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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Dossier Algérie: Entretien avec Henri Alleg

18 Mars 2012 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Colonisation, #Algérie (1830-1962)

  Entretien avec Henri Alleg,*

Militant anticolonialiste

Henri Alleg a été Directeur d’Alger Républicain, seul quotidien qui réaffirmait le droit des Algériens à l’Indépendance

Auteur de « La Question » témoignage sur la torture


(Entretien réalisé le 1er mars 2012 par Y.M & A.V.)

Quel était l’état de la société algérienne, le rapport entre les populations à la fin de la Seconde Guerre mondiale à laquelle ont participé plus de 300 000 Algériens ?

Henri Alleg : La situation économique était très difficile pour les Algériens, sans trop de perspectives de changement ou d’amélioration, une situation de blocage, personne dans le camp des Européens ne se levant pour dénoncer ce qu’était le colonialisme ; en vérité, même chez ceux qui se posaient des questions, personne, côté colons, n’osait s’interroger sur un futur de l’Algérie hors du cadre purement français, cela leur était, au sens strict du mot, « inconcevable ».

Les Européens pensaient que leur avenir était assuré pour toujours et, qu’en conséquence, pour les Algériens, il n’y avait pas d’autre alternative que d’accepter la situation coloniale. C’est à dire, du point de vue social, l’inégalité des paysans aux ordres des colons et, pour les autres travailleurs – ceux qui avaient la chance d’avoir un emploi – des salaires de misère, mis dans l’obligation d’accepter une situation dans laquelle les lois leur interdisaient de penser qu’un jour ils pourraient avoir la possibilité de s’exprimer, de dire leur sentiment sur la façon dont ils étaient traités.

Malgré cela, même s’ils savaient qu’ils n’obtiendraient pas satisfaction, les Algériens revendiquaient néanmoins l’égalité, en premier lieu pour leurs enfants qui, dans leur grande majorité, n’étaient pas scolarisés, mais également le droit de vote – ainsi les Algériens étaient-ils tenus à l’écart, même pour les affaires concernant les villes et les villages dans lesquels ils habitaient


C’étaient en quelque sorte les revendications de Ferhat Abbas … ?

Henri Alleg : Sa position s’exprimait de façon plus précise. Pour lui et pour ceux qu’il représentait, c’est à dire une bourgeoisie qui se différenciait des simples gens de la ville, Ferhat Abbas revendiquait l’égalité avec les Français, avec ceux qui en Algérie se considéraient comme les maîtres des lieux. En cela, il se trouvait sur une ligne différente de celle exprimée par d’autres « Algériens » qui, eux, revendiquaient le droit à la liberté pour eux-mêmes et pour leur peuple. Ainsi lorsque certains Français, politiques ou colons ouverts, répondaient à Ferhat Abbas qu’ils comprenaient et étaient d’accord pour que leur soit accordée la nationalité française, d’autres « Algériens » à l’époque répondaient « Nous ne sommes pas français, nous nous considérons comme Algériens et par conséquence, ce que nous revendiquons, c’est le droit d’être considérés comme des Algériens et comme des personnes qui se battent pour qu’on leur reconnaisse le droit à cette identité. »


En clair, c’est ce qui aurait représenté la ligne de fracture entre Ferhat Abbas et Messali Hadj

Henri Alleg : Messali Hadj représentait un courant qui considérait, qu’un jour ou l’autre, l’Algérie allait avoir à affirmer son droit à être une nation indépendante. Ce courant s’était surtout développé parmi les membres de la petite bourgeoisie autochtone, ouverts au combat et qui aspiraient à devenir les représentants d’un futur Etat algérien, et qui comprenaient que cette issue était inéluctable. A cette époque, à bien des égards, ils pouvaient apparaître quelque peu comme des aventuriers qui n’avaient pas conscience que certaines choses n’étaient pas possibles.

Cependant, suivant les périodes, alternaient des hauts et des bas selon que la situation en France était plus favorable ou non à l’expression de la volonté des Algériens. Et, et à des avancées au point de vue politique, succédaient des périodes de répression, y compris contre des personnes comme Ferhat Abbas.


C’est bien l’incompréhension des autorités françaises autant sur place qu’en métropole qui a marqué toute cette période…

CASBAH.jpegHenri Alleg : Il faut bien avoir à l’esprit pour comprendre la situation que ceux qui dirigeaient en Algérie, ceux qui avaient l’oreille des autorités françaises, souvent les députés représentants de l’Algérie, avaient la possibilité de se présenter comme députés de partis français. Si en tant qu’élus d’Algérie, ils avaient un rôle important en Algérie, en France, dans les enceintes parlementaires, comme députés, membres d’un parti français, ils tentaient d’influencer et d’orienter les choix gouvernementaux, ils défendaient d’abord les Européens d’Algérie et se battaient pour la défense d’une France coloniale, dirigeante d’un grand empire dans lequel l’Algérie devait rester française.

Sans pour autant se référer à cette idée qui commençait à perdre de son crédit, ils avançaient l’idée que l’Algérie, premier client de la France, ne pouvait être comme ils disaient « abandonnée par l’orientation politique française » -mais qu’au contraire, il fallait développer tous les liens qui unissaient l’Algérie et la France … ce qui se résumait au simple constat qu’il ne pouvait y avoir de solution autre pour la France -qui disposait des armées nécessaires -que de tenir l’Algérie de main ferme.

Bien évidemment, il n’était jamais question de prendre en compte ou d’exposer les revendications du peuple algérien et des Algériens eux-mêmes qui, affirmaient-ils, n’étaient pas au même niveau que les Français et devaient encore progresser avant que leur soit concédée la possibilité d’exercer des droits.

C’est ce refus constant de voir la réalité, d’accepter même de discuter avec les gens du cru, qui a fait prendre conscience peu à peu au peuple algérien qu’il était absolument impossible d’avancer autrement que par l’action armée, parce qu’aussi bien ceux qui dirigeaient en France que les « pieds-noirs » encore davantage, restaient imperméables à leurs aspirations et répondaient à leurs revendications par la seule force et par la seule violence.


Donc, la lutte armée s’impose comme une nécessité … ?

La question-allegHenri Alleg : Pendant longtemps, les Algériens qui étaient ouverts à la réflexion politique ont pensé qu’on éviterait d’avoir recours à des actions armées et que l’on éviterait de se retrouver dans une « situation à la vietnamienne », d’autant qu’en France se trouvaient des hommes politiques comme Mendès-France qui avait signé les accords de Genève mettant fin à la guerre du Viet Nam. En ce sens, à ce moment-là, pour les Algériens, une solution pacifique pouvait être envisagée.

Côté français, les responsables gouvernementaux ont très tôt fait comprendre aux Algériens qu’il n’y avait rien de comparable entre la situation au Viet Nam et celle en Algérie : l’Algérie, c’était la France et le Viet Nam, une colonie.

C’est ce refus constant d’aborder réellement la situation qui existait en Algérie qui a amené les Algériens à conclure qu’il n’y avait pas d’autres issue qu’une solution de force pour répondre au rapport de forces qui leur était imposé par la France.

Aucune autre perspective n’a été laissée aux Algériens pour faire aboutir des revendications qui n’étaient pas seulement portées par les nationalistes mais, peu à peu, par la suite par d’autres – notamment les communistes algériens du PCA qui manifestaient leur refus de se mettre au garde-à-vous devant les autorités coloniales et d’accepter cette idée totalement fausse et aberrante que l’Algérie, c’était la France et pas autre chose.

Ces idées ont été reprise également par des Européens qui se rendaient bien compte qu’il n’était pas possible de refuser toute discussion avec les Algériens et de se retrancher derrière une vision aussi étroite. Démocrates, chrétiens regroupés autour de Mgr Duval, l’archevêque d’Alger, ils considéraient qu’il fallait ouvrir une autre perspective. Devant le refus obstiné de la France, ils avaient conscience qu’on s’acheminait inexorablement vers des actions et des solutions de force.

Ainsi donc, en novembre 1954, lorsque la lutte armée a commencé, le combat n’a pas été mené exclusivement par les Algériens marqués par le nationalisme. Dans les villes comme dans les maquis, des Européens, certes en petit nombre, y ont pris une part active, communistes souvent mais pas seulement.


Mai 54, Diên Biên Phû, novembre 54, déclenchement de la guerre d’Algérie . La proximité des deux dates interroge. Quelle influence sut les Algériens a pu avoir la guerre menée par les peuples d’Indochine et leur victoire sur l’armée française ?

Henri Alleg : En vérité, ce qu’il est important de dire en premier lieu, c’est que même bien après le déclenchement de la lutte en novembre 1954 et les premiers coups de feu, et en dépit des batailles qui se sont déroulées à partir de cette date, pendant très longtemps et presque jusqu’à présent, officiellement –du moins du côté français – on ne parlait pas de « guerre d’Algérie ». S’il est une chose qu’il faut garder à l’esprit, c’est cette incapacité chez les Français d’imaginer que la guerre avait été déclenchée, d’en prendre conscience, de le dire.

En revanche, pour les Algériens, il n’y a aucune question, aucun doute sur la réalité de la guerre qui a été pour eux une période extrêmement difficile.

Pour répondre plus précisément à la question, lorsque je suis arrivé en Algérie, bien entendu les Algériens se plaignaient de leur situation, mais, dans les masses algériennes, si on parlait des difficultés de l’Algérie, aucune référence n’était faite à une situation de pré-guerre, même si chez les Algériens il y avait une conscience que des choses très importantes se passaient à l’autre bout du monde, au Vietnam particulièrement.

A ce propos, une anecdote est révélatrice : au moment de Diên Biên Phû, à Saint-Eugène, dans ce que l’on pourrait qualifier de banlieue algéroise, le maire –très connu pour ses positions hostiles à l’Algérie algérienne- avait organisé un meeting qui se clôturait par un match de football. Parmi les spectateurs, une grande majorité d’Algériens, disons d’origine. Interruption du match. Le maire prend la parole pour annoncer qu’il vient d’apprendre la défaite de l’Armée française à Diên Biên Phû et, à la grand stupéfaction des Européens, une grand partie du public se lève pour applaudir cette défaite de la France et affirmer sar solidarité avec le peuple vietnamien.

Cette anecdote résume bien les sentiments du peuple algérien à cette époque vis à vis des Vietnamiens, de leur lutte victorieuse, mais elle prouve aussi que la lutte de décolonisation qui avait eu lieu au sein de l’ « Empire » français les touchait directement. C’est une chose que peu d’historiens mettent en avant mais qui est très significative.


L’influence du FLN est devenue prépondérante voire hégémonique ? Quelles étaient ses revendications ? Quelle articulation entre lutte politique, lutte sociale , lutte pour l’indépendance ?


Henri Alleg : Il ne s’agissait pas seulement d’une revendication uniquement politique. Les gens se battaient pour une autre Algérie et demandaient que l’on respecte leur volonté d’indépendance. Cela allait devenir le noyau dur du FLN et assurer sa solidité Les gens qui rejoignaient le FLN se battaient non pas seulement pour une Algérie indépendante mais également pour une Algérie nouvelle qui réponde à leur désir profonds de justice sociale. Quand je dis justice sociale, il ne s’agissait pas simplement de satisfaire les revendications des paysans à qui on refusait le droit de cultiver ou de garder leurs terres -dans cette Algérie fortement rurale, pour une partie très importante d’Algériens d’origine paysanne, le problème de la terre représentait l’essentiel de leur lutte- mais dans les usines, il y avait aussi des travailleurs qui demandaient que leur volonté d’égalité puisse se concrétiser : il s’est même trouvé des entreprises dans lesquelles cette volonté d’égalité a permis le démarrage de la lutte.

D’autres aspects allaient de soi : la demande des parents algériens d’envoyer leurs enfants en classe, pas simplement en classe entre guillemets « française », mais également d’envoyer leurs enfants dans des écoles où ils pourraient avoir des maîtres qui leur enseigne leur propre langue, l’arabe.

Il s’agissait donc d’une sorte de revendication générale, que le FLN allait exprimer très rapidement, dans sa volonté de s’affirmer comme le représentant de la lutte de l’ensemble du peuple algérien. Et d’ailleurs se sont associés à ces revendications, qu’ils trouvaient absolument justifiées, des Européens, militants, communistes ou autres.

Alors, pourquoi est-ce que le FLN a rassemblé très rapidement l’immense majorité des Algériens, même s’ils ne se revendiquaient pas ouvertement du FLN et de son combat, c’est que, peu à peu, chacun se retrouvait dans cette orientation, au point même que, quand on interrogeait les communistes arrêtés et mis dans les prisons, et qu’on leur demandait ce qu’ils étaient, communistes ou nationalistes FLN, ils répondaient, et c’est la vérité, qu’ils étaient à la fois communistes et nationalistes FLN.


La colonisation de l’Algérie a commencé avec l’arrivée des Européens en 1830. Auparavant l’Algérie avait accueilli nombre de juifs chassés d’Espagne qui avaient trouvé refuge en Afrique du Nord. Nous avons en tête la mémoire de Bernard Sportisse …


Henri Alleg : Bien sûr, Bernard faisait partie de ces gens qui habitaient l’Algérie depuis des siècles, - qui habitaient l’Algérie, ou qui étaient habités par l’Algérie… Il appartenait à la « communauté » juive d’Algérie, , encore que le mot »communauté » ne soit pas correct. Sa famille - des juifs de Constantine- étaient venus en Algérie à l’époque où l’Inquisition les avait chassés d’Espagne. Et, tout naturellement, sans que cela ne pose aucun problème, au début de l’insurrection armée, ils se sont retrouvés dans le camp de ceux qui pensaient que leur devoir était d’être aux côtés des Algériens qui luttaient pour l’indépendance de leur pays, convaincus que pour eux, il ne pouvait pas y avoir d’autre position que celle-là. Se sentant autochtones, ils étaient naturellement pour l’indépendance de leur pays. Pour eux -juifs algériens-, il ne pouvait pas y avoir d’autres possibilités que de se revendiquer et de se manifester comme des Algériens, partisans de l’indépendance de l’Algérie, de leur pays.


En France, il est de bon ton de dire, dans certains milieux, reprenant en cela le discours dominant chez les militaires de l’époque, que la France n’avait pas été défaite militairement, mais avait perdu la bataille politique…


Henri Alleg : La question ne se pose pas dans ces termes. Une défaite politique en Algérie, ça ne peut pas se discuter puisque, les autorités françaises avaient affirmé que jamais la France ne quitterait l’Algérie, jamais ! Finalement ce sont les partisans de l’indépendance qui ont triomphé.

Militairement, la bataille qui était menée n’était pas une lutte entre deux armées classiques, contrairement à d’autres guerres. Prétendre que les troupes coloniales françaises auraient remporté la victoire, c’est dire les choses un peu rapidement : les Français qui ont eu jusqu’à 500.000 hommes sur le terrain n’ont jamais réellement imposé leur force. Les Algériens, les paysans, ceux que les Français appelaient les fellaghas, se dispersaient dans les villes et les villages, et comme cela a été dit pour les Vietnamiens, ils étaient maîtres des lieux la nuit, même si dans la journée, les soldats français pouvaient se déplacer sans trop de problèmes…..

Côté français, l’idée dominante était que la France allait gagner militairement cette guerre, parce qu’elle avait militairement les forces pour ce faire, face à des Algériens qui n’avaient pas du tout de forces armées équivalentes. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi les Algériens n’ont jamais engagé de batailles frontales. Par conséquent, je crois qu’on ne peut même pas parler de victoire militaire pour la France, parce qu’il n’y a pas eu de l’autre côté de réelle bataille pour imposer son point de vue.

On fait souvent référence à la « bataille d’Alger », on en parle beaucoup dans les films, dans des récits également. Or, en vérité, il n’y a jamais eu de « bataille d’Alger ».

A Alger, les Algériens étaient les maîtres de la Casbah parce qu’ils connaissaient parfaitement et parce qu’ils pouvaient profiter de l’aide et de la complicité de la population qui leur était acquise. Quand les militaires français, les parachutistes ont pris le contrôle de ce territoire, petit en réalité, ils se sont présentés comme les vainqueurs de la bataille d’Alger. Mais, en vérité les Algériens ne se sont pas battus pour chasser les Français de la Casbah. Il leur était vital de rester dans la Casbah simplement pour préserver leur capacité d’action en attendant le moment propice qui leur permettrait de lancer certaines opérations. Si les parachutistes de la 10èmedivision ont pu proclamer un moment qu’ils étaient les maîtres de la Casbah, en réalité, ils ne pouvaient y circuler que dans la journée, la mitraillette au poing.

Mais dans ces conditions, était-ce une réelle bataille gagnée. ? Les luttes dans la Casbah n’ont pas mis à genoux le FLN. C’est pour cela que ces notions de batailles se terminant par une victoire militaire ou une victoire politique me semblent un peu rapides dans leurs conclusions.

Par contre, tous ceux qui ont mené la lutte pour une Algérien algérienne ont toujours été convaincus que leur lutte ne pouvait être mise en échec et qu’aucune armée, aussi puissante soit-elle, ne pouvait les empêcher d’imposer l’idée d’indépendance à l’ensemble du peuple algérien, à l’ensemble du territoire algérien.


Quelle représentation se font aujourd’hui les Algériens de cette guerre ?


Henri Alleg : Chez les Algériens d’aujourd’hui, même ceux qui étaient très jeunes à l’époque, le sentiment d’avoir gagné la guerre est profond. Cependant, au niveau politique, nombre d’aspects mériteraient une analyse plus fouillée, plus sérieuse de ce qu’a été cette guerre.

Je pense aussi que beaucoup de jeunes nés en Algérie, mais qui se retrouvent aujourd’hui en France, ont encore beaucoup de choses à apprendre de cette période. Cela pourrait les aider à mieux appréhender leur présent dans une relation avec la France qui continue encore souvent conflictuelle. Ce qui est important, c’est que l’on est dans un temps où s’il y a nécessité de reparler de la politique coloniale, il y a une nécessité tout aussi impérative et pressante de questionner la politique néo-coloniale de la France vis à vis de l’Algérie.


 La France n’est pas sortie indemne de ce passé colonial … Les répercussions ont été importantes : agonie de la IV ème république, censure, tentative de putsch, exactions de l’OAS, montée du racisme …


Henri Alleg : Je me garderais de développer, je ne ferais que répéter ce que vous venez de dire au sujet de la France. Je m’étendrais plutôt sur un autre aspect.

Bien souvent, j’ai été invité aux Etats-Unis et en Angleterre pour parler des luttes anti-coloniales. Il y a deux ans, lors de rencontres dans des universités américaines, je me suis rendu compte de l’intérêt des étudiants américains concernant la lutte des Algériens pour leur indépendance, et pour la façon dont les autorités françaises civiles et militaires avaient finalement mené leur guerre. Ces étudiants américains transposaient immédiatement ces questions en parlant des guerres menées par leur propre pays, de la position des intellectuels américain qui avaient condamné les méthodes employées en Irak, en Afghanistan et ailleurs par les militaires américains, qui se référaient à ce qui s’était passé en Algérie. Ils avaient l’impression que c’était la France qui avait enseigné aux militaires américains le combat qu’elle avait mené contre les peuples qui revendiquaient leur indépendance Lorsque j’évoquais les tortures qui étaient pratiquées en Algérie et en France, ces étudiants américains faisaient immédiatement le lien avec les méthodes utilisées à Guantanamo.

Aujourd’hui la « défense », entre guillemets, des libertés, et ces grandes idées aussi bien américaines que françaises que l’on prétend, comme hier, apporter à des peuples lointains, constitue une orientation constante qui se traduit à l’échelle du monde et qui suscite toujours bien des interrogations parmi les étudiants. Toutes ces questions sur le colonialisme, sur l’indépendance des peuples, sur la cohabitation reviennent en force dans toutes les discussions que je peux avoir en France ou ailleurs avec des étudiants ou des lycéens.

Cinquante ans après sa fin, la guerre d’Algérie est pour beaucoup du passé révolu. Pour vous, le silence ne doit pas hypothéquer l’avenir …

Henri Alleg : Ce qui me semble important, c’est évidemment l’avenir. Mais pour cela, et la contradiction n’est qu’apparente, il faut que du côté de la France, on cesse d’enterrer dans le silence la façon dont les Algériens ont été traités, le mépris dans lequel ils ont été tenus, les tortures qu’ils ont subies. Il ne faut pas que tous ces comportements condamnables, toutes ces exactions qui ont entouré ces huit années de guerre, soient considérés comme des problèmes sur lesquels il faut garder le silence complet.

La France comme l’Algérie auraient intérêt à éclairer les choses, à dire et à écrire les choses. Je trouve réellement inadmissible que des gens qui ont été des tortionnaires durant la guerre d’Algérie n’aient jamais eu à répondre de leurs actes. Pourquoi aujourd’hui, des gens qui ont vraiment été des assassins pendant cette guerre n’ont pas eu du tout à s’expliquer ? Cela n’honore ni la vérité, ni la France. Le procès du général Aussaresses, il est vrai, a eu lieu il y a quelques années. Personne n’a voulu vraiment en parler. Et l’impasse a été faite sur une occasion d’aborder ces problèmes.

Il ne faut pas avoir peur de traiter de ces questions devant les jeunes Algériens et les jeunes Français. Il faut en parler pour que jamais on ne puisse accepter que des pareilles atrocités se renouvellent.

(Entretien publié avec l’accord d’Henri Alleg)

  • Henri Alleg a été directeur d’Alger Républicain de 1951 à 1955, date de son entrée dans la clandestinité. Arrêté par les parachutistes le 12 juin 1957 et torturé, son livre « La Question » relate la période de détention et les sévices subis. Paru aux Editions de Minuit, le livre sera saisi.

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