Lettre ouverte de l’UJFP aux signataires de l’appel intitulé : « Pour une nouvelle politique de l’Union Européenne au Proche-Orient »
Cher-es camarades,
Le Bureau national de l’Union juive française pour la paix (UJFP) tient à vous exprimer les raisons pour lesquelles votre appel nous semble infondé et inopportun.
Certes, demander des sanctions à l’Union Européenne comme vous le faites est absolument nécessaire, c’est ce à quoi s’emploie le mouvement de solidarité dont nous faisons partie depuis plus de 10 ans. Réaffirmer cette nécessité n’est donc pas une découverte, tant il est clair pour nous tous que l’obtention de sanctions de l’UE reste l’objectif majeur, le seul de nature à obliger Israël à changer de politique.
Pourtant votre texte ne précise pas que depuis plus de dix ans, malgré tous nos efforts associés, et encore aujourd’hui, nous nous heurtons à une Union Européenne dont ce n’est absolument pas l’objectif. Bien au contraire l’Union Européenne, non contente de refuser toute mesure coercitive à l’égard d’Israël, n’a de cesse de renforcer ses liens avec Israël, malgré sa politique, malgré ses crimes, malgré le rapport Goldstone sur Gaza, malgré les rapports des propres experts de l’UE. Bien que les eurodéputés s’y opposent constamment et fermement, l’UE a récemment (22 février) rehaussé de facto son accord d’association avec Israël.
La vraie question demeure à nos yeux, et si l’on ne souhaite pas en rester au stade des vœux pieux : comment ?
Comment faire pression sur l’UE afin de l’obliger, contre sa volonté exprimée et réitérée, à prendre des mesures sanctionnant la politique israélienne ?
A cet égard, votre lettre ne mentionne pas l’ appel palestinien du BDS de 2005. Faut-il rappeler qu’il émane pourtant de 172 associations, syndicats, partis, représentant largement la société civile palestinienne, et qu’il propose une stratégie en trois points : B pour Boycott , D pour Désinvestissement et S pour Sanctions.
Dans un appel au boycott, le fait que les victimes d’une situation appellent le monde à se solidariser par le boycott est évidemment décisif. La moindre des choses est de tenir compte de leur argumentation.
C’est d’abord important pour répondre à tous nos adversaires qui argumentent sur le thème « le boycott pénalise d’abord les Palestiniens, ce sont eux qui vont y perdre travail et revenus ». Soit dit en passant, c’est ce que disaient les bonnes âmes qui tout en s’affirmant hostiles à l’apartheid sud-africain récusaient l’arme du boycott. Et déjà la campagne anti Outspan disait « Ce sont les représentants qualifiés des Noirs de la République Sud-Africaine qui appellent au boycott, ils savent les risques et les sacrifices qu’ils prennent. Boycotter, c’est les respecter ».
Ensuite, cet appel de l’ensemble de la société civile palestinienne, veut agir pour l’unité du peuple palestinien, malgré l’éclatement organisé par l’Etat israélien entre Cisjordanie, Gaza, Jérusalem Est, Palestiniens de 48 et réfugiés hors Palestine. Et donc ce n’est pas une campagne qui porte uniquement sur le retrait des territoires occupés de Gaza et de Cisjordanie, mais également sur le droit au retour des réfugiés et sur le refus des discriminations au sein de l’État israélien. Il ne s’agit pas de maximalisme, mais de simple respect du droit international, des résolutions et de la Charte de l’ONU.
En appelant au boycott des seuls produits des colonies, vous ne répondez qu’en partie aux objectifs visés par la campagne du BDS telle qu’impulsée par les principaux intéressés.
Avec la plupart d’entre vous, nous avons signé l’appel souvent connu sous le nom d ’« Appel Hessel » pour dénoncer les poursuites contre tous ceux qui avaient préconisé le boycott sous une forme ou sous une autre, quelle que soit la position de chacun des signataires sur le sujet : boycott du régime, boycott des produits des colonies ou contre le boycott.
Bien sûr, il est légitime pour les partisans du seul boycott des produits des colonies de développer leur argumentation. Toutefois, nous ne voudrions pas qu’à l’extérieur certains lisent ce nouvel appel comme un correctif de l’Appel Hessel . Ou que, sans égard pour l’argumentation commune que nous avons eue contre les poursuites judiciaires, ils considèrent que vous ne défendez le droit qu’à certaines formes de boycott, alors que les procédures suivent leur cours et que, malgré les points que nous avons marqués ensemble, la relaxe des mis en examen est loin d’être assurée.
Par ailleurs, vous omettez de dire que l’Etat d’Israël , comme l’a montré la campagne contre Brita-Soda Club, est reconnu par la Justice européenne comme en infraction permanente sur l’étiquetage de ses produits, car il refuse de reconnaître aujourd’hui mêmes les frontières de 1967. C’est ce que le constat d’huissier sur les marchandises Agrexco dans le port de Sète vient de confirmer. Dès lors, il faut dire aux consommateurs que la seule solution s’ils veulent être sûrs de ne pas acheter un produit des colonies, c’est de ne pas acheter israélien. C’est d’ailleurs précisément la position du Collectif National pour une Paix Juste entre Israéliens et Palestiniens, que certaines de vos organisations ont adoptée.
Enfin, votre choix nous semble faire l’impasse sur le travail d’information et de mise à jour, réalisé notamment par la campagne « Who profits ? » créée et animée en Israël par la « Coalition des Femmes pour la Paix », sur les profits que la plupart des entreprises israéliennes et de fort nombreuses sociétés multinationales tirent de la colonisation. Impasse sur le travail du « Centre d’ Information Alternative » (AIC) sur l’implication directe du système universitaire, et d’autres institutions israéliennes dans l’occupation et la colonisation. Impasse enfin sur le mouvement « Boycott From Within » constitué de plusieurs associations et individus d’Israël, qui soutiennent l’appel palestinien du BDS et appellent au boycott du régime, de ses institutions, et de ses produits, eux-mêmes pouvant difficilement boycotter toutes les productions israéliennes...
Nous percevons votre démarche comme une façon de répondre à l’argument qui prétend qu’en boycottant tous les produits israéliens (et ses institutions si on fait référence au boycott culturel universitaire et sportif), on veut la destruction de l’Etat d’Israël.
Il y a là un sophisme.
Contre l’apartheid en RSA, la campagne menée ne proposait pas de ne boycotter que les produits des bantoustans. Mais ce sont bien les structures du Régime de l’Etat sud-africain qui étaient visées.
En Israël, ce sont bien les éléments structurels d’un régime politique que nous visons : Occupation, Colonisation, mais aussi Discriminations inscrites dans la législation. Nous visons les institutions universitaires qui sont activement et directement impliquées dans ces discriminations, dans l’occupation et la colonisation et nous visons les institutions culturelles qui tentent de diffuser dans le monde, contre toute réalité, l’image de marque d’un Israël démocratique.
Nous sommes favorables au droit pour un collectif juif de vivre en Palestine, dans les limites de l’Etat israélien actuel, aux côtés d’un Etat palestinien, ou dans le cadre d’un seul Etat sur le territoire de la Palestine mandataire. Mais ce collectif ne peut espérer vivre durablement en paix dans cette région du monde sans reconnaître les droits du peuple palestinien et sans reconnaitre la Naqba. Il n’est pas « réaliste » de vouloir tabler pour la paix sur de nouveaux renoncements palestiniens, et d’accepter un « Etat juif et démocratique », c’est-à-dire démocratique pour les Juifs et opposant son caractère juif aux revendications palestiniennes.
Votre appel nous semble à ce titre participer au maintien du rapport de forces en vigueur. Ce faisant, il méconnaît le fait majeur qui est que pour la première fois en dix ans, grâce à la campagne internationale du BDS, Israël manifeste ouvertement son inquiétude quant à sa position internationale et que précisément « les lignes commencent à bouger. » Or c’est là tout notre espoir.
L’UJFP,
Salutations militantes
Le 11 mars 2011
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Appel : « pour une nouvelle politique de l’Union Européenne au Proche-Orient »
Il faut des sanctions contre la politique israélienne et ceux qui la mènent. L’impunité, c’est l’assurance que se perpétuera la même politique. Pourquoi ? Parce que les gouvernements israéliens successifs s’obstinent à nier les droits fondamentaux du peuple palestinien, à saccager le contenu de tous les accords de paix proposés depuis ceux d’Oslo. Ils violent le droit international dans l’impunité. Ils poursuivent la colonisation de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie. Ils ont martyrisé Gaza sous prétexte de réponse à des tirs de roquettes aveugles – certes condamnables. Ils ont provoqué un bain de sang lors de l’opération contre la flottille humanitaire. Sanctionner la politique israélienne apparaît aujourd’hui comme une nécessité si on veut faire avancer la cause d’une paix juste au Proche-Orient, c’est-à-dire le respect des droits du peuple palestinien, de sa sécurité et de la sécurité du peuple israélien.
Des sanctions ? Mais quelles sanctions ? La question nécessite une clarification. Si l’on est partisan, comme nous le sommes, de contribuer à réaliser les conditions d’une paix juste et durable, la première exigence est la suspension de l’accord préférentiel entre l’Union européenne et l’État d’Israël. Ne pas le suspendre encourage une politique qui nie en permanence les droits humains les plus élémentaires. L’Union européenne a par ailleurs adopté des textes, relatifs à la traçabilité des produits israéliens ou supposés tels, qu’elle n’applique que de façon partielle et insuffisante. Les investissements d’entreprises européennes qui facilitent la colonisation ou en profitent doivent cesser.
Suspendre l’accord préférentiel jusqu’à ce qu’Israël s’engage réellement dans un processus de paix, appliquer les textes qui interdisent aux produits des colonies d’être importés en Europe sous label israélien constituent à nos yeux des objectifs politiques immédiats, crédibles, justes, efficaces, rassembleurs. Les paroles creuses de soutien aux droits palestiniens, démenties par les encouragements de facto à la politique qui les nie, laissent le champ libre aux dirigeants actuels d’Israël. Que change cette situation, et demain des négociations pourront reprendre avec comme préalable le gel des colonies, pour aboutir au retrait israélien sur les frontières de 1967, à un accord sur Jérusalem, capitale partagée, et à une solution négociée du problème des réfugiés sur la base des résolutions de l’ONU.
C’est dans cette perspective que nous rejetons deux positions antagonistes. D’un côté celle qui prône le boycott total d’Israël, mesure proclamée radicale ; d’un autre côté celle des forces qui n’ont jamais agi pour que l’Union européenne exerce une pression réelle sur la politique israélienne et prennent prétexte de la prétendue radicalité du boycott total, qualifié de campagne de haine, pour exiger d’inacceptables censures ou poursuites judiciaires. Nous considérons qu’il faut être aux côtés des progressistes israéliens, qui soutiennent le boycott des produits des colonies, comme aux côtés des progressistes palestiniens. Nous soutenons la demande de hauts responsables palestiniens pour une action vers l’Union européenne, en vue de sanctions efficaces, et non du boycott total d’Israël.
La lutte pour des sanctions à l’encontre de la politique israélienne doit s’accompagner de clarté sur les objectifs poursuivis et sur les moyens de lever les obstacles. Seule cette clarté permettra de convaincre ; elle seule permettra l’union la plus large pour que cesse enfin un conflit meurtrier, absurde en tout point car les conditions du règlement pacifique juste et négocié sont connues et elles s’imposeront. Elle seule permettra à l’indignation de trouver son prolongement efficace et sa contribution au rétablissement du peuple palestinien dans ses droits fondamentaux. Nous nous y engageons, nous vous y engageons.
Premiers signataires :
Gérard Aschieri, enseignant, syndicaliste ; Raymond Aubrac, résistant ; Claudie Bassi-Lederman, universitaire ; Sophie Bessis, universitaire ; Nicole Borvo Cohen-Seat, sénatrice PCF de Paris ; Ian Brossat, président du groupe PCF-PG au Conseil de Paris, élu du 18e ; Marie- George Buffet, députée PCF ; Jean-Pierre Cabouat, ancien ambassadeur, membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ; Alice Cherki, psychanalyste et essayiste ; Maurice Cling, ancien déporté, professeur d’université honoraire ; Michel Dreyfus, historien ; Simone Dreyfus-Gamelon, anthropologue, directrice d’étude à l’Ehess ; Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme ; Olivier Gebuhrer, mathématicien, MCF honoraire, coanimateur d’Une Autre Voix juive ; Stéphane Hessel, ambassadeur de France ; Isaac Johsua, économiste ; Pierre Kalfon, écrivain, journaliste ; Henri Leclerc, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme ; Pascal Lederer, physicien, coanimateur d’Une Autre Voix juive ; Michael Löwy, sociologue, philosophe, directeur de recherche émérite au CNRS ; Gilles Manceron, historien, viceprésident de la Ligue des droits de l’homme ; Sylvie Mayer, députée au Parlement européen 1979-1994 ; Yvon Quiniou, philosophe ; Maurice Rajsfus, président de l’Observatoire des libertés ; Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT ; Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme ; Pierre Villard, coprésident du Mouvement de la paix ; Roland Wlos, ancien conseiller municipal de Paris
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