Éléments sur les migrations 2/3 (MRAP Menton)
Ce document n’a pas la prétention d’être exhaustif. Il est mis à la disposition des CL. Bien entendu, il peut être complété, amendé. Son but est de donner des éléments pour nourrir un débat ou une discussion lors d’interventions en milieu scolaire. Merci de participer à une élaboration plus complète de ce document.
Y.M & A.V. (MRAP-Menton)
Partie II ELEMENTS CROISES
II.1 De qui on parle, de quoi on parle
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Lorsque l’on parle de flux migratoires, de migrations, de façon générale, on entend les migrations internationales, celles qui conduisent à l’établissement d’un individu (et dans certains cas également de sa famille) dans un pays autre que celui où il est né, à l’exclusion des migrations internes à un pays, même si à l’exemple de la Chine ou de l’Inde, par leur seul aspect numérique, ces migrations internes représentent un phénomène de grande ampleur.
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De même est opérée une différence entre populations migrantes et populations déplacées :
Pour les premières, de façon générale, la migration relève d’une décision personnelle, individuelle, avec le projet de s’établir dans un autre pays pour tenter d’y trouver de meilleures conditions de vie, un travail ou de poursuivre des études.
Pour les secondes, les populations déplacées, si l’on fait abstraction des déplacements massifs de populations synonymes de déportation de peuples entiers comme ce fut le cas en URSS, ou des conséquences de guerres ou de nettoyages ethniques, leur installation souvent provisoire dans une autre région ou dans un autre pays limitrophe est la conséquence d’un événement extérieur – guerre, famine – qui a contraint ces populations à quitter leur terre, leur pays en dehors de tout projet pré-établi.
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Le cas des réfugiés pour raisons politiques relève d’une autre approche dans laquelle le droit d’asile, même s’il n’est pas formellement remis en cause, n’en subit pas moins de plus en plus d’atteintes ou de restrictions. Ainsi, en France, l’établissement d’une liste de « pays d’origine sûrs » vise à priver du droit d’asile, sous prétexte de respect des droits par leur Etat, les ressortissants de ces pays parfois un peu abusivement considérés comme « démocratiques ». Enfin la défiance des autorités françaises vis à vis des demandeurs d’asile vus dès le départ comme des fraudeurs potentiels ne permet pas toujours l’exercice de ce droit.
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L’analyse de la question des migrations ne peut se faire de manière unilatérale, du seul point de vue des pays du Nord. Un décentrement est nécessaire pour observer le phénomène selon les deux perspectives, celle des pays d’émigration et celle des pays d’immigration
II.2 Un phénomène mondial
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Par rapport aux phases antérieures de la mondialisation, actuellement, tous les pays (pays d’origine comme pays d’accueil) sont concernés par les flux migratoires qui se sont mondialisés. Les migrations se développent à l’intérieur de vastes ensembles, Afrique par exemple ou à l’échelle de sous-continents.
Penser que ce phénomène ne touche que les pays riches de l’Ue, reste la marque d’un européocentrisme caractéristique de puissances impériales ou qui se comportent encore comme telles.
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Selon les chiffres du Fonds mondial de la population, le nombres de personnes qui ont migré pour s’installer dans un autre pays est passé de 75 millions en 1975 à 120 millions en 1990 et 185 millions en 2005.
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Ces chiffres représentent 2,9% de la population mondiale. Compte tenu de l’augmentation de la population mondiale, ce pourcentage n’a que peu varié, tournant autour de 2% depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
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Selon des statistiques, 63% des migrants se trouveraient dans les pays riches. Si les pays les plus attractifs demeurent ceux d’Amérique du Nord et de l’Europe de l’Ouest - les Etats-Unis comptent environ 25 millions de migrants, environ 1 million de plus chaque année, l’Allemagne 5 millions, la France plus de 4 millions - l’Arabie Saoudite, elle, avec 4 millions d’immigrés en compte autant que la Grande-Bretagne ! Pourcentage énorme qui peut également être relevé dans les pays pétroliers du Golfe (par exemple 86,5% d’étrangers au Qatar), et à un degré toutefois bien moindre en Libye comme on a pu le constater lors de la guerre dans ce pays et l’évacuation des travailleurs étrangers (européens, asiatiques, africains …).
II.3 Fantasmes et exploitation politique
La question des migrations, essentiellement dans son volet immigration, est devenue très sensible dans nombre de pays du Nord qui se sont transformés en véritables citadelles.
En l’absence d’une large diffusion d’informations statistiques sur le phénomène, de la part des autorités des pays d’accueil comme des pays d’origine, nombre de fantasmes peuvent se développer, agités dans les pays d’accueil par des mouvements d’extrême droite nationalistes et xénophobes qui se sont saisis de cette question pour stigmatiser les immigrés en les rendant responsables du chômage ou de l’insécurité.
En faisant porter sur les immigrés le poids de la fragilisation et de la précarisation des conditions de vie, se trouve exonérée de toute responsabilité une mondialisation libérale qui met en péril tout autant les populations du Nord et du Sud que l’on cherche à opposer, rendant de la sorte plus difficiles les nécessaires solidarités pour mettre en échec un système économique qui profite aux plus riches.
II.4 Un phénomène aux causes multiples
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des facteurs économiques
Ces migrations représentent environ les 9/10 de l’ensemble. Elles sont liées au développement de l’activité économique et aux besoins du marché du travail : pour preuve, la crise et l’atonie économique qui en résulte, ont entraîné de façon mécanique une baisse des migrations internationales.
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des facteurs politiques et sociaux
L’instabilité politique chronique, les répressions qui touchent des peuples à qui on refuse de reconnaître leurs droits ( Kurdes , Tchétchènes, Tamouls etc.), les guerres, les famines sont des événements qui expliquent des migrations souvent considérées au départ comme temporaires par ces migrants.
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des facteurs démographiques
Cela correspond aux besoins liés au vieillissement de la population des pays riches. En Europe, la France mise à part, les taux de fécondité ne permettent plus le renouvellement de la population (le cas de la Russie est tout aussi alarmant et d’après les projections des démographes, la Chine devrait, à terme, être également touchée).
En 2000, un rapport préliminaire de l’ONU présenté par la division de la population des Nations Unies prévoyait que pour maintenir l’équilibre de 4 à 5 actifs pour un retraité, les pays de l’Union européenne devaient accueillir sur leur sol jusqu’à 2025 159 millions de travailleurs immigrés. Si la crise actuelle remet en cause ces projections, le recours à l’immigration n’en reste pas moins essentiel. En tout état de cause, la maximalisation des gains de productivité, l’allongement de la durée du travail avec comme corollaire le recul de l’âge de la retraite ne pourront suffire à garantir les besoins en main d’œuvre des pays européens en cas de reprise économique.
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Des facteurs climatiques, voire écologiques
Ils sont déjà à l’œuvre dans les migrations internes à des pays comme le Bangladesh qui, par les transformations climatiques qui affectent le niveau des mers, doit faire face à des transferts de populations qui augmentent la pression démographique sur les autres régions jusqu’à générer des troubles entre les populations en présence.
Comme les catastrophes écologiques que connaissent par exemple la Chine ou le Japon peuvent donner une idée de l’ampleur des migrations à venir qui dépasseront les frontières des pays concernés.
II.5 Les migrations temporaires et / ou saisonnières
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L’agriculture représente le secteur principal de l’utilisation de cette main d’œuvre immigrée dont les membres, liés par des contrats de moins de six mois, sont employés, pour l’essentiel, à l’époque de la récolte des fruits ou des vendanges.
Antérieurement en provenance d’Italie ou d’autres pays européens limitrophes, les saisonniers viennent aujourd’hui majoritairement de Pologne (50%), du Maroc (46%), de Tunisie (4%).
L’hôtellerie et la restauration pour les mêmes raisons -activité saisonnière- ont recours à ce type d’immigration.
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L’industrie, quant à elle, emploie un peu plus de 3% de la main d’œuvre temporaire étrangère, ce qui correspond à une nouvelle forme d’organisation de la production, répondant à un souci d’ajustement entre les pôles travail / main d’œuvre et capacité de production pour répondre à la demande ...En un mot, l’optimisation de la main d’œuvre, la mobilité et la flexibilité pour satisfaire aux impératifs d’une production à flux tendu et une optimalisation des profits.
Cette migration temporaire, aujourd’hui encouragée et justifiée par les autorités est censée tarir l’immigration illégale favorisée par les employeurs pour répondre à leurs besoins en main d’ouvre temporaire.
Moins bien protégée par la législation du travail et souvent peu syndiquée du fait de sa présence temporaire, cette main d’œuvre issue d’une migration temporaire ou saisonnière a, elle aussi tout comme les sans-papiers, du mal à faire valoir ses droits…une aubaine pour les employeurs des pays d’accueil qui l’exploitent en toute légalité.
II.6 Une inégalité de traitement
La possibilité de migrer est de plus en plus soumise à des conditions mises par les pays d’accueil qui institutionnalisent des différences de traitement entre les migrants en fonction de leur pays d’origine qui de façon schématique se traduit par :
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Un statut différencié entre d’un côté les citoyens de l’Ue à qui est reconnue la liberté d’installation dans tout pays membre de l’Ue ainsi qu’un certain nombre de droits politiques –statut élargi depuis, sous certaines conditions, aux citoyens des pays membres de l’Espace économique européen , et de l’autre les non communautaires (personnes n’appartenant pas à la Communauté européenne, qualifiées aussi d’extra communautaires).
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Une politique de délivrance des visas, qui est en quelque sorte l’épine dorsale ou en tout cas l’instrument déterminant de la politique migratoire, et qui se caractérise par une grande disparité dans le traitement des demandes. Ainsi, sans surprise vu les orientations des politiques migratoires, dans le cas de l’Ue, ce sont les ressortissants des pays africains qui connaissent le plus haut taux de refus, sans compter, en amont, la barrière que constitue le prix dissuasif du visa qui représente, au Mali par exemple, plus de 3 fois le salaire moyen.
II.7 Guerre aux migrants et guerre économique
Associer les pays du Sud à la gestion des flux migratoires relève d’une hypocrisie politique qui, sous couvert de gestion commune, de partenariat ou d’intérêts partagés et autres justifications du même genre, cache mal les rapports de pouvoir et de domination que les pays du Nord exercent pour leur seul profit sur les pays du Sud souvent impuissants à défendre leurs intérêts et ceux de leurs populations, dans un rapport de forces qui leur est totalement défavorable.
En 2008, cependant, le souhait du gouvernement français de voir signer des « accords bilatéraux sur la gestion concertée des flux migratoires » va se heurter à la réticence des pays africains craignant que l’accès en France de quelques centaines de travailleurs se fasse en échange d’une meilleure coopération pour la réadmission de leurs ressortissants sans papiers…un marchandage difficilement accepté par les populations locales.
En considérant la politique d’immigration de l’Ue comme faisant partie « de la politique de défense et de sécurité », les autorités européennes montrent d’ailleurs l’importance qu’elles attachent à cette question et leur détermination à défendre à n’importe quel prix les intérêts égoïstes de l’Ue, quelles que soient les répercussions pour les populations du Sud qui, devant l’arrêt de l’immigration n’ont d’autre solution que l’immigration « sauvage », « illégale »… une politique qui génère des mesures inhumaines et qui provoque chaque année des centaines de morts parmi les migrants illégaux dans des naufrages dramatiques au large des Canaries ou des côtes italiennes ou encore dans le détroit de Gibraltar.
Et pour ceux qui ont réussi à rejoindre l’Europe (500 000 personnes par an selon EUROPOL, l’Office européen de police), la clandestinité, la peur des contrôles et des rafles, la traque perpétuelle, en attendant une hypothétique régularisation.
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