Iran/Israël, après le rapport de l’AIEA
Avant la remise du rapport de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) concernant le nucléaire iranien, les autorités israéliennes avaient multiplié les déclarations sur des éventuelles frappes sur des installations nucléaires iraniennes, menaces et déclarations bellicistes estimées d’autant plus crédibles si l’on se réfère au précédent que constitue la destruction du réacteur Osirak qui en 1981 avait porté un coup fatal au potentiel nucléaire de l’Irak.
Néanmoins, les deux situations sont différentes, comme l’est également le contexte international, issu des révolutions arabes -et l’Iran, par ses capacités de riposte militaire n’est pas forcément l’Irak.
De plus, les contraintes politiques et militaires rendent cette opération difficilement réalisable en dehors du consentement des Etats-Unis - la distance à parcourir par les avions pour atteindre les cibles iraniennes depuis Israël nécessitant de pouvoir compter sur une coopération totale des Etats-Unis, de leur couverture radar et de la mise à disposition de leurs avions ravitailleurs.
De fait, malgré leur engagement déclaré à soutenir Israël en cas d’attaque contre l’Iran et, a fortiori, en cas de riposte iranienne, les Etats-Unis, (la Grande-Bretagne a adopté la même position, la France, une position moins alignée sur Israël), tout en assurant leurs alliés israéliens de leur soutien, semblent ne pas être prêts à se lancer dans une attaque dont les conséquences sont incalculables.
Après les déconvenues en Irak et en Afghanistan, les Etats-Unis ont sans doute appris à tirer les leçons de l’aventurisme militaire. Une opération ciblée, même limitée dans le temps, pouvant à tout moment dégénérer et se transformer en véritable bourbier. Et l’Iran a les moyens de faire payer au prix fort toute attaque contre ses installations.
Un rapport sévère qui évite la guerre ?
Aujourd’hui, de façon paradoxale, la sévérité du rapport de l’AIEA éloigne (pour un temps ? ) une option militaire qui est loin de convaincre, parfois même ses partisans.
Ce rapport entre même directement en résonance avec la stratégie de Nétanyahou qui est de placer la « communauté internationale » devant le dilemme, assimilé par certains à une sorte de chantage, qui peut se résumer à : soit vous prenez des mesures d’embargo suffisantes pour mettre à genoux l’Iran, soit nous intervenons militairement contre ce pays.
De plus, mettant gravement en cause l’Iran, il ne peut qu’inciter la « communauté internationale », soucieuse d’éviter une guerre aux conséquences désastreuses, à agir contre l’Iran en accentuant les sanctions – des sanctions sous pression- avec sans doute la satisfaction illusoire de sauver la paix en évitant l’irréparable.
Aujourd’hui, il est question de transmettre la question du nucléaire iranien à l’ONU. Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères a déclaré lors d’une interview de ce mercredi 9 novembre à RFI :
« Nous pensons d’abord que le conseil des gouverneurs de l’Agence [AIEA] doit condamner explicitement la conduite de l’Iran. Je pense que la saisine du Conseil de sécurité [de l’ONU] s’impose aussi. Et en tout cas, la France est prête avec ceux qui le voudront à aller un coup plus loin, si je puis dire, dans des sanctions qui existent déjà, mais qui doivent être renforcées pour faire plier l’Iran ».
Et aujourd’hui, c’est bien l’accentuation des sanctions qui est à l’ordre du jour.
Une sortie honorable pour Benjamin Nétanyahou …
Alors que les projets d’attaque projeté par Benjamin Nétanyahou étaient contestés en Israël même par des responsables de haut rang des services de sécurité, par des ministres du gouvernement de Nétanyahou, la tournure des événements offre de toute évidence une porte de sortie honorable au premier ministre israélien lui permettant d’éviter un scénario catastrophe qu’il avait lui-même échafaudé : tenu par les menaces d’intervention qu’il a lui-même proférées- et que les Iraniens ignorent, persistant dans leur volonté de poursuivre leur programme-, Benjamin Nétanyahou, par ce rapport, se voit heureusement dispensé de mettre ses menaces à exécution sans que ni son crédit ni le caractère dissuasif de ses mises en garde ne se trouvent entamés.
… un bénéfice diplomatique pour Israël
En tout état de cause, et quel que soit le développement ultérieur de cette crise, après les échecs diplomatiques qu’a connus Israël ces derniers temps et son isolement que l’on a pu constater lors de l’admission de la Palestine à l’UNESCO, le dossier du nucléaire iranien est une occasion pour Israël de se remettre en selle dans le jeu diplomatique… Une occasion de renouer tant avec les pays occidentaux, ses alliés traditionnels –« naturels » comme le prétendent certains- qu’avec les pays arabes et/ou musulmans. A cet effet, Israël peut sans doute compter sur l’appui des monarchies du Golfe et particulièrement sur l’Arabie Saoudite, soucieuse de retrouver la place qui était la sienne dans le monde musulman avant que la Révolution khomeyniste ne la lui conteste.
Les peuples, premières victimes des sanctions
Si l’on peut se féliciter que se trouvent éloignées les menaces réelles que font courir des escalades verbales irresponsables, d’autant plus difficilement maîtrisables que, de l’autre côté, le régime iranien ne peut faire de concessions sous la menace, sinon à perdre lui aussi son crédit vis à vis de sa population,
si l’on peut se féliciter que soient éloignés les dangers d’une perte de contrôle de la situation occasionnée par une surenchère dramatique sous l’influence des plus extrémistes dans chaque camp,
si d’autres encore se félicitent que le dossier soit transmis à l’ONU,
devant la probabilité d’un rehaussement des sanctions d’ores et déjà envisagé, une mobilisation citoyenne doit, dès aujourd’hui, se mettre en place pour refuser des mesures qui ont montré leur inefficacité et leur nocivité en ce qu’elles touchent prioritairement les populations civiles. L’exemple de l’Irak n’est pas si lointain. Le bilan des sanctions qui mettent à mal toute une économie est catastrophique. L’embargo à l’encontre de ce pays qui a mis à mal toute une économie a été catastrophique : il aurait fait un million 700 000 victimes dont un million d’enfants et la résolution « Pétrole contre nourriture » a surtout profité au pouvoir en place, aux sociétés pétrolières et à des intermédiaires.
L’AIEA comme l’Unscom en Irak ?
Le retour sur l’Irak doit également nous faire douter de la véracité même de l’ensemble des éléments contenus dans le rapport de l’AIEA ou de leur interprétation par les commentateurs. Si ce rapport détaille les activités iraniennes « spécifiquement liées à l’arme nucléaire », si les éléments qu’il contient accusent l’Iran de chercher à se doter de l’arme atomique sous couvert d’un programme civil et pacifique, les accusations ne sont pas plus précises. Faut-il rappeler que la mission de l’ONU, conduite par les inspecteurs en désarmement de l’Unscom, chargée d’enquêter en Irak, assurait que des éléments concordants démontraient de la façon la plus formelle que l’Irak possédait des armes de destruction massive …on connaît la suite : des mesures d’embargo puis ….plus tard une intervention militaire. Et l’on sait aujourd’hui ce qu’il en est des ces éléments irréfutables assénés avec la plus grande assurance par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France.
Si le danger d’une intervention d’Israël semble aujourd’hui quelque peu écarté, le traitement du dossier nucléaire iranien par l’ONU ne garantit aucunement un traitement diplomatique satisfaisant, dès lors que les Etats-Unis n’ont cessé d’instrumentaliser cette organisation et de lui dicter ses choix. En Irak, ce fut une intervention décidée par l’ONU, menée sous couvert de l’ONU avec les résultats que l’on connaît…
Aujourd’hui, légitime défiance, n’est-on pas en droit de mettre en doute le rapport de l’AIEA et l’exploitation toujours sujette à caution qui est faite de ses conclusions ?
Pour le démantèlement complet de tous les arsenaux nucléaires
De façon plus générale, l’actualité brûlante de la crise avec l’Iran doit être l’occasion de revenir sur un certain nombre de questions qui sont très rarement posées :
- ainsi, de quel droit les détenteurs de l’arme atomique seraient-ils investis pour interdire à un autre pays de tenter de la posséder ? Du droit de veto à l’ONU à celui de dicter leur loi ou de décider de l’avenir des peuples dans des G8 ou des G20, les puissances dominantes ne cessent de violer des principes d’égalité comme s’il devait y avoir des pays plus égaux que d’autres.
- alors que la doctrine française de dissuasion nucléaire est aujourd’hui reconnue et partagée, en France, par un grand nombre de partis (même s’ils s’y étaient opposés à l’époque), comment refuser que l’Iran se dote de cette garantie, alors même que ce pays se trouve confronté à un environnement hostile avec l’Arabie Saoudite d’un côté, le Pakistan et Israël nucléaires l’un comme l’autre, mais également en butte à l’hostilité des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et des pays occidentaux.
- alors qu’Israël possède la bombe atomique, mise au point en secret, en dehors de toute inspection de l’AIEA et après s’être dispensé de signer le TNP (Traité de non-prolifération nucléaire), ce que les censeurs de l’Iran acceptent sans sourciller, en quoi ce pays qui possède un arsenal nucléaire estimé à plusieurs centaines de têtes peut-il se permettre de vouloir priver l’Iran d’une arme que lui-même possède ?
le moment n’est-il pas venu de demander le démantèlement complet de tous les arsenaux nucléaires, mesure allant bien au-delà de la seule dénucléarisation de Moyen-Orient ?
Les pays occidentaux, si prompts à garder leur avantage militaire, y gagneraient en crédibilité. C’est la seule façon d’éviter une course à l’armement nucléaire.
A l’équilibre de la terreur qui a gouverné toute la seconde moitié du XXème siècle, dans un affrontement Est/Ouest aujourd’hui anachronique, n’est-il pas temps de substituer une autre vision du monde et une autre conception de l’égalité entre les Etats ? Les peuples ont tout à y gagner.
Le 9 novembre 2011, Y.M & AV
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