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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Il faut continuer à parler d'islamophobie !!

6 Août 2012 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Islamophobie

Un communiqué surprenant

Une phrase surprenante dans le communiqué du MRAP, daté du samedi 23 juillet 2011 et resté un temps inaperçu des médias traditionnels (il avait toutefois été répercuté par des sites Internet militants) jusqu'à ce que le FN, puis la Droite populaire, le commentent et surjouent l'indignation.

Sur le fond, les rédacteurs du communiqué ont eu raison de pointer la proximité intellectuelle entre les motivations affichées d'Anders Behring Breivik1 et les thèmes de propagande de certains partis.

Mais on peut regretter plusieurs choses :

- la référence à « l'acte d'un déséquilibré ». En effet, c'est ouvrir la porte aux explications psycho-machin-choses, et c'est là la ligne de défense de tous ceux qui sont peu ou prou d'accord avec les idées de Breivik, mais ne peuvent pas publiquement approuver son geste. Déséquilibré, peut-être, mais surtout cohérent dans sa vision du monde.

- que la mouvance identitaire française n'ait pas été clairement désignée, ni ses alliés « laïques ».

- que les responsabilités intellectuelles d'éditorialistes comme Alain Finkielkraut ou Caroline Fourest dans ce climat délétère à l'encontre des musulmans n'aient point été évoquées.

Mais ces reproches sont somme toute mineurs, ils peuvent s'expliquer par l'émotion, l'urgence et aussi par la disparition dans les instances dirigeantes des personnes ayant l'habitude de l'exercice.

L'essentiel est de savoir reconnaître en toute objectivité que ce communiqué et les interventions médiatiques ultérieures étaient largement perfectibles et de ne pas commettre les mêmes erreurs à l'avenir.

Dans notre communication ultérieure, nous devrons soigneusement éviter de tomber dans le « piège psy » et au contraire, souligner :

  • la cohérence entre les actes et les idées de Breivik

  • la similitude entre ces dernières et celles développées par les droites extrêmes et leur fournisseurs d'idées, en France et ailleurs.

Ce qui est beaucoup plus inquiétant, c'est cette phrase, en parlant du « parti (norvégien) du progrès » : « Sa leader a fait de l'islamophobie - ou plus exactement de la « musulmanophobie » »..

Il ne semble pas que cette phrase analyse les spécificités idéologiques du parti norvégien par rapport à ses homologues européens, mais qu'elle vise à promouvoir le terme « musulmanophobie ». Pourquoi abandonner le terme d'islamophobie, consacré par l'usage, pour celui beaucoup moins employé de musulmanophobie2 ?

C'est d'autant plus surprenant qu'en 2003, le MRAP avait organisé un colloque « du racisme anti-arabe à l'islamophobie », dont les actes sont consultables à cette adresse. Il avait joué un rôle important et novateur dans la prise de conscience de ce phénomène nouveau et inquiétant.

Le MRAP était divisé sur la question, entre d'une part ceux qui estimaient que l'islamophobie était le nom du racisme anti-musulman, comme l'antisémitisme est le nom du racisme anti-juif, et d'autre part ceux qui estimaient que condamner l'islamophobie conduisait à empêcher la critique d'une religion.

En décembre 2004, le congrès a débattu de la question :

« Le congrès s’est prononcé sur la question de savoir si L’Islamophobie est une nouvelle forme du racisme anti-musulman et par conséquence entrant dans le champ d’activité du MRAP ou est une réalité à simple dimension religieuse ? 131 Voix pour l’intervention du mrap ; 83 contre, 46 abstentions. Compte tenu de cette majorité et comme proposé ci-dessus, le congrès devait se prononcer sur le contenu de l’intervention du mrap, dans le cadre de l’unicité du racisme, du refus de tout hiérarchisation et de tout communautarisme. A la question : le mrap doit il poursuivre le combat contre l’islamophobie dans le cadre de la définition légale de la provocation à la haine raciale ? Le vote fut unanime moins 23 abstentions. »

La question était donc tranchée démocratiquement en ce qui concerne la ligne du mouvement. On peut objecter qu'une motion, fut-elle votée à une majorité écrasante, n'est pas une vérité scientifique et qu'elle peut être abrogée.

Certes, mais encore faut-il convaincre la majorité de sa fausseté et l'abroger par une procédure de même niveau que l'initiale et pas subrepticement au détour d'un communiqué.

La progression de l'islamophobie, la chose et le mot.

Or, il faut constater que depuis ce colloque et ce congrès :

  • Le terme islamophobie a été de plus en plus employé, par la presse comme par les partisans et adversaires de cette idéologie.

  • Qu'il n'a pas le sens de critique d'une religion, mais de dénonciation de l'ensemble de ses pratiquants à des degrés divers, y compris ceux pour lesquels elle n'est plus qu'une référence culturelle et une mémoire familiale.

  • Et s'il a été employé, c'est parce que les actes islamophobes se sont multipliés, ont été revendiqués et reconnus comme tels.

On peut suivre sa progression à travers sa fréquence dans les articles du « Monde » en ligne.

islamophobie-monde--copie-1.jpg

De nombreux rapports officiels font désormais référence à l'islamophobie, comme une forme de racisme.

Mais il faut commencer par tordre le cou à cette pseudo-vérité énoncée et popularisée par Caroline Fourest, selon laquelle le mot aurait été inventé par les mollahs iraniens pour dénoncer leurs opposants, en Iran et à l'étranger.

Cette assertion est fausse :

Le terme est attesté dans la langue française depuis 1910. Il est a cette époque employé, comme celui d'islamophilie, sans guillemets, par des administrateurs coloniaux. Et il désigne l'hostilité non pas à une religion, mais aux sociétés musulmanes.

Les mollahs iraniens employaient fréquemment le terme « taghoutis », traduit en français par « diaboliques », pour désigner leurs adversaires. On les voit mal forger un mot à partir d'une racine arabe S-L-M (qui donne d'ailleurs aussi bien les mots islam que musulman) et d'une racine grecque. Les lexicographes savent parfaitement « tracer » un mot à travers le temps et l'espace. Caroline Fourest ne s'est semble-t-il pas donné cette peine.

Donc jusqu'à preuve du contraire, islamophobie n'est pas un artefact iranien. C'est un mot bien français, qui réapparaît dans la langue française à partir des années 1990, quinze ans après la révolution iranienne.

Quel est son sens exact ?

Une tentative de définition du corpus idéologique islamophobe a été faite dans ce rapport de l'observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes en 2006 :

http://fra.europa.eu/fraWebsite/attachments/Manifestations_FR.pdf

page 72 :

1. L’Islam3 est considéré comme un bloc monolithique, statique et réagissant peu au changement.

2. L’Islam est considéré comme distinct et «autre». Il n’a pas de valeurs communes avec les autres cultures, n’est pas affecté par ces dernières et ne les influence pas.

3. L’Islam est considéré comme inférieur à l’Occident. Il est perçu comme barbare, irrationnel, primitif et sexiste.

4. L’Islam est considéré comme violent, agressif, menaçant, enclin au terrorisme et à la confrontation entre les civilisations.

5. L’Islam est considéré comme une idéologie politique utilisée pour acquérir des avantages politiques ou militaires.

6. Les critiques de l’Occident formulées par l’Islam sont rejetées d’emblée.

7. L’hostilité à l’égard de l’Islam est utilisée pour justifier des pratiques discriminatoires à l’encontre des musulmans et l’exclusion des musulmans de la société dominante.

8. L’hostilité à l’égard des musulmans est considérée comme naturelle et normale.

Quelques visites sur les sites Internet4 islamophobes revendiquéssuffisent à constater que c'est très exactement la vision de l'Islam qu'ils donnent à leurs lecteurs.

Les attitudes décrites aux points 7 et 8 sont contraires à la loi de 1972 sur le racisme et sont de celles contre lesquelles combat le MRAP : « en raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance,réelle ou supposée,à une prétendue «race », une ethnie, une nation, une culture ou une religion déterminées. »

L'islamophobie n'est pas la critique d'une religion (croyances, rites, etc.) mais celle de l'ensemble des personnes rattachées à cette religion par leurs détracteurs.

Nous sommes en présence d'un cas de racisme « culturel » et non plus de racisme biologique. L'inanité scientifique de ce dernier ayant été démontrée par les scientifiques et presque plus personne de sérieux n'osant affirmer qu'il existe des races humaines, les racistes ont introduit la notion de « cultures », intangibles à travers les siècles et étanches entre elles.

L'islamophobie est une tentative de théorisation du « racisme anti-musulman ». Le parallèle peut être fait avec l'antisémitisme : les théoriciens de ce dernier vont fournir les justifications intellectuelles à l'hostilité envers les Juifs. L'antisémitisme sera à la fois théories (forgeage des « Protocoles » et mythes du « complot juif », théories « biologiques » des nazis, etc.) et pratiques (les pogroms, l'extermination des Juifs d'Europe par les nazis et leurs complices).

D'autres groupes humains sont aussi victimes du racisme. Le plus souvent, les motivations tiennent en des généralisations de comportements individuels et des préjugés (tous des voleurs, des fainéants, des obsédés sexuels, etc..).

Mais il n'y a pas (encore) de théorisation sur les Tsiganes, les Noirs, etc. présentés comme des ensembles homogènes, porteurs d'un projet politique et social cohérent et menaçant.

L'emploi du terme islamophobie, pour la dénoncer, est préférable à celui de racisme anti-musulman pour plusieurs raisons :

1. Ils ne sont pas strictement identiques. L'islamophobie est le degré supérieur du racisme anti-musulman, car elle justifie par la théorie les actes de racisme anti-musulman en posant le principe que :

  • les musulmans (les individus) sont réductibles à leur appartenance à une communauté unique et uniforme ;

  • elle-même complètement structurée et déterminée par des textes et théories religieux (le Coran, la Sunna),

  • textes et théories dont l'interprétation la plus exacte selon les islamophobes serait celle des salafistes djihadistes. Ces derniers font d'ailleurs exactement la même analyse que les islamophobes, en inversant simplement les camps du « bien » et du « mal ».

2. Le terme est revendiqué par les islamophobes, qui s'assument en tant que tels et récusent parfois le terme de « musulmanophobes5 ». Employer ce dernier terme est leur offrir un boulevard en terme de communication. Certains pourront continuer de dénoncer en bloc la pratique du ramadan, le rachat du PSG par le Qatar, le port du hidjab, le business du halal et se voir involontairement décerner un brevet de non-racisme.

Défendre une religion ?

Quand les Juifs étaient accusés faussement de crimes rituels, c'est-à-dire commis au nom de leur religion, fallait-il ne pas dénoncer des accusations, de peur de paraître défendre le judaïsme en tant que religion ?

Bien évidemment non.

Expliquer que l'Islam6, c'est quatorze siècles d'histoire, des pays aussi différents que la Mauritanie et l'Indonésie, une multitude de structures politiques, d'écoles de pensée, des interprétations diverses et parfois opposées des mêmes textes, des individus de toute nature, ce n'est pas défendre un religion particulière. C'est simplement lutter pour la vérité. Et quand ces manipulations intellectuelles conduisent à présenter n'importe quel musulman comme un danger public, c'est lutter contre le racisme.

Le même constat pourrait d'ailleurs être fait à propos des mondes chrétiens, juifs, bouddhistes, etc..

Passer de la critique d'un fait, d'une politique, à son explication par la religion de ses auteurs conduit très souvent à des dérives inacceptables7.

Lutter contre l'islamophobie n'est pas défendre une religion, alors pourquoi avoir peur du mot ? Les antiracistes auraient-ils peur du mot dont se rengorgent les racistes ? Espérons que ce n'est pas parce que malgré la sincérité de leur engagement, il leur reste un fond de méfiance ou d'incompréhension envers des références, des habitudes qui ne sont pas celles qu'ils ont toujours connues.

Quant au MRAP, ce serait pour lui se « tirer une balle dans le pied » que de renoncer à ce combat qui avait fait sa spécificité par rapport aux autres organisations antiracistes, avec la défense des droits des Palestiniens.

 

Par exemple, le journaliste français Alain Ménargues a écrit en 2004 « Le Mur de Sharon8 ». La dénonciation de cet instrument de la spoliation des Palestiniens, de ce mur de séparation raciste, obstacle à toute paix entre Israéliens et Palestiniens était nécessaire. Il fallait analyser les raisons de sa création, des travaillistes à Sharon. Rappeler la théorie du « mur d'acier » de Jabotinsky9 était évident. Alain Ménargues aurait pu aussi comparer le mur de Sharon à d'autres murs, de la muraille de Chine à celui de Berlin. Il a cru bon de chercher des motivations religieuses dans la Torah, et il est arrivé à la conclusion que les juifs, parce que juifs, voulaient vivre séparés des autres. Cette conclusion dangereuse a été dénoncée par Dominique Vidal dans « Le monde diplomatique » de juillet 2005 :

Le mur, écrit-il dans le premier chapitre, obéit à l'impératif de « séparation du pur et de l'impur », une « notion absolue consignée dans le Lévitique, le troisième des cinq livres de la Torah », dont les commandements « ont pour but de faire “du peuple de Dieu un peuple différent” de ceux qui l'entourent ». Et Ménargues d'ajouter : « Une des conséquences importantes du Lévitique a été de pousser les juifs de la diaspora à vivre regroupés volontairement , avant d'y être obligés, dans des ghettos. » D'où le mur : « Impossible donc, sauf à revenir sur la “pureté du peuple juif ”, d'incorporer les minorités présentes sur le territoire. (...) Il ne pouvait être question que de séparations, de barrières, de murs qui distinguent juifs et goys. »

Caractéristiques de la propagande antisémite, ces thèses essentialistes – que nous rejetons s'agissant de l'islam comme du christianisme – sont aussi absurdes que dangereuses10.

Dénoncer cette explication de Ménargues n'est pas défendre le judaïsme et ses textes fondateurs, que chacun est libre de comprendre et d'appliquer (ou non) à sa guise.

M.S.


 

1 Ce militant de l'extrême-droite islamophobe norvégienne est l'auteur des deux attentats du 22 juillet 2011 en Norvège qui ont fait 77 morts.

2 Les requêtes Google concernant ces termes donnent respectivement environ 1 300 000 et 5 400 résultats.

3 Islam avec une majuscule désigne les sociétés musulmanes, islam avec une minuscule désigne la religion. De la même manière : Chrétienté et christianisme.

4 La base de données qui a servi à la rédaction du rapport du MRAP sur «Internet et les enjeux de la lutte contre le racisme», partiellement actualisée, recense 140 sites de cette nature, sans compter ceux pour lesquels l'islamophobie n'est pas la préoccupation exclusive.

6 Avec un I majuscule, s'agissant du fait social.

7 Voir l'exemple donné par Dominique Vidal à propos du livre d'Alain Ménargues, « Le mur de Sharon » (Le Monde diplomatique Juillet 2005.

8 Presses de la Renaissance.

9 Théoricien sioniste, partisan de la manière forte assumée, à l'origine du Betar, de l'Irgoun, du Likoud.

10 Souligné par nos soins.

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