La Shoah et les faux amis des Palestiniens (Akram Belkaïd)
30 Décembre 2013 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Palestine, #Mémoire Seconde guerre mondiale
Paris : Akram Belkaïd (In Le Quotidien d’Oran du 14 décembre 2006)
C’est un sentiment que de nombreux Occidentaux ne comprennent pas toujours ou bien estiment-ils qu’il est exagéré, voire qu’il est feint. Mais le fait est que, pour moi comme pour des millions d’Arabes, le sort des Palestiniens est une peine à vivre. Je ne prétends pas que seuls les Arabes ou les musulmans se sentent concernés par le drame de ce peuple. Néanmoins, cette douleur que j’éprouve de manière régulière, cette empathie naturelle qu’irrigue vraisemblablement mon appartenance à un peuple longtemps dominé, sans oublier, disons-le aussi, une réelle mauvaise conscience liée à un fort sentiment d’impuissance, sont autant de raisons qui rendent ce lien à la Palestine si particulier. Bien sûr, je n’oublie pas que les dirigeants arabes ont souvent trahi les Palestiniens et qu’ils se sont servis de leur détresse pour asseoir et préserver leur propre pouvoir. Pour autant, cela ne doit pas faire oublier que la question palestinienne est un ciment qui transcende les frontières, du Maroc à l’Indonésie.
Mais, si l’on n’est pas vigilant, toute cause, même la plus noble, peut facilement être pervertie. C’est ce qui vient d’arriver avec cette honteuse et inadmissible « conférence » sur l’Holocauste qui vient d’avoir lieu à Téhéran. En accueillant toute cette brochette de fripouilles négationnistes et révisionnistes, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a fait du mal aux Palestiniens et à leur combat pour recouvrer la dignité qui sied à tout être humain. Plus grave encore, il a conforté l’idée, déjà très répandue dans le monde entier, que, finalement, les pays musulmans sont le lieu de résurgence de la judéophobie.
En France, il n’est pas simple, quand on est arabe ou simplement maghrébin, de défendre les Palestiniens. Il est délicat de dire sa colère et son indignation vis-à-vis de ce que leur inflige Israël comme traitements inhumains. C’est un débat où l’on marche sur les oeufs et qui empoisonne les relations avec ceux et celles qui soutiennent l’Etat hébreu de manière inconditionnelle. En fait, l’accusation d’antisémitisme n’est jamais loin et, parfois, on est même exclu d’emblée des discussions et réflexions sur ce sujet du fait de ses origines sud-méditerranéennes et de sa foi musulmane. Mais cette mise à l’écart - qui ne dit jamais vraiment son nom -, tout comme les agissements israéliens, ne sauraient justifier que l’on prenne le chemin du marigot négationniste et que l’on nie la Shoah. Rien ne peut justifier que l’on qualifie de mythe l’extermination volontaire et organisée de plus de six millions de Juifs.
Il y a, pour qui prétend être solidaire des Palestiniens, des amitiés et des soutiens dont on doit se passer et qu’il faut éviter comme la peste. N’en déplaise à ceux qui sont toujours dans l’attente d’un zaïm qui réveillera le monde arabo-musulman, j’estime que Mahmoud Ahmadinejad n’est certainement pas celui qu’il faut suivre. Cet homme, adepte d’un courant messianique qui entend accélérer l’arrivée du « Mountadhar » sur terre, prépare le malheur de son propre peuple et il n’est en rien le sauveur annoncé des Palestiniens.
Oui, les nazis ont déporté et gazé les Juifs sans distinction de sexe ou d’âge. Le dire, l’écrire, ce n’est pas trahir les Palestiniens. Cela n’a rien à voir. C’est implement reconnaître une vérité historique, une infamie incomparable même si d’autres génocides ont suivi comme au Rwanda et, malheureusement aussi - il faudra y revenir - au Darfour. A ceux qui seraient choqués par ce que je viens d’écrire, je conseille de s’en remettre à la lecture. Lire... Non pas des insanités que l’on trouve ici et là sur tel ou tel complot juif mondial mais des ouvrages d’historiens tel celui de Raul Hilberg (« la destruction des Juifs d’Europe »). Il y a aussi la littérature, qui peut tout à condition de l’entendre : « Si c’est un homme » de Primo Levi ou encore « Histoire d’une vie » d’Aharon Appelfeld. Lire ces romans, ce n’est pas tout comprendre, c’est juste appréhender, capter quelques monceaux de ce que fut cette tragédie imprescriptible.
C’est à dessein que je n’ai pas cité des auteurs et des intellectuels équivoques qui sont avant tout des partisans d’Israël et dont la bonne foi s’arrête au seuil des droits des Palestiniens à disposer de leur terre. Ces gens-là nient la part d’humanité des Palestiniens et ne sont plus que des militants qui diabolisent tous ceux qui ne partagent pas leurs idées, à commencer par les intellectuels arabes. Croiser le fer avec eux - au sens du débat pacifique - est pourtant une nécessité parce que c’est l’opinion publique mondiale qu’il faut convaincre. C’est elle qui finira, tôt ou tard, par sauver les Palestiniens. Mais cela ne veut certainement pas dire qu’il faille s’acoquiner avec des salopards qui nient, minimisent ou même banalisent la Shoah et qui profitent de la rancoeur arabe à l’encontre d’Israël pour diffuser leur délire.
Il y a des amis qui n’en sont pas. En France, l’extrême droite, qui tape sur les épaules des Arabes du Proche-Orient et qui - preuve de l’incroyable confusion qui règne dans la classe politique française - cherche à séduire les Beurs, n’est pas l’amie des Palestiniens. C’est sa détestation profonde des Juifs, son négationnisme masqué mais réel, qui la pousse vers nous. Il faut en avoir conscience. Mais il n’y a pas que l’extrême droite. Au bout de quelques années dans ce pays, j’ai vite compris qu’il suffisait d’un rien, un coup de coude, un clin d’oeil, pour que les vannes lâchent et que se déversent les flots antisémites. Je peux porter un keffieh le jour de l’enterrement d’Arafat, je peux écrire une chronique rageuse sur les bombardements israéliens au Liban mais je refuse d’être complice de cette engeance raciste qui s’est précipitée à Téhéran, à l’image de David Duke, l’ancien chef du Ku Klux Klan !
Je le répète, il y a des mains tendues auxquelles il ne faut pas répondre à moins de souiller ses propres convictions. Ni Dieudonné - qui a serré celle de Le Pen - ni l’écrivain Marc-Edouard Nabe - pour qui un Beur qui n’a pas recours à la violence est un « collabeur » - ni encore l’essayiste Alain Soral (qui vient de rejoindre le Front national) ne sont les amis des Palestiniens ou des Libanais. Ils peuvent critiquer Israël et les Juifs autant qu’ils le souhaitent : ils n’ont pas à faire partie de notre famille.
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