Dossier Algérie : L'Algérie et la légalité internationale (Robert Charvin)
Cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie
L'ALGERIE ET LA LEGALITE INTERNATIONALE
Par Robert Charvin
doyen honoraire de la Faculté de Droit et Sciences économiques de Nice Sophia Antipolis
La guerre d'Algérie n'est pas achevée, un demi-siècle après l'indépendance. L’État et une partie de l'opinion française n'ont pas accepté la défaite du colonialisme. Le citoyen algérien n'est toujours pas l'égal du citoyen français, ni pour les administrations ni pour les individus contaminés par les thèses racistes diffusées par le Front National et ses complices médiatiques et autres. La devise de la République Liberté, Égalité, Fraternité n'a pas cours vis-à-vis des peuples du Sud. La loi non plus : elle se limite aux relations entre privilégiés.
La guerre d'Algérie a, dans les faits, débuté en 1945 dans l'Est algérien, puis s'est développée entre 1954 et 1962. Jusque-là, les Algériens les plus éclairés avaient réclamé leur intégration à la République en obtenant les mêmes droits que les colons. Sans succès. Les tentatives du Front Populaire (projet Blum-Violette reconnaissant le droit de vote à quelques milliers d'Algériens « méritants ») et quelques autres à la Libération ont échoué. Les mouvements pacifiques ont alors cédé la place au mouvement de libération armé. D'une question strictement interne le problème algérien est devenu une question internationale. Difficilement, car les gouvernements français successifs ont longtemps invoqué la souveraineté de l’État français sur les « départements » algériens en dénonçant les ingérences extérieures ! Y compris celles de l'ONU. Les massacres et l'usage systématique de la torture durant huit années contre le peuple algérien ne relevaient que d' « opérations de police » : il ne s'agissait, pour Paris, en aucune façon d'une guerre. Les médias complices dénonçaient la « barbarie » des « indigènes » et vantaient les efforts « pacificateurs » de la France, civilisée et bienfaitrice ! Malgré un mouvement de libération se développant sur tous les continents contre les colonisateurs européens – ce qui devait donner naissance à un centaine d’États nouveaux – la France se refusait à respecter la légalité internationale. La Charte de l'ONU, depuis 1945, reconnaissait pourtant « le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ».
Si la résistance algérienne s'est développée après la Seconde Guerre mondiale, l'opinion métropolitaine, longtemps indifférente, s'est fourvoyée en 1945 (assimilant la révolte de Constantine à une émeute « fasciste »!) et durant les premières années de la guerre de 1954-1962.
C'est très progressivement que la légalité internationale s'est imposée aux autorités françaises à la suite des condamnations prononcées par l'Assemblée Générale des Nations Unies et des victoires successives remportées par les peuples du Tiers Monde. Le FLN ayant trouvé des appuis auprès de divers États anticolonialistes, les gouvernements français étaient conduits à reculer et à envisager l'indépendance de l'Algérie.
L'effectivité du droit international est en effet conditionnée par les rapports de forces : rarement invoqué par les États, dont la mauvaise foi est la règle, il ne sert de référence que lorsque ses normes sont favorables ; il est récusé dès lors qu'il s'oppose aux intérêts établis.
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est une disposition révolutionnaire. Il concernait évidemment les peuples soumis aux États colonisateurs, qui durant plus d'un siècle, au nom de la « Civilisation », avaient exercé les pires dictatures sur les colonisés et « les territoires sans maîtres ». Nombre de juristes français ont soutenu le colonialisme, particulièrement en Algérie, invoquant la nature « politique » et non contraignante du droit des peuples, sans reconnaître sa valeur juridique !
Les discriminations de toutes natures, la violation des droits de l'homme, la torture, l'absence de droit de vote, ne les choquaient pas. Le mépris raciste et le conservatisme traditionnel l'emportaient sur le principe de la liberté des peuples.
C'est contraint et forcé que sous la pression des Nations Unies, des grandes puissances (animées de diverses arrière-pensées, notamment l'intérêt américain pour le pétrole) et d'une opinion française lasse de la guerre et des massacres inutiles, que le gouvernement français a fini par conclure les Accords d'Evian et admettre l'indépendance de l'Algérie en 1962.
Cette indépendance n'a cependant été que tolérée : la souveraineté algérienne a toujours été contestée. Les autorités françaises ont multiplié les ingérences et ont fait le procès continu du régime algérien, sans complexe, malgré cent trente ans de domination totalement étrangère à toute préoccupation démocratique.
Désormais, les puissances occidentales, dont la France, instrumentalisent le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, en lui donnant un contenu radicalement opposé à l'interprétation qui avait jusque-là été admise.
Ainsi, ce droit des peuples n'est plus celui permettant d'affirmer une « souveraineté internationale » et d'échapper à la domination étrangère. Il est, cinquante ans plus tard, l'instrument de « protection » du peuple contre son propre gouvernement, visant à assurer une « souveraineté populaire », avec « l'assistance » des puissances occidentales désireuses d'éliminer un régime politique qui leur déplaît. Il en a été ainsi pour la Côte d'Ivoire de L. Gbagbo, pour la Libye de Kadhafi, pour la Syrie du Parti Baas, etc.
La France, après une longue période de colonialisme, se présente aujourd'hui comme une puissance « libératrice », désireuse de « démocratiser » les régimes autoritaires du Sud et de diffuser les valeurs « civilisatrices » de l'Occident !
A la gestion directe, se substituent les ingérences multiples (y compris militaires), visant à réduire au maximum l'indépendance des peuples du Sud.
L'Algérie est, en Méditerranée, l'un des rares États encore souverain. Le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, la Jordanie, la Turquie, le Liban, etc. relèvent désormais d'une vaste zone d'influence sous hégémonie américaine. Les États-Unis ont, en effet, adopté une stratégie de « compromis historique » avec l'Islam politique. Il n'est plus question de le combattre avec l'aide de pouvoirs forts du style Ben Ali ou Moubarak : désormais le mot d'ordre (plus facile face aux mouvements islamistes) est : « La Charia pour les peuples arabes, le pétrole et les contrats commerciaux favorables pour l'Occident »1 !
L' Algérie est prise en étau et la France est au premier rang pour tenter de l'intégrer dans cette stratégie étasunienne qui relève du pire aventurisme politique, aux lendemains de son intervention militaire destructrice en Libye.
Les peuples du Sud, l'Algérie en particulier, n'ont rien à attendre des États occidentaux, France comprise. Les prétentions juridiques des autorités françaises sont purement formelles. Le droit international est dans une situation de coma avancé et la France n'y est pas pour rien.
1 Mezri Haddad. La face cachée de la Révolution tunisienne. Islamisme et Occident, une alliance à haut risque. Préface de Samir Amin. Arabesques. Tunis. 2011.
Commenter cet article