Le 10 août, l’une des figures du mouvement antiraciste, Mouloud Aounit décédait. De la Marche des beurs à la présidence du Mrap, l’enfant d’Aubervilliers n’a jamais cessé de battre le pavé contre le racisme sous toutes ses formes. Ceux qui l’ont côtoyé témoignent.
il a fait ses premières armes de militant lors de la Marche des beurs de 1983
L’enfant d’Aubervilliers, né pourtant en Algérie en 1953, qui ne l’a pas vu naître mais où il est arrivé petit garçon, est resté toute sa vie durant attaché à la Seine-Saint-Denis. La marginalisation des territoires des banlieues françaises, les discriminations géographiques et ethniques, la précarité, Mouloud Aounit les a vus de près, dès son plus jeune âge. Ce qui est sans doute à l’origine de son militantisme. Adhérent du Mrap [Mouvement contre le racisme pour l’amitié entre les peuples] dès 1977, il a fait ses premières armes de militant lors de la Marche des beurs de 1983. Avant de devenir président de la fédération de Seine-Saint-Denis du Mrap, puis secrétaire général de l’association et porte-parole. Contre le racisme anti-maghrébin pendant les ratonnades, contre l’antisémitisme au temps fort du négationnisme, l’islamophobie dans les années post-11 septembre, la négrophobie plus récemment... Jusqu’à la lutte contre l’exclusion des handicapés, les expulsions des sans-papiers puis des Roms… Mouloud Aounit était de tous les combats. Allant jusqu’à s’engager en politique pour porter au plus haut les causes qu’il défendait. Elu en tant que tête de la liste de rassemblement menée par le Parti communiste lors des élections régionales de 2004, il est finalement recalé de tous les postes éligibles possibles par Jean-Paul Huchon lors de la fusion de cette liste avec celle du PS au second tour. En 2007, pour les élections présidentielles, il soutient publiquement la candidature de Marie-George Buffet. Ce qui lui vaudra d’être vivement critiqué. Mais c’est plus tard qu’il essuiera les plus vives critiques.
il n’est pas resté prisonnier d’une certaine manière de lutter contre le racisme plutôt classique et dépassée, celle des années 70, et qui avait comme principal défaut d’être peu présente dans les quartiers populaires. Il a été l’un des premiers à dire que le racisme n’est pas seulement le fait de l’extrême droite, mais que nous aussi nous avons une responsabilité, nous aussi à gauche reproduisons des schémas à l’origine de discrimination, notamment à l’égard de l’islam.
L’islamophobie, son dernier combat
Dans les années 2000, alors que l’islamophobie s’installe dans le paysage politico-médiatique français, il imposera, avec d’autres, le vocable « islamophobie » dans la lutte contre le racisme. Ce qui sera à la cause d’une véritable scission au sein du mouvement antiraciste français. Vivement critiqué, y compris par les siens, Mouloud Aounit ne baissera jamais les bras jusqu’à son dernier souffle. Le chercheur Vincent Geisser, qui co-réalisera un film sur lui, Mouloud Aounit, une marche pour l'égalité, avec Jean-Michel Riera, en témoigne : « Au début des années 2000, au contraire d’autres figures du mouvement antiraciste de gauche, il n’est pas resté prisonnier d’une certaine manière de lutter contre le racisme plutôt classique et dépassée, celle des années 70, et qui avait comme principal défaut d’être peu présente dans les quartiers populaires. Ce qui a été extraordinaire chez Mouloud, c’est qu’il est allé au-delà, justement parce qu’il s’est rendu compte qu’il y avait de moins en moins de personnes issus des quartiers dans les mouvements antiracistes. Il a renouvelé notre regard sur les discriminations. Il a été l’un des premiers à dire que le racisme n’est pas seulement le fait de l’extrême droite, mais que nous aussi nous avons une responsabilité, nous aussi à gauche reproduisons des schémas à l’origine de discrimination, notamment à l’égard de l’islam. Ce qui a fait qu’il a été particulièrement critiqué. Il a été détesté par ces anciens camarades de lutte. »
Lâché par ses anciens camarades
Les critiques, les caricatures, les calomnies, le militant de toujours s’y était habitué. Mais lâché par ses anciens camarades de manif, Mouloud Aounit ne s’en remettra jamais. « Jusqu’au bout il a maintenu le dialogue avec les autres associations antiracistes, insiste Vincent Geisser. Le racisme antimusulman, il en a fait une priorité sans pour autant abandonner la lutte contre l’antisémitisme pour les sans-papiers, les Roms… Mais, enfant d’immigré, il disait : « attention ! Le racisme d’aujourd’hui n’est pas celui qui a touché nos parents, mais celui que subissent des personnes qui sont françaises, pour leur appartenance réelle ou supposé à l’islam ». C’était une prise de conscience personnelle, parce que c’était un homme d’action. Il ne se sentait bien que quand il discutait avec les gens, dans les cafés, les marchés. Et pas seulement sur les plateaux de télévision et les réunions de section. Finalement, ses détracteurs auront raison de lui, il sera écarté de la présidence du Mrap. C’était dur. Je pense que cela l’a blessé. Même s’il avait beaucoup d’humour, là où il a été blessé, c’est quand ces attaques venaient de l’intérieur du Mrap. Quand on l’a mis en cause sur la sincérité de son combat. Il faut le dire, on a profité de sa maladie pour le dégager.»
Quand il est passé du racisme anti-arabe au racisme antimusulman, on ne pouvait plus le suivre. Nous ne partagions pas sa conception de l’islamophobie, perçue comme un pendant de l’antisémitisme.
A sa mort, les ennemis d’hier louent le militant de toujours
Pourtant, à l’annonce de son décès, ils étaient nombreux, y compris parmi ceux qui se sont opposés à lui, à rendre hommage au militant. A l’image de Gérard Unger, vice-président de la Licra et président de la fédération de Paris. « On s’est croisé dans les manifestations antiracistes dans les années 80 et 90, puis nos chemins se sont éloignés. Les différends sont nés sur l’islamophobie et la laïcité. Quand il est passé du racisme anti-arabe au racisme antimusulman, on ne pouvait plus le suivre. Cela n’enlève en rien à ce qu’était LE militant antiraciste dans les années 80. Et son action en faveur des quartiers populaires a été forte, réelle. » Mamadou Gaye, ancien secrétaire générale de SOS Racisme va dans le même sens : « Nous avons combattu ensemble dans les années 80 puis on a un peu croisé le fer sur sa lecture religieuse des problématiques liées aux immigrés en France. Nous ne partagions pas sa conception de l’islamophobie, perçue comme un pendant de l’antisémitisme. » En dépit de ses désaccords, Mamadou Gaye reconnaît à Mouloud Aounit le rôle, fondamental, qu’il a joué au sein du mouvement antiraciste français. « Il a apporté une dynamique au mouvement antiraciste français, concède-t-il. Je me souviens de quelqu’un qui vivait le combat dans ses tripes. Il avait en lui une forme de sincérité qui était louable. Il faut saluer sa régularité. Il n’a jamais manqué une commémoration de l’assassinat de Brahim Bouarram [NDLR : Marocain de 17 ans noyé dans la Seine le 1er mai 1995 en marge d’un défilé FN]. Il y avait dans son combat des contradictions. Comme nous tous, il a commis des erreurs. »
Il nous a passé le flambeau et nous a permis, malgré tout, de nous reconnaître dans les combats menés par les générations précédentes
Des Indigènes aux Indivisibles et aux associations de banlieue
Si ses anciens acolytes de sa génération ont fini par le lâcher, il a inspiré toute une génération de nouveaux militants, ainsi que l’explique Rokhaya Diallo, fondatrice et ancienne présidente des Indivisibles. « Je l’ai rencontré pour la première fois en 2004 je crois, quand je présidais le Conseil des jeunes à la Courneuve, se souvient-elle. Nous avions organisé un débat sur les discriminations. J’étais assez impressionnée par son talent d’orateur, il avait une force impressionnante. Dès qu’il prenait la parole, il avait une présence. Par la suite nous sommes restés en contact même si nous n’avons pas forcément réagi sur les mêmes choses. Dans l’affaire Zemour, où j’étais directement concernée [NDLR : lorsque Eric Zémour avait déclaré, sur un plateau de télé, s’adressant à Rokhaya Diallo, qu’il y a avait plus de délinquants chez les arabes et les noirs, le Mrap a décidé de porter plainte], cette chaîne s’est créée. Une chaîne symbolique même si nous n’avons pas travaillé ensemble. » Les Indivisibles étant devenus actifs au moment où la santé de Mouloud Aounit commençait à décliner et alors qu’il se faisait moins présent, « il a été un des déclencheurs qui m’a mis sur le chemin de la création des Indivisibles. Je considère qu’il nous a passé le relais. Alors que les associations classiques étaient complètement à côté de la plaque. Lui au contraire a pris conscience de la montée de l’islamophobie. Il nous a passé le flambeau et nous a permis, malgré tout, de nous reconnaître dans les combats menés par les générations précédentes. Il n’a pas été contaminé par le débat sur l’islam qui a contaminé tout le mouvement antiraciste de gauche. Aujourd’hui le choc de sa disparition nous fait comprendre que nous avons perdu l’une des grandes figures de la lutte antiraciste de sa génération. » Farid Temsaman, membre actif de l’association Banlieue +, d’Aubervilliers, s’inscrit également dans une forme de filiation avec l’engagement mené par Mouloud Aounit. « Je ne dirais pas qu’il nous a inspiré mais nous avons une forme de respect à son égard. Pour son parcours et son engagement. On est dans la même ligne que lui : il a été des premiers à avoir médiatisé la lutte contre le racisme lié aux pratiques religieuses. Nous, dans les quartiers, concrètement, il a nous a permis de voir autrement l’engagement. Il nous a montré qu’il n’y avait pas qu’une seule voix, qu’il était possible de changer les choses. Alors que les autres n’ont rien fait, au contraire. Son décès nous incite à être encore plus vigilants et à continuer son combat. Sans avoir la prétention de reprendre son flambeau. »
Commenter cet article