Frantz Fanon : Actualité de l'auteur des "Damnés de la Terre"
2 Décembre 2011 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Colloques et dossiers, #Colonisation, #Fanon
Actualité de l’auteur des "Damnés de la Terre"
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Le Fantôme de Frantz Fanon ou Oublier le Tiers-Monde, préface de Françoise Vergès au livre du film Frantz Fanon, Peau noire, Masque blanc de Isaac Julien et le scénario du film. |
De la Martinique où il est né, et où il a vu à l’œuvre la domination coloniale, en passant par son engagement dans les Forces françaises Libres, où il prit conscience que la défaite du nazisme ne signifiait pas la fin du racisme, jusqu’à l’Algérie où son engagement fut total comme psychiatre à l’hôpital de Blida, mais aussi comme acteur de la lutte pour l’indépendance de ce pays – il rejoignit le FLN en Tunisie en 1957 après son expulsion d’Algérie et sera même membre de la délégation algérienne au Congrès panafricain d’Accra et Ambassadeur, toute la vie de Frantz Fanon – vie courte mais intense, il est mort à l’âge de trente-six ans -, s’est articulée autour de la question coloniale.
Expériences précieuses pour étudier les rapports de domination et analyser le lien entre la question coloniale et celle de la violence et du racisme. Les damnés de la terre, ouvrage d’abord interdit avant d’être publié avec une préface de Jean-Paul Sartre chez Maspero, l’année de sa mort en 1961, tout comme auparavant Peau Noire, Masques Blancs(paru en 1952 au Seuil) témoignent d’une profondeur d’analyse qui a marqué toute une génération d’intellectuels et de militants politiques anticolonialistes, ainsi aux Etats-Unis au cours des années 60 les mouvements noirs américains se sont emparés de sa pensée, Elridge Cleaver et avec lui nombre de militants des Black Panthers, par exemple, considéraient Les damnés de la terre comme un ouvrage de référence
En effet, si Fanon, qui a révolutionné les pratiques de la psychiatrie en Algérie, pense le monde comme un psychiatre, -pour lui l’analyse de l’oppression coloniale ne doit pas se limiter aux seuls facteurs économiques, culturels ou politiques mais s’intéresser également aux aspects psychologiques- chez lui le monde est également pensé en termes marxistes : Fanon a toujours insisté sur le rapport entre colonisateur et colonisé en termes de classes. Chez lui, l’aliénation coloniale est pensée non pas comme une question culturelle mais comme un problème politique dont il ne faut pas sous-estimer la profondeur historique.
Il refusera toujours l’enfermement dans une ethnie ou un groupe racial et restera distant à l’égard du mouvement culturel de la négritude de Senghor et Césaire qu’il veut dépasser pour viser davantage à l’émancipation politique.
Enfin pour lui, la colonisation, si elle détruit le colonisé détruit, certes de façon différente, le colonisateur également. Aujourd’hui le refoulé colonial montre encore comment le colonialisme est une maladie dont il est difficile de sortir.
Militant de la décolonisation totalement engagé, Fanon est toujours resté un esprit lucide, toujours prêt à analyser les contradictions du réel, il a ainsi pressenti les dérives qu’allait connaître l’Algérie (Mise en place du parti unique, institution d’une histoire officielle …) et sans doute qu’aujourd’hui ses analyses peuvent aider à porter un regard plus pénétrant sur les révolutions dans les pays arabes qui méritent une lecture et une profondeur dans la compréhension qui font souvent cruellement défaut.
Si en France, Frantz Fanon et son œuvre ont été quelque peu oubliés durant toute une période – après la fin de la guerre d’Algérie, le déni de mémoire, au cours des années 80, le refus de la France d’assumer son passé colonial, le refus de la mauvaise conscience et la liquidation du tiers-mondisme ont joué un rôle essentiel dans la relégation de Frantz Fanon - en revanche, aux Etats-Unis, dans les années 90, il continuait à être enseigné dans les universités.
Cinquante ans après la publication des Damnés de la terre, le passé colonial se vit aujourd’hui en présent post-colonial. Alors que les événements de la guerre d’Algérie, longtemps refoulés, interpellent à nouveau les consciences longtemps endormies et que la commémoration du massacre du 17 octobre 1961 montre à l’évidence qu’aujourd’hui le déni de mémoire n’est plus tenable, l’œuvre de Fanon, parce qu’elle se trouve de fait en lien direct avec les préoccupations d’aujourd’hui, retrouve toute son actualité et toute sa pertinence
N’en déplaise à certains esprits, la fin de la colonisation directe n’a pas mis un terme à la question coloniale. Ses conséquences se font toujours sentir et continuent à nourrir des a priori et des postures intellectuelles qui révèlent avant tout l’impossibilité de se dégager d’une vision de l’histoire dont le seul acteur serait le colonisateur.
Le discours Dakar de Nicolas Sarkozy du 26 juillet 2007 dans lequel il déclarait que l’homme noir n’était pas encore entré dans l’Histoire – dans le droit fil de toute une littérature qui cherchait à réhabiliter la colonisation et à redonner bonne conscience à une société qui commençait à douter du bien fondé de son œuvre outre-mer- prouve que la pensée coloniale est toujours agissante. Ainsi elle produit et structure une islamophobie qui trouve dans la crise économique des facteurs supplémentaires de se développer. Les discours sur l’intégration, la loi sur le rôle positif de la colonisation, les débats sur l’identité nationale, les commentaires sur les révoltes des quartiers populaires de novembre 2005, l’instrumentalisation de la question du foulard, l’assignation à résidence ethnique sont autant d’éléments qui montrent que, bien loin d’avoir disparu, la pensée coloniale n’en finit pas de se déployer et de gangrener l’espace public.
Aujourd’hui, et Fanon l’avait bien vu, la difficulté à s’émanciper, à être pleinement soi-même, directement liée à l’oppression coloniale continue à agir de manière plus ou moins consciente ou souterraine avec pour conséquences la mal-vie et l’impossibilité faite à bien des jeunes, mais aussi à leurs parents, de pleinement se réaliser dans une société qui se refuse toujours à prendre en charge la part de leur Histoire dans notre Histoire commune. Le mouvement des Indigènes de la République, de façon qui peut apparaître parfois provocatrice, n’en témoigne pas moins de la persistance de la question coloniale qui continue à miner notre société.
De nos jours encore où le discours des opprimés s’exprime souvent par le canal de l’islam, la pensée de Fanon peut nous aider à mieux appréhender les raisons de ce recours à la religion : retour à des origines mythifiées, besoin de se (re-) construire une identité niée, impérieuse nécessité de conquérir une autonomie vis à vis de celui qui est (perçu comme) le néo-colonisateur, quand bien même ses écrits plus spécifiquement politiques indiquent que c’est politiquement que se règleront ces questions qui continuent à travailler le corps social
L’oeuvre de Fanon garde une actualité incontestable et ses écrits dans le contexte post-colonial tel que nous le connaissons aujourd’hui présentent toujours un intérêt majeur.
Et si la tentation est grande d’interpréter la pensée de Fanon, se confronter directement à ses écrits demeure un moyen efficace pour déchiffrer la situation actuelle, un passage instructif et stimulant pour penser notre société et agir..
Y.M & A.V
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