Droit de vote des étrangers: l’aboutissement de la démocratie
Droit de vote des étrangers: l’aboutissement de la démocratie
« Allons chercher, au Parlement, les voix manquantes une par une. » Dans un appel à François Hollande initié par Esther Benbassa et Sergio Coronado, une cinquantaine d'intellectuel(le)s et d'élu(e)s pressent le président d'engager avant 2014 la réforme en faveur du droit de vote des étrangers, assurant que « notre pays se doit de reconnaître un nouveau type de citoyenneté, qui ne soit pas uniquement le fruit de la nationalité ».
Monsieur le Président,
Généreuse, la République se doit de donner de nouveaux moyens d’expression à ceux qui prennent part, au quotidien, à la vie de la Cité, qui contribuent à ses ressources, et qui respectent ses lois. Terre d’accueil, la France se doit de tenir compte des racines créées, par-delà la nationalité, par ceux qui y vivent depuis des années, parfois depuis des décennies. Pluriel, notre pays se doit de reconnaître un nouveau type de citoyenneté, qui ne soit pas uniquement le fruit de la nationalité.
L’extension du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non européens concernerait environ 2,3 millions d’étrangers, dont 1,8 million y résidant depuis plus de cinq ans. En 1981, François Mitterrand, alors candidat à l’élection présidentielle, la proposait déjà. En 2012, vous-même, à votre tour candidat, vous repreniez cet engagement à votre compte.
Ce droit est l’aboutissement du cheminement naturel de la démocratie. Il constitue également un facteur de renforcement de la cohésion sociale. Et il est susceptible d’avoir des effets positifs sur la participation électorale des enfants français de ces étrangers.
Son adoption permettrait enfin de mettre un terme à des asymétries choquantes entre les étrangers non européens, qui sont parfois résidents de longue date sur le sol français, et les étrangers communautaires, disposant eux, sans condition de durée de résidence, du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales.
Les étrangers qui y accéderaient ne pourraient pas exercer de fonctions exécutives au sein d’un conseil municipal et les conseillers municipaux étrangers élus ne pourraient pas participer à l’élection des sénateurs.
Ce droit, adopté en 2000 à l’Assemblée nationale, a été voté par le Sénat le 8 décembre 2011, un peu plus de deux mois après son basculement à gauche, le 25 septembre 2011. Ces prises de position parlementaires s’inscrivent dans le sillage des appels lancés régulièrement depuis les années 1980 par des associations antiracistes institutionnalisées, tels la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) ou le Mouvement contre le racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP), et de la mise en place, dans de nombreuses municipalités, de dispositifs d’association des résidents étrangers à la vie locale. Des vœux ont également été régulièrement adoptés, en faveur du droit de vote et d’éligibilité des étrangers dans les conseils municipaux, généraux et régionaux, dès 2001. Et des référendums locaux ont enfin été organisés, autorisant la participation des ressortissants étrangers. Sans oublier l’inscription de ce droit dans le programme de plusieurs partis de gauche.
Maintenant que la France a en vous un président de la République socialiste, il est temps de reprendre politiquement en main le dossier, et d’engager le processus de révision constitutionnelle.
Pour cela, l’option la plus favorable serait la préparation par le gouvernement d’un projet de loi, soumis aux deux chambres séparément, puis au Congrès (députés et sénateurs réunis). Pour que la révision constitutionnelle soit définitivement adoptée, elle devra emporter au moins les trois cinquièmes des voix du Congrès. Il risque pourtant d’en manquer une quarantaine. Lançons donc une campagne pour convaincre les élus hésitants. Allons chercher, au Parlement, les voix manquantes une par une. Montrons que la politique est aussi l’art de convaincre, et que la démocratie ne peut que gagner à un tel combat.
Il ne serait pas raisonnable de reporter à 2014 l’éventuel octroi à nos résidents étrangers non européens d’un droit qu’ils attendent depuis si longtemps. Ils méritent de notre part ce geste fraternel, hautement symbolique, mais aussi utile à la société, ne serait-ce que par son caractère résolument inclusif en des temps où les replis religieux, ethniques, communautaires se font de plus en plus visibles. Voter, c’est se responsabiliser, et dire non à l’enfermement dans les marges.
Ensemble, député(e)s, sénateurs et sénatrices, élu(e)s de tous rangs, ministres, chef de gouvernement, et jusqu'au plus haut représentant de l'Etat que vous êtes, Monsieur le Président, faisons de notre conquête des voix une mission républicaine. Montrons que nous sommes encore capables de porter haut et fort nos valeurs de gauche pour une société du vivre ensemble.
Parlementaires, intellectuel(le)s, citoyen(ne)s, c’est aujourd’hui, dès maintenant, que nous avons le devoir de construire la France de demain.
Nous comptons sur vous, Monsieur le Président.
Esther Benbassa, sénatrice (EELV) du Val-de-Marne et rapporteure au Sénat de la proposition de loi sur le droit de vote et d’éligibilité des étrangers
Sergio Coronado, député (EELV) des Français établis hors de France
Signataires
Jean-Christophe Attias, directeur d’études à l’EPHE (Sorbonne)
Nicolas Bancel, historien, professeur à l'Université de Lausanne
Pascal Blanchard, historien, LCP, CNRS
Pascal Boniface, géopolitologue
Daniel Borrillo, maître de conférence à l’Université Paris X
Jean-Paul Chagnollaud, professeur des Universités
Marc Cheb Sun, éditorialiste
Pascal Cherki, député (PS) de Paris
Denis Crouzet, professeur d'histoire à l'Université Paris-Sorbonne
Elisabeth Crouzet-Pavan, professeur d'histoire à l'Université Paris-Sorbonne
Cécile Cukierman, sénatrice (CRC) de la Loire
Geoffroy De Lagasnerie, philosophe
Michel Delebarre, maire de Dunkerque, sénateur (PS) du Nord
François De Rugy, député (EE-LV) de Loire-Atlantique, co-président du groupe écologiste à l'Assemblée nationale
Christine Delphy, directrice de recherches au CNRS
Didier Eribon, professeur à l'Université d'Amiens
Christian Favier, président du Conseil Général et sénateur (CRC) du Val-de- Marne
Eric Fassin, sociologue, Université Paris VIII
François Geze, éditeur
Jérôme Guedj, député (PS) de l’Essonne
Razzy Hammadi, député (PS) de Seine-Saint-Denis
Stéphane Hessel
Philippe Kaltenbach, sénateur (PS) des Hauts-de-Seine, maire de Clamart
Bariza Khiari, sénatrice (PS) de Paris
Michel Kokoreff, professeur de sociologie, Université Paris VIII
Jean-Yves Leconte, sénateur (PS) des Français établis hors de France
Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire
Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice (PS) de Paris
Daniel Lindenberg, professeur de sciences politiques, écrivain
Roger Madec, sénateur (PS) de Paris, maire du XIXe arrondissement de Paris
Noël Mamère, député (EE-LV) de la Gironde
Gilles Manceron, historien
Caroline Mecary, avocate au barreau de Paris, co-présidente de la fondation Copernic
Michelle Meunier, sénatrice (PS) de la Loire-Atlantique
Jean-Pierre Michel, sénateur (PS) de la Haute-Saône
Jean-Vincent Placé, sénateur (EE-LV) de l’Essonne, Président du groupe écologiste du Sénat
Barbara Pompili, députée (EE-LV) de la Somme, co-présidente du groupe écologiste à l'Assemblée nationale
Mabrouck Rachedi, écrivain
Richard Rechtman, directeur d'études à l'EHESS
Ridan, auteur-compositeur
Barbara Romagnan, députée (PS) du Doubs
Patrick Simon, directeur de recherche à l’INED
Benjamin Stora, professeur des universités
Lilian Thuram, président de la Fondation Education contre le Racisme
Vincent Tiberj, sociologue à Sciences Po
Enzo Traverso, professeur de science politique à l'Université d'Amiens
Dominique Vidal, historien et journaliste
Sophie Wahnich, historienne, directrice de recherche au CNRS, IIAC-TRAM de l'EHESS
Pour signer cet appel (également publié par Libération):
http://www.avaaz.org/fr/petition/Appel_pour_le_droit_de_vote_des_etrangers
Commenter cet article