Éléments sur les migrations 1/3 (MRAP Menton)
Ce document n’a pas la prétention d’être exhaustif. Il est mis à la disposition des CL. Bien entendu, il peut être complété, amendé. Son but est de donner des éléments pour nourrir un débat ou une discussion lors d’interventions en milieu scolaire. Merci de participer à une élaboration plus complète de ce document.
Y.M & A.V. (MRAP-Menton)
Partie I APPROCHE GENERALE
I.1 Contexte
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modèles en crise –économique, politique, culturelle – avec, en toile de fond, en Europe, la question récurrente des rapports avec l’islam, les problèmes d’identité souvent instrumentalisés, la question de savoir qui est le peuple ou encore le poids que représente une démocratie d’opinion publique et de sondages,
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complexité des transformations en cours dans une période de profondes mutations,
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réponses souvent ambiguës des forces politiques,
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tensions entre l’espace Schengen et, en premier lieu, les espaces euro-méditerranéen et euro-africain,
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révolutions arabes dont les développements sont difficiles à prévoir.
I.2 Problèmes liés à la délimitation de l’espace
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trouver des réponses, dans la globalisation actuelle, à la difficulté de construire un espace politique sans opposer les espaces entre eux,
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penser l’espace en termes de relations, sachant toutefois que toute relation n’est par essence ni libre, ni égale et se construit en terme de dynamiques,
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mettre en place une relation qui soit inclusive et non-exclusive, basée sur une logique du bien commun,
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prendre en compte l’expérience des tensions et des contradictions et particulièrement de celles qui se développent entre l’espace Schengen –véritable espace géopolitique impérial déterminé par les impératifs de libre circulation des biens et des services et ceux du marché du travail – et les espaces euro-méditerranéen et euro-africain,
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délimiter un espace ne peut se concevoir en dehors d’une logique de relation. C’est à partir des logiques politiques de construction des frontières déterminant un dedans et un dehors, ce qui est mis dedans et ce qui est mis dehors, qu’est conçu un espace quel qu’il soit - et cet espace est pris dans une histoire, défini par des articulations et des conflits.
I.3 La colonisation, un fait majeur…
Revenir sur la colonisation est essentiel car elle a laissé une empreinte forte et durable sur l’espace et les frontières. S’interroger sur l’histoire doit nous amener à comprendre ce qui se passe, à pouvoir le nommer et à réfléchir au paradoxe mis en évidence par des historiens de la colonisation qui, à propos de la colonisation britannique fontremarquer que l’utilité de l’Empire n’a jamais été aussi importante que dans la phase de déclin de la métropole et a représenté une véritable bouée de sauvetage qui a maintenu à flot l’économie d’exportation britannique et donc la balance des paiements et la monnaie.
I.4 En tirer des enseignements :
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déclin de l’Europe :
S’il peut être hasardeux de comparer des époques historiques et de se lancer dans des analogies, les remarques de ces historiens ne sont-elles pas cependant recevables pour la période actuelle ? Aujourd’hui, l’utilité des migrations vers les pays riches ne joue-t-elle pas le même rôle de bouée de sauvetage, n’est- elle pas en quelque sorte le signe même du déclin de l’Europe et des Etats-Unis…
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Les pays africains se tournent vers d’autres pays :
Alors que cinquante ans environ après la vague des indépendances et la disparition des empires coloniaux, les écarts de développement entre l’Occident et le reste du monde ne cessent de croître, et pour les anciens colonisés, l’Europe est en train de perdre son attractivité.
Devant les politiques de migration inaugurées par les nouvelles politiques d’empire mises en place et qui instaurent un véritable développement séparé, les pays africains sont en train de réviser leurs relations et se tournent de plus en plus vers la Chine, l’Inde ou le Brésil plus soucieux de répondre à leurs besoins. Le développement proposé aux pays du Sud, et même à ceux de l’Est est aujourd’hui principalement fonction des politiques de migrations choisies ou d’externalisation liées aux intérêts des pouvoirs impériaux et de leurs relais sur place. Si l’on se décentre et que l’on observe cela depuis le Sud -pillage des ressources, fermeture des frontières de la citadelle Europe, camps de rétention externalisés, expulsions collectives…-, c’est un véritable fiasco
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Nécessité de rénover des concepts :
Les migrations sont un très bon laboratoire pour observer et analyser les transformations d’espaces, de récits, de pouvoir opérés par la globalisation et qui nous obligent à réviser quelques concepts qui ne se retrouvent plus en parfaite adéquation avec la phase de mondialisation dans laquelle nous sommes et qui ne prennent pas vraiment en compte le saut qualitatif opéré.
Le concept de développement séparé mis en place lors de la colonisation de l’Indochine ou de l’Algérie et qui assignait à chacun sa place d’un côté du mur, est toujours actif. Ce concept ne permet plus de penser pleinement les profondes inégalités qui se développent aujourd’hui, ni la dissymétrie dans les rapports de pouvoir ou les politiques migratoires.
On assiste à une transformation dans la qualité même des rapports d’inégalité qui tourne autour de la restructuration du marché du travail et de sa mondialisation et par conséquent de la nouvelle articulation entre main d’œuvre de réserve et main d’œuvre jetable.
Le développement du phénomène des « humains superflus »1 dépasse de loin celui de l’inégalité ou celui de l’utilitarisme économique, même si ses racines demeurent dans l’esclavage, la colonisation et dans l’impérialisme.
I.5 Aggravation des politiques migratoires : répercussions et conséquences
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Naturalisation du genre humain :
La modernité capitaliste conçoit les rapports humains sur le même schéma que ceux qu’elle entretient avec la nature, c’est à dire quelque chose d’exploitable et de jetable.
On assiste en sorte à la naturalisation du genre humain traité comme est traitée la nature. Le phénomène des migrations s’inscrit dans ce cadre, et le réfugié se trouve « naturellement » réduit à un superflu jetable.
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Etat d’exception :
Pour rendre compte de la situation créée par l’aggravation des politiques migratoires et de leurs effets, il est parfois fait recours au concept d’état d’exception et, effectivement, devant certaines situations, on peut comprendre que l’on y fasse référence.
Néanmoins, ce concept, s’il a permis de décrire la dictature nazie, perd quelque peu de sa pertinence dès lors qu’il faut traduire le saut qualitatif qui découle de la globalisations et des transformations du travail, avec la mise en place de mesures sécuritaires toujours plus drastiques qui finissent par mettre en cause l’appartenance à l’Humanité de personnes traitées comme des choses ou des éléments de statistiques.
Le paradoxe, c’est que nous ne sommes plus dans des Etats totalitaires, mais dans des Etats de droit, mais dans lesquels sont présentes des solutions totalitaires qui perdurent et sont même réactivées par le pacte européen sur l’immigration avec tous les dangers que cela peut comporter à terme pour l’ensemble de la population.
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Des droits pour les sans droits :
Aujourd’hui, les transformations politico-économiques à l’œuvre ont pour effet la destruction de tout cadre politique, la négation de tout droit pour les sans-droits, voire les sans-Etat.
Parce que l’appartenance politique de chaque individu à une communauté politique organisée lui assure le droit d’avoir des droits, l’obtention des droits pour les migrants doit représenter une revendication prioritaire.
1 Il faut souligner que les migrants ne sont pas les populations les plus « superflues » dans leur pays d’origine : pour migrer, il faut au contraire des compétences physiques et intellectuelles, connaître les langues, pouvoir réunir les fonds pour un périple vers l’Europe qui revient entre 2 et 3 000 euros.
Ainsi donc la population migrante ne correspond pas à l’image qu’en Europe on se fait d’elle, ou de l’image qui est véhiculée à son sujet. Les migrants et nombre pays d’émigration sont plutôt dans un dynamisme positif (Inde, Chine, Brésil, Turquie) et lorsqu’on prétend que c’est la pauvreté et le manque de développement qui créent les migrations, cela n’est que très partiellement vrai, et n’explique qu’une partie toujours plus restreinte du phénomène.
Quand on utilise le terme « superflu », on dit que le pouvoir gère la migration en termes d’exploitation et de surexploitation et de « jetable ».
Superflu n’est donc pas un terme qui s’applique seulement au migrant, sous peine de l’essentialiser. Si « humain superflu » devait renvoyer à migrant ce serait une erreur d’abord parce que le migrant rapporte beaucoup d’argent aux entreprises qui l’emploient et ensuite, parce qu’en dépit de son statut ou plutôt de son absence de statut, il lui est assigné une véritable place dans une structure économique déterminée.
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