Le MRAP et l'islamophobie : projet de résolution présenté à l'AG du 21 juin 2014
L'islamophobie est un racisme, reconnu comme tel par le MRAP en 2004.
1. Commençons par rappeler quelques faits et principes de base.
Le mot islamophobie n'a pas été inventé vers 1980 par des mollahs iraniens, il a été créé en 1910 par des ethnologues coloniaux français, avec le sens toujours actuel d'hostilité envers les musulmans.
Le mot ?
Le mot « islamophobie » permet de mettre un mot sur une réalité sociale. Il permet de nommer un processus social de racialisation qui s'appuie sur l'appartenance réelle ou supposée à la religion musulmane dont les modalités varient en fonction des contextes nationaux et des périodes historiques. Aujourd’hui, la liaison religion/fondamentalisme/terrorisme cible essentiellement l’islam.
C'est la remise en cause de la légitimité de la présence musulmane sur le territoire national.
C'est une nouvelle forme de racisme. L’islamophobie est un refus de l’égalité.
L'autre est infériorisé dans tous les domaines de la vie sociale et sociétale, en particulier les femmes, une fois de plus instrumentalisées.
L'islamophobie n'est pas plus une critique de la religion musulmane que l'antisémitisme n'est celle de la religion juive, même si islamophobes et antisémites cherchent des prétextes à leur haine dans tel ou tel texte religieux. La critique et la défense des religions dans tous leurs aspects (dogmes, institutions, etc.) sont libres. Mais elles ne doivent pas déboucher sur la haine des fidèles encourager les conflits inter-religieux. Essentialiser (« les juifs, musulmans, chrétiens, etc.. sont ceci ou cela ») commence par un manque de connaissances, de rigueur intellectuelle et débouche le plus souvent sur le racisme. Les prétextes au racisme peuvent être biologiques, mais ils sont aujourd'hui plus souvent culturels, philosophiques ou religieux.
L'islamophobie n'est pas le racisme anti-arabe. Les islamophobes s'attaquent aussi, en toute connaissance de cause, aux Sénégalais, Iraniens, Turcs, Indonésiens, …. qui ne sont pas des Arabes. Et les thèmes de la propagande islamophobe ne sont pas ceux du racisme anti-arabe.
La laïcité n'est pas l'opposition à toute croyance et/ou manifestation publique d'une conviction religieuse. C'est l'indépendance de l’État, des lois, des administrations par rapport aux références et appareils religieux. L'Etat doit garantir à tous la possibilité d'exprimer ses convictions, ses croyances religieuses et doit garantir les libertés de chacun, liberté de penser, de s'exprimer en public. En France, la liberté de conscience et de culte est assurée par la République laïque, mais ni les personnes, ni les institutions privées, ni même la société en général ne sont tenues d'être laïques, ni neutres.
C'est donc à juste titre qu'en 2004, le MRAP a reconnu que le combat contre l'islamophobie avait toute sa place dans le combat contre le racisme en général.
2- Cette islamophobie a plusieurs visages :
Islamophobie bestiale, qui assume son racisme : tags nazis, d'extrême-droite sur des mosquées, des tombes.
Islamophobie identitaire, au nom d'une identité française ou européenne fantasmée, qui exclurait les religions « allogènes1 ».
Islamophobie « savante », qui consiste à déconstruire toute l'histoire des relations entre les aires civilisationnelles musulmanes et chrétiennes depuis 14 siècles, à nier l'apport des sociétés musulmanes au patrimoine commun de l'humanité2.
Islamophobie religieuse, le plus souvent chrétienne, de nostalgiques des croisades et de la Reconquista.
Islamophobie impérialiste et/ou colonialiste, pour justifier une politique internationale fondée sur des rapports de force, depuis les conquêtes coloniales jusqu'aux guerres contre « l'axe du mal ». Cette même islamophobie nie aussi les droits du peuple palestinien.
Islamophobie hypocrite, de personnes qui commencent par protester de leur volonté de lutter contre le « racisme anti-musulman », mais qui ne parlent des musulmans (individuellement ou en groupes) que pour mettre en avant, le plus souvent de façon non vérifiable, des comportements éventuellement condamnables. Et qui ne parlent de comportements condamnables que pour les imputer à des musulmans2. Ce sont les mêmes personnes qui dénoncent les « apéros saucisson-pinard » et expliquent que des Français se sont exilés au Canada à cause des « prières de rue ».3 Et cerise sur le gâteau, les principaux responsables du « racisme anti-musulman » seraient selon elles les victimes elles-mêmes, coupables de ne pas s'être démarquées des « radicaux ».
Islamophobie hypocrite ou inconsciente, celle de ceux qui refusent d'employer le mot, sous prétexte de ne pas « faire la promotion de l'islam radical ».
Islamophobie médiatique, de journaux installés, à forte diffusion, qui estiment que parler (en mal) de l'islam et des musulmans améliore le chiffre d'affaires. Les « unes » se succèdent, en déclinant les thèmes : Islam = burqa = talibans = immigration = terrorisme, etc…
3. Quelques caractéristiques de l'islamophobie aujourd'hui.
La situation internationale depuis 2001 a mis l'islamophobie sur le devant de la scène.
C'est une islamophobie d'Etat
Les lois, les débats officiels, les circulaires se succèdent et vont toujours dans le même sens : les musulmans, et surtout les musulmanes ne sont pas des citoyen-ne-s comme les autres, il faut donc restreindre leurs droits à l'éducation, à l'emploi. Et quand un ministre explique que « le combat contre le foulard est essentiel4 », comment s'étonner ensuite que des voyous agressent des femmes voilées ? Comment s'étonner que des chefs d'entreprise envisagent de refuser le port de signes religieux à leurs salariés ?
L'Islamophobie est le fruit d'une laïcité falsifiée5.
La laïcité « falsifiée » n'assure plus la liberté de conscience des citoyens mais permet d'exclure des citoyen-ne-s de la vie publique. On est passé de « L'État ne t'impose pas de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer, tu es libre » à « L'État t'interdit de pratiquer ta religion comme tu l'entends ».
Le discours islamophobe posait la question de savoir si on pouvait être à la fois musulman et (bon) français. Il donne aujourd'hui la réponse : les musulmans doivent comprendre qu'ils ne seront jamais des citoyens à part entière, qu'on est en train de les exclure petit à petit de toute vie sociale.
Au nom de la laïcité « falsifiée » ces lois qui se succèdent depuis 2004 ont renforcé « l' islamophobie » et rendu suspectes des femmes et des hommes de confessions religieuses différentes.
Une grande partie de la gauche est aussi responsable de cet état de fait car elle a dévoyé la laïcité6 et la loi de 1905 en en faisant un moyen d'exclure. Comment ?
En instrumentalisant la laïcité et le féminisme.
Ainsi, sous une prétendue défense des droits et libertés, notamment des femmes, le caractère raciste de « l'islamophobie » devient quasiment invisible.
Avant-guerre, l'antisémitisme était le code-source de l'extrême-droite, le fédérateur des différents groupes, mais il était aussi diffus dans d'autres secteurs de la société française.
L'islamophobie joue aujourd'hui le même rôle, elle favorise des convergences condamnables entre des forces politiques qui, incapables d'apporter une quelconque perspective d'avenir et de progrès, se replient sur des questions sociétales, culturelles et d'identité. Le MRAP doit donc la combattre sans équivoque.
Résolution :
Conscients du danger que représente l'islamophobie pour la société française, le MRAP s'engage à la combattre en toute occasion. Il s'associera donc à toutes les initiatives visant à la faire reculer en :
-
dénonçant les propos, les discriminations islamophobes, d'où qu'ils viennent
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demandant l'abrogation des textes comme la loi de 2004 sur le port du foulard à l'école, la circulaire Chatel, qui excluent élèves et parents du service public de l'Éducation nationale
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soutenant le collectif « mamans toutes égales »
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excluant toute nouvelle mesure discriminatoire, notamment dans les entreprises
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luttant contre les mouvances d'extrême-droite sur le terrain des idées, en prenant de front cette question.
1 Chez certains identitaires, ce serait aussi le cas du christianisme.
2 Faurisson n'est pas musulman, mais on ne condamne ses idées que pour affirmer que « des » familles musulmanes auraient refusé qu'on parle du génocide nazi en classe.
3 Une des particularités de l'extrême-droite, c'est qu'elle a des archives bien tenues.
4 http://religion.blog.lemonde.fr/2013/02/09/voile-islamique-combat-essentiel-valls-ou-pollution-du-debat-public-rapport-tuot/
5 Baubérot Jean, La Laïcité falsifiée, Editions La Découverte, 2012, 216 pages.
6 Ibidem.
Cette motion n'a finalement pas été soumise au vote, la direction et la majorité refusant le soutien au collectif "Maman toutes égales".
Les illustrations ont été ajoutées par le webmestre.
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