Libye : les raisons inavouables d’une intervention (militants du MRAP)
Après les interventions calamiteuses en Afghanistan et en Irak, faire admettre à l’opinion publique occidentale que l’intervention en Libye avait été décidée pour des raisons humanitaires représentait une gageure insurmontable, une escroquerie politique.
L’argument mis en avant –la lutte contre les agissements meurtriers d’un dictateur -s’est doublé dès le début par celui d’un soutien à une opposition libyenne bien discrète jusque là et dont les contours, la composition et le projet politique restent encore aujourd’hui bien imprécis. Ainsi personne ne sait ce que représente réellement le CNT si ce n’est qu’à sa tête se trouvent d’anciens ministres de Kadhafi, dont celui de la Justice qui occupait le poste de Président de la Cour d’Appel de Libye lorsque la peine de mort contre les infirmières bulgares et le médecin palestinien a été ratifiée.
Dans ce contexte, la réception par le président Sarkozy des émissaires des insurgés, la rapidité de la reconnaissance par la France du gouvernement de Benghazi montrent à l’évidence que l’intervention militaire et les modalités y afférant étaient programmées depuis un certain temps déjà et, qu’en la circonstance, on a assisté à un scénario écrit à l’avance dans lequel le déclenchement de l’offensive contre le régime Kadhafi a été décidé à la faveur des révolutions arabes, au moment le plus opportun.
Si la Libye a pu, à la fin de la décennie 80, être présentée comme un régime terroriste par les Etats-Unis et les gouvernements occidentaux –attentats de Lockerbie et contre l’avion d’UTA aidant- depuis quelques années, le gouvernement Kadhafi ne fait planer plus aucune menace jusqu’à devenir l’un des atouts maîtres des pays riches de la rive nord de la Méditerranée dans leur lutte contre l’immigration « clandestine ». Le rôle joué par la Libye dans le refoulement et l’enfermement d’immigrés sub-sahariens à destination de l’Europe et pour lequel elle reçoit de l’argent de l’UE ne peut être ignoré.
Les liens avec le Président du Conseil italien Silvio Berlusconi comme la réception officielle de Kadhafi par le président Sarkozy en décembre 2007 attestent du réchauffement des relations avec la Libye, en sorte que l’intervention ne peut avoir pour raison la lutte contre une quelconque menace venant du régime de Tripoli.
Malgré les risques d’enlisement et des coûts financiers énormes s’ajoutant à ceux des guerres en Afghanistan et en Irak, si Washington a « suivi » la France dans sa volonté d’intervenir en Libye, c’est bien parce que dans la balance des profits et pertes, l’intervention représente pour les Etats-Unis un certain nombre d’avantages majeurs.
· La chute des dictatures en Tunisie et en Egypte, l’intervention des peuples dans les choix politiques font craindre au gouvernement de Washington une perte de contrôle sur ces pays et une réactivation du rôle que pourrait dès lors jouer Kadhafi dans la construction d’un axe possiblement hostile aux Etats-Unis. En ce sens, la prise de pouvoir en Libye de forces dépendant directement de l’appui des Etats-Unis et soumises par là même à leur volonté, l’établissement d’un gendarme pour se prémunir des dangers potentiels pour eux d’une démocratisation qu’ils ne pourraient contrôler des pays arabes, représentent pour Washington, un élément de stabilité et une garantie face à une situation qui mettrait en cause leurs intérêts. A ce stade, après la mise à la porte de Moubarak, le principal allié de Tel Aviv dans la région, des considérations liées à Israël ne peuvent évidemment pas être ignorées.
· L’influence de Kadhafi dans les pays africains auxquels la Libye apporte un concours financier direct ou indirect par l’intermédiaire d’un grand nombre de travailleurs d’Afrique noire immigrés en Libye est une réalité. Les aides qu’elle octroie à ces pays pour qu’ils soient moins exposés aux contraintes économiques imposées par l’Occident et ses vassaux du FMI vont directement à l’encontre des intérêts des puissances néo-coloniales.
Dotée de ressources naturelles que convoitent bien des sociétés et groupes occidentaux, l’Afrique, comme l’ont bien compris les Chinois, représente une sorte de nouvel Eldorado. En s’attaquant au pouvoir libyen, en plaçant l’intervention sous le contrôle de l’OTAN, les Etats-Unis poursuivent un double objectif, celui de se débarrasser d’un gêneur, mais surtout d’installer durablement en Libye des forces militaires afin de contrôler au mieux un continent africain qui représente un réservoir de matières premières plein de promesses et objet de toutes les convoitises.
D’autre part, la situation géostratégique de la Libye lui confère une grande importance, ses frontières avec des pays sensibles comme le Soudan, le Niger, le Tchad sans oublier les zones où opère AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique) explique également la volonté des Etats-Unis d’établir une tête de pont en Libye.
· La question des ressources pétrolières ne doit bien entendu pas être oubliée . Alors que la production d’énergie nucléaire se trouve remise en cause et face à la pénurie mondiale de pétrole à laquelle les économies vont être confrontées, les Etats-Unis cherchent, dans une situation de compétition exacerbée, à s’assurer une situation de monopole sur l’approvisionnement en pétrole, et le contrôle sur la production libyenne, certes modeste (1 à 2% de la production mondiale) représente néanmoins une des raisons de leur participation à l’intervention.
Ce sont ces mêmes raisons d’approvisionnement en pétrole tout comme les éventuels investissements et contrats énergétiques, industriels ou d’équipement qui expliquent la célérité avec laquelle la France a reconnu le gouvernement de Benghazi (il ne faut pas oublier que la région de Benghazi et le bassin de Syrte représentent 80% des ressources pétrolières libyennes). Ces mêmes raisons expliquent également les dissensions entre pays européens qui chacun tente de jouer la propre carte de ses intérêts.
Le Conseil de sécurité de l’ONU a chargé l’OTAN de « défendre les civils » libyens et pourtant ce sont les civils qui continuent à payer comme en Afghanistan un lourd tribut, fait qui justifie à lui seul l’opposition à cette guerre. Par ailleurs, les attaques de l’OTAN dépassent de loin la mission assignée par l’ONU, à tel point que des pays se sont retirés de la coalition, d’autant que les bombardements ne font qu’entretenir l’état de guerre, prolonger le conflit et augmenter l’intransigeance des rebelles comme celle de Kadhafi. Ils ne font que repousser toujours à plus tard les nécessaires négociations.
Par ailleurs, la partition de la Libye représente un danger qu’il ne faut pas sous-estimer. Rendu exsangue par une guerre qui l’aura affaibli, et quel que soit le résultat de celle-ci, chaque camp n’aura plus les forces nécessaires pour résister aux pressions et assurer sa véritable indépendance. Ainsi la Libye une et indivisible ou une Libye partagée entre deux entités n’aura plus les mêmes capacités de résister tant un pays affaibli par la guerre se retrouve facilement mis en position de tutelle et de dépendance. En cela, la continuation de la guerre représente une bonne opération pour les pays de l’OTAN.
En France, les positions de Sarkozy à propos de la Libye ne peuvent faire oublier ni les errements de son gouvernement lors de la « révolution tunisienne », ni le triste spectacle offert par notre président lors de la visite de Kadhafi à Paris. Rechercher dans l’intervention menée en Libye une sorte de brevet de démocratie et de respect des droits de l’homme ne représente qu’une désolante tentative de Nicolas Sarkozy de redorer son blason et la course aux contrats économiques qui explique en partie l’engagement de la France a quelque chose de misérable. La moindre manifestation de solidarité et d’humanité serait de ne pas fermer les portes aux réfugiés fuyant la guerre et le courage politique serait de mettre fin à une intervention qui n’a que trop duré, qui montre à l’évidence ses limites et ses conséquences désastreuses.
Avant de coiffer en cas d’échec un chapeau que les Etats-Unis s’empresseront de lui faire porter, la France doit se retirer de la coalition et œuvrer à une issue négociée, c’est ce que le MRAP attend du gouvernement français avant même le débat au Parlement prévu le mois prochain.
Le 21 juin 2011
Texte collectif d’un groupe de militants
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