Hommage militant à Mouloud Aounit
Hommage à Mouloud Aounit, par Y.M & A.V (MRAP Menton)
Ce texte a servi de base à l’hommage prononcé lors des obsèques de Mouloud Aounit par Alexandrine Vocaturo, le jeudi 16 août 2012.
Après avoir pris une part active la Marche pour l’Egalité, Mouloud allait être élu Secrétaire général de notre Mouvement, à l’issue du Congrès du MRAP de Grenoble de 1989. Mouloud n’avait que 36 ans, mais une vie déjà riche en expérience militante.
Pour nombre de militants le Congrès de Grenoble de 89 marque un moment fort et important dans l’histoire du MRAP et de l’antiracisme. Souvenons-nous c’était l’époque des « arabicides ». L’accession au poste de Secrétaire général du MRAP d’un enfant d’Aubervilliers issu de l’immigration correspond à une prise de conscience que le racisme tendant à se focaliser de plus en plus sur les immigrés et leurs enfants originaires plus spécifiquement des pays anciennement colonisés, la lutte contre le racisme ne pouvait se concevoir et se faire en dehors d’eux. Cette évidence garde d’ailleurs toute son actualité et mériterait d’être rappelée dans certains milieux de l’antiracisme.
Si le fait d’élire Mouloud à la tête du mouvement a donc eu une signification politique profonde, loin d’un affichage médiatique de ce que l’on nommera plus tard la diversité, c’est faire carrément injure à Mouloud de penser qu’il aurait pu, de quelque façon que ce soit, accepter le poste de Secrétaire général sur des critères d’appartenance ethnique, autrement que par la prise en compte exclusive de son engagement antérieur et de ses capacités.
Lorsque l’on connaît l’attachement de Mouloud aux valeurs républicaines et plus particulièrement à la reconnaissance du mérite comme élément de promotion, laisser entendre, comme l’ont fait certains, que Mouloud devait son poste à ses origines algériennes, relève de l’ignorance ou bien de la malveillance.
En s’affirmant très vite, par son action et son engagement, comme un dirigeant incontestable, Mouloud allait vite apporter à ces critiques un démenti cinglant.
Pourtant assurer la relève de la génération des fondateurs et des historiques du MRAP n’était certes pas chose facile, disons même périlleux. Et pourtant aujourd’hui personne ne peut contester que Mouloud est devenu à l’instar d’Albert Lévy, de Charles Palant ou de Marcel Manville, un historique du MRAP.
Par la fermeté de ses prises de position contre l’idéologie de l’extrême droite, relayée par une partie de la droite et parfois même d’une certaine gauche, Mouloud s’est fait bon nombre d’ennemis et il n’est pas étonnant que Mouloud ait été une des cibles de l’extrême droite, de sa presse et de ses blogs jusqu’à recevoir des menaces de mort qui ne l’ont jamais fait reculer ni faiblir.
Capture d'écran de l'article paru dans le numéro 14 du "Courrier de l'Atlas", et qui relaie largement un certain nombre de calomnies contre le MRAP. Voir la réponse du MRAP |
De façon plus générale, Mouloud n’a jamais eu peur de prendre des coups. Et des coups, il en a reçus. Des coups du sort, contre lesquels on ne peut rien mais il a dû aussi affronter des campagnes médiatiques haineuses, mensongères et calomniatrices qui ont été orchestrées sans vergogne, campagnes auxquelles des membres du MRAP n’ont pas craint de s’associer.
Ainsi ses positions sur le foulard, sur l’islamophobie seront sciemment déformées. Ceux qui l’accusent d’avoir débattu avec Tarik Ramadan font volontairement l’impasse sur le fait que ce sont les organisateurs du Forum Social européen qui avaient programmé cette rencontre…
A ceux qui lui ont fait le reproche infondé, et pour eux infamant, de « communautarisme », il est incontestable que par son engagement, par les actes qu’il posait, Mouloud interpellait assurément les valeurs de la République, pour qu’elles soient traduites dans la réalité sociale.
En ce sens, républicain, il l’était authentiquement, et non pas républicaniste comme bien de ses détracteurs : il ne faisait pas partie de ceux qui invoquent sempiternellement les valeurs de la République, avec un grand R, pour mieux garantir l’ordre établi sans mettre un terme aux inégalités qui minent la démocratie.
La bassesse des attaques ne viendra certes pas à bout des convictions de Mouloud, elles n’auront pas raison de ses engagements et des choix qu’il aura opérés. Se refusant à répondre à la bassesse par la bassesse, comme il s’est toujours refusé de blesser ceux qui l’avaient blessé, Mouloud plaçait la dignité au cœur même de son être et de son engagement. Et cette dignité de l’Homme, il ne l’a jamais niée, même chez ses adversaires les plus indignes. Mouloud a toujours eu la délicatesse de ne pas les mettre face à leurs turpitudes. Et ce respect de l’Autre est certainement ce qui tout au long de sa vie a caractérisé Mouloud et fait de lui assurément un homme d’honneur, pour qui la dignité est toujours restée une valeur cardinale, une dignité qu’il revendiquait pour les autres, pour tous les autres.
Ce respect pour l’Homme sera un axe majeur qui structurera toujours son action en faveur de tous les sans, les sans droits, les sans papiers, les sans-logis, les Roms, les victimes des discriminations mais aussi son action envers tous les peuples en lutte pour la reconnaissance de leurs droits… Une exemplarité, une leçon d’humanité.
Comme tout homme de caractère, ne craignant pas d’affirmer fortement ses convictions et refusant de se renier par opportunisme, Mouloud ne pouvait être à l’évidence que soumis à la controverse.
Face aux attaques dont il a fait l’objet, la qualité des soutiens, les témoignages d’estime, les gestes de solidarité témoignent à l’évidence du respect que Mouloud inspirait, et parfois bien au-delà des cercles de l’antiracisme. Ce n’est pas un hasard si Mouloud a présidé pendant plus de deux décennies aux destinées du MRAP d’autant qu’il n’a jamais été un homme d’appareil, mû par la conservation du pouvoir pour le pouvoir. Mouloud l’exerçait avant tout pour le mettre au service de ses idées et de ses combats.
Mais en ces moments, l’image de Mouloud qui aujourd’hui s’impose à nous tous militants du MRAP qui l’avons connu et fréquenté, c’est celle de ses arrivées au siège du MRAP rue Oberkampf puis boulevard Magenta, c’est son sourire lumineux, rayonnant et généreux. Il émanait de lui un dynamisme, un optimisme qu’il insufflait et transmettait à tous et qui contrastait avec le sombre de la situation et le poids des tâches qui étaient devant nous.
La volonté qui se dégageait de lui, l’enthousiasme qu’il savait communiquer avaient le don de nous redonner le moral, de nous regonfler … Car de l’énergie communicative, Mouloud en avait à revendre !
Homme de contact, chaleureux et vivant, il était très souvent sollicité par les comités locaux où il se rendait, faisant preuve d’une disponibilité et d’un investissement à toute épreuve, n’hésitant pas à sacrifier ses soirées et ses week-ends, déployant cette énergie hors du commun. Disponibilité et générosité dans l’investissement militant, ça aussi c’était Mouloud ! Il avait le souci de porter haut et loin la voix du MRAP et de rendre effectif le travail de terrain.
Comme nous l’avons déjà dit, loin d’être un homme d’appareil, Mouloud a toujours privilégié l’action sans pour autant négliger l’analyse, la réflexion.
Ainsi au-delà de qualités humaines incontestables, il a toujours mené de pair une réflexion politique de qualité. Et ses analyses se sont très souvent révélées pertinentes et percutantes. Etre extrêmement sensible au malheur des autres, Mouloud s’est néanmoins toujours attaché à dépasser la simple compassion pour proposer une analyse politique pour qui veut agir et transformer réellement le monde.
Mouloud était capable d’analyser en peu de temps et en peu de mots l’essentiel d’une situation, d’expliquer et de donner une perspective. … Un art de la formule comme du discours qui n’est pas donné à tout le monde !
D’ailleurs, les médias ne s’y sont pas trompés qui sollicitaient Mouloud parce qu’ils étaient sûrs de trouver cette intelligence de la situation, cette vivacité de l’analyse qui allaient droit à l’essentiel. Autant de qualités qui ont participé activement à la notoriété du MRAP.
La médaille du Mérite, la Légion d’honneur qui ont distingué Mouloud ne doivent rien à de quelconques relations influentes mais à son action déterminée que même ses adversaires se sont vu contraints de reconnaître. La multiplicité des commentaires respectueux depuis vendredi, les éloges qui se sont succédé à peine sa disparition rendue publique, les innombrable messages de sympathie en attestent ; de la presse aux associations, aux partis et jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, chacun a salué la mémoire d’un homme qui a été de tous les combats contre tous les racismes et pour l’égalité.
Mouloud avait véritablement l’étoffe d’un dirigeant, non pas parce qu’il usait de son pouvoir mais parce que sa ténacité, son opiniâtreté, sa force de conviction emportaient l’adhésion.
Si Mouloud avait le souci constant d’argumenter et de convaincre, il avait aussi cette faculté précieuse d’écouter l’autre et de prendre en considération des points de vue contraires, refusant toute polémique stérile ou indigne.
Donnant à ceux qui travaillaient à ses côtés plutôt des directions que des directives, Mouloud n’avait aucunement l’obsession de tout contrôler, il savait déléguer faisant confiance à son entourage –parfois même un peu trop !
Ouvert, toujours prêt au dialogue, a contrario Mouloud savait se montrer obstiné voire intransigeant dès lors que les valeurs fondamentales étaient mises en cause. Il savait faire preuve de ténacité pour défendre et faire avancer ses idées : ainsi concernant la lutte contre l’islamophobie, il ne lâchera rien malgré les attaques souvent violentes de ses détracteurs, certains prétendant même lui interdire l’usage du mot « islamophobie » !
Comme Secrétaire général et comme Président, Mouloud a su impulser un nouveau souffle à l’antiracisme, donner lisibilité et visibilité au MRAP en lui donnant une identité forte. Il a su faire évoluer le mouvement, le rendre incontournable et faire en sorte que le MRAP continue d’exister.
Ambitieux, Mouloud l’était, mais son ambition était avant tout au service du MRAP, pour mieux servir les victimes du racisme et lutter contre tous les racismes.
Mouloud aura mis toute son énergie pour que les victimes du racisme soient les artisans de leur propre défense et revendiquent par eux-mêmes la place qui leur revient, leurs droits légitimes, rompant ainsi avec l’attitude quelque peu condescendante ou paternaliste de certains militants.
Très tôt, il avait pris en compte la mémoire et le développement des luttes de l’immigration, et fera partager cette question par l’ensemble du mouvement. La présence de représentants d’organisations plus spécifiquement tournées vers les luttes de l’immigration témoigne du respect qu’elles ont pour Mouloud. Aujourd’hui, pour une jeunesse qui n’a d’autre choix que de compter sur ses propres forces pour exister pleinement, les nouveaux terrains de lutte qui s’ouvrent ne peuvent plus être ignorés comme ne peuvent plus être ignoré la recrudescence des violences policières restant impunies et qui visent presque essentiellement des habitants des quartiers populaires, Arabes et Noirs plus particulièrement.
Mouloud savait déceler ce qui était nouveau, en germe dans la société, non pas par esprit de mode mais par la volonté de détecter les mutations en cours ou à venir. Dans une période qui a connu des bouleversements inédits, il a su donner au MRAP une identité plus conforme aux enjeux de notre temps sans pour autant renier ou trahir l’héritage des fondateurs du mouvement.
Esprit curieux et sensible, il était ouvert aux nouvelles formes de pensée et d’analyse, rompant ainsi avec le mépris de certains pour la chose intellectuelle. De la sorte, Mouloud a participé au renouveau du MRAP.
Avec son soutien, et surtout après le 11-Septembre, à l’intérieur du MRAP a pu progresser l’idée que le monde était entré dans une autre dimension et que certaines questions ne pouvaient être abordées en faisant abstraction du contexte international et de ses répercussions sur la situation en France.
Condamnation des interventions étrangères menées par un impérialisme de plus en plus agressif, solidarité avec les peuples en lutte pour leurs droits ont marqué cette période. Mouloud a confirmé et accentué le soutien au peuple palestinien dans sa lutte contre la colonisation et pour la reconnaissance de ses droits.
Il faut savoir que Leïla Shahid, dès qu’elle a appris la mort de Mouloud a exprimé sa volonté d’assister aux obsèques, malheureusement ses obligations ne lui ont pas permis d’être présente. Une estime qui a été également témoignée à Mouloud par bien des organisations militant en faveur de la Palestine.
Pour les habitants d’Aubervilliers et ceux de la banlieue parisienne, Mouloud est une figure particulière : inlassable défenseur du devoir de mémoire, conscient qu’il portait un héritage historique et symbolique précieux, il a activement agi pour que soit reconnu ce véritable crime d’Etat que représente le massacre des Algériens à Paris du 17 octobre 1961 qui a fait des centaines de morts et de disparus.
Pour autant, il s’est toujours opposé de façon claire et catégorique à toute concurrence des mémoires. Celle de l’esclavage, de la colonisation au nom de la République, celle du génocide des juifs et des tsiganes, ou antérieurement celui des Arméniens, autant de mémoires meurtries auxquelles Mouloud veillait à porter une égale attention.
Enfant d’Aubervilliers, Mouloud était devenu ailleurs en France, une sorte de référence pour bien des jeunes et il n’était pas rare, comme peuvent en témoigner de nombreux militants qu’au cours de ses déplacements en province, Mouloud soit interpellé dans la rue par des « habitants des quartiers » qui voulaient le féliciter et lui témoigner reconnaissance et estime pour son engagement.
Par ses prises de position claires, par ses interventions, Mouloud gênait parfois et certains auraient aimé le faire taire. Mais ceux qui s’y sont risqués, comme ceux qui, à la direction MRAP, ont même tenté de le museler en tant que Président d’honneur, en ont toujours été pour leurs frais. Mouloud avait des convictions fortes et vouloir le bâillonner était une entreprise vouée à l’échec.
Le souci d’être dans le consensus mou et confortable était étranger à sa personne. La langue de bois, Mouloud ne la connaissait pas… Mouloud était plutôt un amoureux de la belle langue, de la parole créatrice, novatrice voire subversive.
Il était un homme de paroles, à tous les sens du terme, un homme de la parole donnée…
Avec la disparition de Mouloud, le 43, boulevard Magenta, le siège du MRAP n’est déjà plus comme avant et revient alors en mémoire le poème « Couplets de la rue Saint Martin » que Robert Desnos, mort en déportation à Térézin avait dédié en hommage à son ami et résistant, André Platard, que l’on pourrait paraphraser ainsi :
« Nous n’aimons plus le boulevard Magenta
Depuis que Mouloud l’a quitté
Nous n’aimons plus le boulevard Magenta,
Nous n’aimons rien, pas même le pain.
Nous n’aimons plus le boulevard Magenta
Depuis que Mouloud l’a quitté
C’est notre ami, c’est notre copain
Nous partagions les luttes et le pain
Il a disparu un matin »
Comme André Platard, Mouloud était sans conteste de la trempe de ces hommes qui résistent et sont prêts à donner leur vie.
Lui, Mouloud qui aimait tant la vie mais qui était prêt à l’engager pour que la justice et la dignité soient les fondements d’un monde nouveau débarrassé de la xénophobie et du racisme, un monde d’égalité et de dignité.
Récemment, Manon, la fille de Mouloud, confiait à ses proches qu’il serait difficile de ne pas décevoir un pareil père.
Pour nous aussi il sera difficile de continuer le combat sans Mouloud, à la hauteur des exigences qu’il portait. Il est vrai que sa vie a été une grande leçon de courage. Et comme il le répétait souvent, il faut continuer, il n’y a pas d’autres choix.
Yves Marchi & Alexandrine Vocaturo
(MRAP Menton)
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