et de l’autre la Tripolitaine. La Syrie doit faire face au même danger : la Turquie a parlé à un moment d’établir une zone tampon entre la Turquie et la Syrie en faisant pénétrer des troupes turques sur le territoire syrien, prémisses à la création potentielle d’une zone à partir de laquelle des activistes pourraient mener des actions de nature à créer une situation propice au dépeçage de la Syrie tant et si bien qu’aujourd’hui les minorités ont peur de ce qui peut se passer. D’une certaine manière, malgré toutes les critiques que l’on peut formuler à son encontre, le régime de Bachar El Assad, parce qu’il se fonde sur une certaine laïcité, représente en quelque sorte une garantie pour les minorités. Or aujourd’hui, on essaie de transformer les revendications légitimes de départ du peuple syrien en une revendication qui prend une tournure de plus en plus religieuse voire ethnique en certains endroits…
Peut-on revenir un instant sur le changement d’attitude des Etats-Unis vis à vis de l’islamisme à la lueur des négociations qu’ils ouvrent ici et là ?
P.B. : L’un des marchandages, dans les négociations aujourd’hui avec les talibans, c’est pour les Etats-Unis d’obtenir la garantie que si les talibans remettent un pied dans le pouvoir, ils ne puissent mener d’actions de déstabilisation au niveau régional d’autant plus que les mouvements auxquels on assiste dans les pays musulmans ne manquent pas de produire des interactions géopolitiques internationales qu’il n’est pas toujours aisé de maîtriser pour les Etats-Unis.
Aujourd’hui, les Etats-Unis, par leur pragmatisme qui tranche avec les façons de faire du gouvernement français actuel par rapport à la Syrie, et même s’ils haussent le ton et disent pis que pendre du président syrien, n’en ouvrent pas moins, en ce moment, de source sûre, des négociations dans une capitale européenne avec des représentants du gouvernement de Damas.
En fin de compte, ce n’est pas que Bachar El Assad soit un dictateur sanglant qui déplaît aux Etats-Unis –ils se sont entendus avec Pinochet durant des années, avec le roi d’Arabie Saoudite, avec l’apartheid en Afrique du Sud, cela ne les gêne pas – ce qu’ils veulent, c’est que leurs intérêts dans la région soient non seulement protégés mais qu’ils puissent même se développer. La Syrie est dans leur point de mire parce qu’elle forme un axe avec l’Iran et l’un des moyens de déstabiliser l’Iran, c’est la question religieuse. Aujourd’hui, en Syrie, les Frères musulmans, opposés à Bachar El Assad, reçoivent une aide de la Turquie les, et les salafistes, influencés par le wahabisme sont aidés par l’Arabie Saoudite, allié inconditionnel des Etats-Unis et ennemi juré de l’Iran chiite.
Au niveau médiatique et de l’information, qu’en est-il du rôle joué par Al Jazira ?
P.B. : Al Jazira, il faut le rappeler s’est créée avec l’accord des dirigeants qataris et son premier dirigeant est très proche des islamistes politiques. En Libye, côté Benghazi, Al Jazira est devenue quasiment la télé officielle n’hésitant pas à utiliser l’intoxication : c’est le cas de l’annonce de la prise de certaines villes par les opposants à Kadhafi alors que l’on savait pertinemment que c’était faux. Me déplaçant avec la rébellion, il m’a été donné l’occasion de vérifier personnellement l’inexactitude des informations diffusées volontairement par cette chaîne.
Comment sont perçus en Israël les changements de régimes opérés par les événements dans les pays arabes ? Quelles sont les réactions chez les Palestiniens ?
P.B. : Face aux bouleversements en cours actuellement au Moyen-Orient, Israël reste silencieux. Tel Aviv se contentait bien des régimes en place en Egypte, en Tunisie et même en Syrie qui, malgré l’occupation du Golan par Israël, ne représentait plus une menace même si l’un des objectifs d’Israël reste de casser l’axe Damas-Téhéran afin d’isoler complètement l’Iran.
Il ne faut pas oublier que, sous Moubarak, l’Egypte était le seul pays arabe, avec la Jordanie, a avoir signé un traité de paix avec Israël, l’Egypte vendant même à Israël du gaz 40% moins cher que ce qu’elle le vendait aux pays arabes. Ce sujet –le positionnement par rapport à Israël- n’a pas été abordé immédiatement dans les manifestations mais il est apparu à la faveur des discussions place Tahrir tout comme d’autres revendications mettant en cause le rôle de leur pays pour qu’il ne soit plus un instrument docile de Washington, ce qui fait peur aujourd’hui aux Etats-Unis comme aux pays européens.
Côté palestinien, l’exemple tunisien a également eu un impact sur la jeunesse qui a manifesté en Cisjordanie et à Gaza pour obtenir l’unité du mouvement national palestinien. Avec le changement opéré en Egypte, cette mobilisation des jeunes a conduit à ce qu’un accord soit trouvé entre le Hamas et le Fatah. Même si cela reste encore insuffisant, certaines avancées sont significatives.
Ici en France, et plus largement dans les pays occidentaux, l’opinion publique mais surtout les citoyens ont manifesté un grand intérêt aux printemps arabes …
P.B. : Effectivement cette question des « printemps arabes » comme l’on dit, agite beaucoup de monde. D’abord parce que cela se passe de l’autre côté de la Méditerranée, et que ces événements ne manqueront pas d’avoir des répercussions ici même. Ces événements ont été l’expression du refus d’une jeunesse à être opprimée, précarisée, d’une jeunesse qui veut être reconnue. Cette jeunesse qui veut fabriquer son avenir voit son sort partagé peu ou prou par la jeunesse qui, en Europe aujourd’hui, a à faire face à d’importants problèmes. Ce qui se passe à Madrid, en Grèce, avec les jeunes Espagnols, les jeunes Grecs ou Portugais ou comme c’est souhaitable avec les jeunes Français, entre directement en résonance avec les luttes des jeunes Arabes qui ont montré l’exemple.
En conclusion, sur quel point insisteriez-vous plus particulièrement ?
P.B. : Il me semble important qu’une réflexion s’engage à partir d’une analyse de la situation, de chaque situation dans ce qu’elle a de spécifique. On n’assiste pas à un mouvement réductible à une seule cause et à une seule interprétation. Les choses sont en cours, tout progresse –It’s a work in progress- d’autre part, il est évident que les progressistes de ces pays ont besoin de notre aide et l’échange d’expériences et d’analyses entre eux et nous reste un élément fondamental.
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