Fichu voile ! (chronique France Culture de Clémentine Autain)
20 Février 2011 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Islamophobie
Publié sur son blog et reproduit avec son aimable autorisation
C’est presque par hasard que je reviens ce matin sur un sujet qui crispe le débat public, politique et féministe depuis… une vingtaine d’années : je veux parler du voile. La polémique, vous vous en souvenez, a commencé en 1990. Le débat s’est longtemps polarisé sur l’interdiction du voile dans les établissements scolaires, figeant deux camps radicalement opposés. Récemment, la candidature d’Ilham Moussaid, militante voilée qui figurait sur une liste du NPA aux régionales, ou la loi spécifique contre la burqa a défrayé la chronique. J’y reviens parce que, par hasard, je suis tombée hier dans une librairie sur un essai au titre bien provocateur : Islam Pride. Derrière le voile, écrit par une Tunisienne, Hélé Béji, et publié chez Gallimard. J’ai aimé l’écriture, la pensée complexe et, même s’il y a quelques passages dans lesquels je ne me retrouve pas, la thèse défendue fait franchement du bien.
Ce qui m’a plu, c’est d’y retrouver le double malaise qui m’anime depuis longtemps : le malaise d’une féministe face à une femme voilée, ce saisissement devant la négation visible de notre liberté, et, dans le même temps, le malaise tout aussi saisissant devant la « chasse aux sorcières » menée contre les femmes voilées. Le livre démarre sur une fête de famille où Hélé Béji retrouve sa cousine voilée. Elle ne comprend pas, elle est horrifiée. Ce qui la préoccupe très vite, ce n’est pas d’asséner avec supériorité ses valeurs féministes et laïques mais de trouver la voie pour que ces femmes n’aient plus envie de porter un voile. En s’efforçant de suspendre ses préjugés, elle cherche alors à comprendre : de quoi ce voile est-il le nom ? Hélé Béji réfute l’idée qu’il signerait la résurgence d’un monde arriéré. Elle y voit plutôt une critique de la modernité vécue comme une oppression, en raison du délitement des liens ou de l’obsession de la consommation. C’est le voile comme refuge. Et puis il s’insère à merveille dans l’ère du « C’est mon choix », où chacun doit exhiber son identité. Enfin, explique Hélé Béji, « le voile n’est pas un lambeau du passé, mais le bandeau de l’opposition à la maltraitance des musulmans ». Du coup, poursuit l’auteure, « toutes les attaques que les femmes voilées essuient les enferment davantage dans leur entêtement » : elles font d’elles des martyrs.
Oui, dit-elle, le voile est une illusion : avec lui, il n’y a pas d’issue face aux injustices, au racisme ou aux failles de la démocratie. Mais, écrit-elle, « si je veux démontrer à ces femmes voilées qu’elles se trompent, je ne peux me dérober à un débat de fond. « Ma » liberté n’est pas le modèle irréfutable de « la » liberté, car elle procèderait d’un raisonnement totalitaire, qui sera combattu avec une obstination adverse ». Peut-on imposer la liberté par la force, la contrainte ? Le dirigisme moral conduit à la tyrannie. Il faut donc faire crédit aux femmes voilées de leur libre arbitre pour s’adresser à elle franchement, pour espérer emporter leur conviction.
Jusqu’ici, les féministes s’étaient toujours montrées solidaires des femmes opprimées. Sur le voile, Hélé Béji note une sorte de rupture dans la démarche émancipatrice pacifique des féministes, en tout cas de celles qui prennent le parti de l’exclusion et du rappel à l’ordre pour combattre le port du voile : des femmes, pourtant jugées aliénées, sont stigmatisées et rejetées. Bonne question. Ce livre ouvre un débat partout verrouillé.
Car le plus grave sur le voile, c’est qu’il n’est plus lieu d’argumenter : la pensée dominante se déploie avec aisance, assurance. Tous les bienpensants trouvent là l’occasion de s’emparer des droits des femmes, avec un zèle que l’on aimerait aussi aiguisé quand il s’agit du quotidien de toutes les Françaises fait de viols, d’inégale répartition des tâches domestiques, de sous-salaires et de sur-chômage. Le port d’un voile est loin d’être le seul signe d’oppression dans l’espace public. Lié à l’Islam, il est hyper visible quand on ne voit rien des signes de la domination masculine qui font notre quotidien à tous. La révolution du monde arabe va-t-elle bouleverser nos représentations et nos stratégies ? Elle est un joli pied de nez à tous ceux qui pensent que les valeurs de liberté et d’égalité appartiennent à l’Occident. La Tunisienne Hélé Béji nous livre en tout cas quelques leçons de féminisme et de démocratie. A méditer.
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