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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Monde arabe : la trouille des dictateurs (Michel Rogalski)

10 Mai 2011 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Monde arabe

La chronique de Recherches internationales

 

recherches internationales2MONDE ARABE :

LA TROUILLE DES DICTATEURS

 

Michel Rogalski

Directeur de la revue Recherches internationales

 

Il ne faut pas être avare de sa joie devant les révolutions démocratiques qui travaillent le monde arabe. Le côté imprévisible, voire inopiné, des bouleversements en cours doit faire trembler plus d’un dictateur et donner espoir aux peuples les plus dominés. Le renversement de ces dictatures doit moins à l’accumulation de luttes qu’à l’impéritie de ces régimes, à leurs lézardes et à l’épuisement de leur capacité répressive. Le fait qu’aucun parti ou force constituée ne puisse revendiquer la paternité de ces mouvements rend la situation fluide et encore largement ouverte. On appréciera combien, à l’heure où nous écrivons, cette séquence politique n’ait pas été aspirée dans les travers de conflits civilisationnels, communautaires ou religieux si prégnants dans la région. Et combien la situation reste ouverte au point que ces insurrections populaires ne peuvent être considéré comme terminées ou « sous contrôle ». Aucune force, interne ou externe, n’a encore pu les canaliser ou siffler la fin de la partie.

 

La source : les « transitions démocratiques » ?

 

tunisie-revolution-monde-arabe.pngMais le réalisme conduit à dire que ces « révolutions » ne sont pas des révolutions au sens d’un bouleversement en profondeur qui balaierait les bases anciennes. Elles s’inscrivent plutôt dans la parfaite continuité de ce que l’on désigne depuis une trentaine d’années sous le vocable de transition démocratique. L’Europe d’abord vit ainsi vaciller trois sinistres dictatures. L’enlisement colonial sera à l’origine de la « révolution des œillets de Lisbonne, la junte grecque chutera sur son bellicisme aventureux à l’égard de la Turquie, la fin du franquisme en Espagne sera négociée tout au long de l’agonie prolongée du dictateur. La vague latino-américaine suivra. Toutes les dictatures des années 70 durent passer la main (Brésil, Argentine, Chili, Paraguay, Philippines). Compromis souvent boiteux donnant naissance à des régimes hybrides - des “ démocratures ”, mélanges de dictature et de démocratie - où militaires tortionnaires et victimes durent apprendre à vivre ensemble à coup d’amnisties rétroactives symbolisant la fragilité des rapports de forces établis. Les oligarchies financières et militaires surent protéger et conserver l’essentiel de leurs privilèges. L’Afrique du Sud raciste, reconvertie en nation « arc-en-ciel » sut réconcilier, pardonner et amnistier, tribut donné à la paix civile. Pour les dizaines de millions d’hommes qui subirent longtemps le joug d’une vie sans espoirs ce fut une délivrance que beaucoup n’aurait pas cru pouvoir connaître. Elle fut vécue dans la joie et la fierté. Mais l’on se doit de reconnaître que beaucoup de ces évolutions positives n’eurent pas la capacité de résister à la vague néolibérale qui parcourut le monde.

 

Ces transitions constituèrent l’aboutissement de l’accumulation de longues luttes, souvent incarnées par des partis et des leaders charismatiques. Elles s’inscrivirent dans un schéma d’évolution assez traditionnel qui marquait alors les formes de la vie politique.

La façon dont les dictatures arabes s’effondrent aujourd’hui interpelle fortement ce cadre ancien mais aussi la façon dont les experts occidentaux tenaient les peuples arabes, soi-disant incapables de se gouverner, soumis à des préjugés moyenâgeux et religieux rétrogrades, inaccessibles aux valeurs universelles de la modernité. De telles nations ne pouvaient êtres dotées que de régimes forts afin de tenir les populations victimes de telles calamités. L’Occident s’est toujours parfaitement accommodé de tels régimes et a su nouer avec ses dignitaires, y compris les pires, les meilleures relations.

 

Mais une singularité nouvelle

 

Pas de leader charismatique, pas de parti ou d’organisation, pas de programme. Juste la fin de l’humiliation et le départ des despotes. On est loin de la vision traditionnelle des luttes du XXème siècle. Quand Khomeiny renverse le shah d’Iran ou quand les Talibans s’emparent de Kaboul, on est dans un tout autre schéma, beaucoup plus classique. C’est pourquoi l’incertitude est forte sur l’issue. Si impasse il y a, alors le religieux et les forces de coercitions reprendront le dessus.

Tout est donc parti de ce qu’il est convenu d’appeler la société civile. Mais précisons que la société civile ne peut être regardée comme dans les démocraties occidentales où elle s’est souvent construite en opposition au politique qui a déçu. Elle y est souvent le lieu d’un réinvestissement militant et fait figure de légitimité concurrente. Rien de tel dans les régimes politiques arabes autoritaires, répressifs et dictatoriaux. Il n’y a pas d’antagonisme. L’organisation politique est interdite de fait, ainsi que l’accès aux élections. La société civile devient le seul lieu de résistance possible où se replient les militants politiques. Elle ne se construit donc pas contre le politique, elle le protège. Les islamistes l’ont compris très tôt en quadrillant ces pays d’organisations caritatives et d’entraide sociale, se nourrissant ainsi des défaillances de l’état protecteur.

La jeunesse, souvent formée et éduquée, mais massivement chômeuse a joué un rôle décisif dans le déclenchement et l’accompagnement du processus. Elle a été servie par des réseaux sociaux appuyés sur la technologie internet (Facebook et Twitter), ce qui accroît le coût de la répression. Avant on pouvait cacher, du moins pendant un certain temps. Aujourd’hui, c’est inimaginable. Tout est relayé instantanément en boucle autour de la planète. Le poids des images est dévastateur. Le monopole et le contrôle de l’information s’avèrent désormais impossibles. Toute contestation sociale et syndicale est répercutée et ne peut plus être passée sous silence. De même, l’accès aux medias internationaux est devenue la règle. La communication a rétréci la planète et interdit tout recoin caché ou toute zone d’ombre. Big Brother n’est plus seulement au service des puissants.

Les appareils policiers de ces régimes, habiles à surveiller, quadriller, organiser la délation, arrêter, torturer, furent dépassés par l’ampleur du phénomène. Et il suffit que les armées hésitent, incertaines de l’évolution, pour que tout bascule.

Certains purent s’autoriser à croire, un peu rapidement, que la chute du mur de Berlin ou l’effondrement du monde soviétique signifiaient la fin de l’Histoire, ou que celle-ci ne saurait plus se poursuivre qu’au travers de convulsions ethnico-religieuses, communautaires ou civilisationnelles. Cette prédiction, et non prescription comme trop souvent interprétée, peut s’alimenter ça et là de quelques actualités, mais le fait demeure que la trame explicative du mouvement du monde à l’aube du siècle naissant tient bien plus à la soif montante qui parcourt la planète à la recherche de plus de démocratie et de liberté, de justice, d’égalité, de transparence, de promotion humaine et de dignité, bref d’une volonté de développement maîtrisé bien éloigné de modèles de sociétés figées, rétrogrades ou sous tutelle religieuse. Les « experts orientalistes » occidentaux ont été démentis.

 

La mort du principe de la responsabilité de protéger ?

 

Le principe de responsabilité de protéger, contrepartie du principe de souveraineté, dont l’idée constituait un progrès de l’ordre international, a bien mal démarré sa carrière. Initialement conçu pour se démarquer du « principe d’ingérence humanitaire » et adopté en 2005 par les Nations unies, il sera invoqué pour donner un habillage légal à l’intervention en Libye et lancer l’opération d’assistance à une composante de ce qui est apparu bien vite comme une guerre civile. Permettre à la communauté internationale de se porter au secours d’un peuple menacé par les exactions de masse de son gouvernement, ou que celui-ci est incapable d’empêcher, ne doit pas être discuté. En détourner l’usage, pour aller armer et entraîner un camp, en confier la tâche à l’OTAN, proclamer comme le réclament ensemble Sarkozy, Obama et Cameron qu’il s’agit au final de renverser un régime, constitue une faute qui tuera le principe même au nom duquel on prétend agir.

Arme entre les mains des puissants, ne pouvant concerner que les pays faibles puisqu’il suppose la mise en œuvre de moyens militaires, ses modalités d’usage révèlent une mécanique diabolique. Choisissez un pays, plutôt petit et exotique, commencez une manœuvre de déstabilisation, fomentez quelques troubles, bref engagez un conflit de basse intensité qui inévitablement dégénèrera en troubles et répression. Les conditions seront ainsi réunies pour mobiliser le principe et en appeler à la communauté internationale à l’abri de laquelle il sera possible d’envisager l’action militaire qui renversera le régime. Il est vraisemblable que l’expédition libyenne sonnera le tocsin du principe de la responsabilité de protéger. Il n’y a pas lieu de s’en réjouir.

 

L’espoir qui s’est levé sur l’Arabie ne méritait pas cela.

 

Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.

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