Éléments sur les migrations 3/3 (MRAP Menton)
Ce document n’a pas la prétention d’être exhaustif. Il est mis à la disposition des CL. Bien entendu, il peut être complété, amendé. Son but est de donner des éléments pour nourrir un débat ou une discussion lors d’interventions en milieu scolaire. Merci de participer à une élaboration plus complète de ce document.
Y.M & A.V. (MRAP-Menton)
Partie I
II.8 L’immigration choisie, une autre forme d’exploitation
Le thème de l’immigration choisie, s’il a été développé par Nicolas Sarkozy lors de la campagne pour la Présidentielle de 2007, n’est cependant pas une nouveauté. Déjà, dans l’entre-deux-guerres, un projet de planification de l’immigration par nationalité et par secteur avait été élaboré. Aujourd’hui, peu de migrants, hors Ue et Espace économique européen peuvent prétendre séjourner légalement en France :
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Entrent dans cette catégorie et peuvent prétendre à la carte de travail dont la durée est limitée dans le temps, les travailleurs, souvent de très haute technicité, utiles à l’économie du pays, dans des « secteurs tendus » dont les métiers font l’objet d’une liste et qui, depuis août 2011, sont passés de 30 à 14.
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Parallèlement , une carte « compétences et talents », permet l’accueil des étrangers dont le talent peut être utile au rayonnement de la France.
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Avec l’« immigration choisie » que le gouvernement oppose de manière manichéenne et populiste à l’« immigration subie », l’éducation, les charges afférentes à la maladie et au vieillissement se trouvent supportées par le pays d’origine …au pays d’accueil, l’exploitation optimale de la partie de vie la plus productive de l’immigré !…une rentabilité difficilement égalable, pour le seul profit du pays d’accueil…tout bénéfice pour l’économie française !
Un système comparable, la carte bleue européenne inspirée de la « green card » en vigueur aux Etats-Unis, a été adoptée en novembre 2008 pour créer des normes communes et simplifier les procédures d’admission, dans le but de renforcer la compétitivité européenne en attirant les ressortissants des pays tiers dans les « emplois à haute valeur ajoutée ».
Après le recours à la main d’œuvre étrangère pour les tâches les plus dures dans l’industrie, le bâtiment, les travaux publics ou l’exploitation minière et s’ajoutant au pillage des matières premières, le pillage des cerveaux !
II.9 Le transfert de l’épargne des immigrés : une question vitale
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Les transferts de fonds réalisés par les immigrés vers leur pays d’origine sont estimés à 9 milliards d’euro par an soit l’équivalent de l’aide française au développement.
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40% des sommes transférées sont investies dans l’économie locale, le reste servant à subvenir, pour partie, aux besoin alimentaires et de santé des personnes restées sur place.
On comprend dès lors l’importance vitale de l’argent envoyé par les immigrés et la persistance des migrations vers les pays développés malgré toutes les mesures dissuasives prises.
Échappant à tout circuit bancaire de transfert, l’épargne des immigrés a également permis la réalisation de projets de développement centrés souvent sur le village ou la communauté, décidés et pris en charge par des associations d’immigrés, en liaison avec les populations sur place et répondant directement à leurs besoins.
Si des outils financiers sont aujourd’hui mis à la disposition des immigrés – en 2008 par exemple, les Caisses d’Epargne ont proposé un « Compte d’Epargne Codéveloppement » destiné à recevoir l’épargne d’un travailleur étranger disposant d’une carte de séjour l’autorisant à travailler en France –
- si la mise en place de circuits financiers et bancaires adéquats a pour objectif déclaré de valoriser l’épargne des migrants, de moderniser, sécuriser et réduire les coûts des transferts
- si les institutions bancaires se disent prêtes à contribuer à des actions de codéveloppement, l’objectif moins avouable reste à n’en point douter le drainage des fonds transférés par les immigrés.
Le danger de voir l’épargne des immigrés échapper au contrôle des acteurs du développement proches des populations n’est pas à écarter. Le risque est réel de voir ces institutions financer des projets de grande ampleur, répondant à une toute autre logique que la satisfaction des besoins premiers de la population, à moins de croire à la philanthropie des banques.
II.10 Migrations depuis les pays riches … les « expatriés » européens.
Au courant principal orienté Sud–Nord, qui caractérise les migrations, se développent également des courants migratoires des pays riches vers les pays pauvres ou en voie de développement.
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Historiquement, il n’est pas inutile de rappeler que le XIX°siècle surtout a connu une émigration européenne de grande ampleur vers les Amériques et l’Australie (l’émigration chinoise se dirigeant vers les Amériques et le Sud-est asiatique).
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L’Italie qui a fourni une main d’œuvre abondante aux pays européens industrialisés et aux Etats-Unis a connu, surtout à partir des années 1970, un renversement de tendance et est passé du statut de pays d’origine des migrants à celui de pays d’accueil. Ce même passage notable, de pays d’émigration à celui d’immigration, concerne également l’Irlande.
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En Europe, aujourd’hui, on compte 20 millions d’« expatriés » (à noter le changement sémantique) et ce phénomène, amplifié par les délocalisations, concerne plus particulièrement les classes très aisées, des cadres financiers, techniques, industriels ou commerciaux, souvent détachés par leur entreprise, mais également des étudiants poursuivant leur cursus dans un autre pays européen.
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En France, en 2004, on comptait 1,2 million d’expatriés dont 50,7% installés en Europe occidentale, 13,4% en Amérique du Nord, 8,1% en Afrique francophone (la présence d’Européens a d’ailleurs servi à justifier des interventions militaires de la France, et parmi ces expatriés la présence d’anciens colons restés sur place après la décolonisation), 7,4% au Proche et Moyen-Orient.
En 10 ans , de 1995 à 2004, la population française établie hors de France a augmenté de 39,5% et en 2008, elle représentait près de 1,5 million de membres.
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Au Maroc particulièrement, la présence et l’installation de retraités d’Europe, attirés par le climat et une vie moins chère, est un phénomène qui se développe.
II.11 De nouvelles caractéristiques
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Les personnes qualifiées se substituent de plus en plus aux travailleurs migrants sans qualification.
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Les femmes sont de plus en plus nombreuses (48,6%).
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Mise en place dans les pays d’accueil de politiques d’immigration choisie.
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En réponse aux politiques de contrôle de l’immigration et de fermeture des frontières, développement d'une immigration illégale, souvent qualifiée de clandestine.
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Externalisation des contrôles aux frontières, avec transfert de compétences à des pays tiers qui font fonction de sous-traitants en échange d’une aide au développement, ou pour le régime de Khadafi, avant sa chute, en échange d’une réintégration dans la « communauté internationale » des Etats.
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Développement d’une immigration provisoire pour répondre au mieux au besoin d’ajustement du facteur travail exigé par les entreprises.
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Des itinéraires migratoires de plus en plus compliqués et dangereux pour contourner les contrôles et un éloignement de plus en plus marqué en terme de distance géographique entre pays d’origine et pays d’accueil.
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Des migrations de plus en plus chères parallèlement au développement de filières de type mafieux.
II.12 Tendances de crise
La crise économique qui se développe a des répercussions évidentes sur l’ampleur des migrations internationales
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Selon le rapport de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques ) de 2009, les migrations internationales sont en baisse après une décennie de progression, baisse due au recul de la demande de travailleurs dans les pays de l’OCDE qui regroupe les nations les plus riches (Europe , Amérique du Nord, Japon…) mais aussi des pays émergents : Mexique, Chili, Turquie.
Cette tendance affecte un peu moins les migrations à caractère familial ou humanitaire.
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Cette baisse des migrations, toujours pour les pays de l’OCDE, est évaluée à environ 7%, le nombre de migrants passant de 4,5 millions en 2008 à 4,2 millions en 2009.
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Entre pays européens, on assiste à une baisse de 22% des migrations entre Etats membres - les migrations temporaires, plus sensibles aux variations de la demande en main d’œuvre ont, quant à elles, baissé de 17% en 2009.
Dans cette phase de ralentissement des migrations internationales, seules les migrations de personnes venues de l’étranger pour poursuivre des études dans les pays de l’OCDE ont connu une augmentation (près d’un étudiant sur cinq est originaire de Chine).
Depuis de nombreuses années, le thème de l’immigration pollue le climat politique de la France. Les immigrés rendus responsables du chômage et de l’insécurité ne sont plus seulement la cible de l’extrême droite.
Nombre de partis politiques démocratiques, par adhésion, calcul politicien ou lâcheté emboîtent le pas à l’extrême droite ou lui opposent un silence gêné, quant au gouvernement on connaît les mesures qu’il a prises et la politique du chiffre qui cible de façon directe les migrants illégaux et de façon indirecte tous les immigrés, ou même les Français considérés comme tels soupçonnés également d’être potentiellement des irréguliers.
Souvent circonscrite à la seule France, ou tout au plus à l’Europe, dans une solidarité d’une Union européenne constituée de pays « nantis » cette question des flux migratoires - d’ailleurs en Europe on ne parle que d’immigration- dépasse de loin le seul cadre hexagonale et doit être replacée à l’échelle planétaire dans le cadre de l’économie libérale mondialisée où la déréglementation, la dictature des marchés, le rôle des institutions financières internationales doivent être soumis à la critique.
De toute évidence, dans les rapports d’interdépendance entre les pays que développent obligatoirement les phénomènes migratoires, l’inégalité reste de règle tout comme le racisme et l’exploitation, certes différente dans sa forme que durant la colonisation mais qui se perpétue souvent au profit des mêmes.
Face à cela, les citoyens pris individuellement manifestent des réactions contradictoires : alors même qu’ils sont en accord avec les mesures répressives qui touchent les Roms ou les immigrés en situation irrégulière, les mêmes n’hésitent pas à se mobiliser contre une décision d’expulsion dès lors qu’un enfant scolarisé, en situation irrégulière, est recherché par la police ou que des voisins sans papiers sont menacés d’être renvoyés vers leur pays.
C’est cette solidarité quotidienne qu’il faut développer et sur laquelle il faut s’appuyer pour passer d’une réaction émotionnelle et forcément limitée à une réaction plus politique, consciente et engagée dans la critique du système et la volonté de faire changer les choses.
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