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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Copé, le MRAP et le racisme anti-Blancs (Alain Gresh)

7 Novembre 2012 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #"Racisme anti-blanc"

Copé, le MRAP et le racisme anti-Blancs (*)

Alain Gresh, rédacteur au Monde diplomatique

 

Lors de son congrès du 30 mars-1er avril, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), une organisation qui avait été tout au long de son histoire à l’avant-garde du combat contre les discriminations, adoptait un texte surprenant :

« Promouvoir des identités artificielles et “uniques”, qu’elles soient nationales, religieuses, ethniques ou raciales, conduit inéluctablement au racisme. Ces enfermements identitaires émanent des groupes dominants, mais se reproduisent dans les groupes dominés : le racisme anti-blanc en représente un avatar. Le MRAP le condamne à ce titre d’autant plus qu’il apporte une inacceptable et dangereuse non-réponse aux méfaits et aux séquelles de la colonisation. »


Cette référence au « racisme anti-Blancs », une première pour l’organisation, suscitait une réponse sur le site Rue 89, « “Racisme anti-blanc” : le texte du MRAP “préoccupant” ». Les signataires (1) notaient : « L’emploi de manière a-critique d’une telle notion, comme si elle allait de soi, soulève en effet nombre de problèmes. Sans en faire la généalogie, comment toutefois ne pas tenir compte des conditions dans lesquelles elle est apparue en France dans le lexique politique, portée par les mêmes personnalités qui n’ont eu de cesse depuis quelques années de stigmatiser l’immigration et les populations des quartiers populaires ?


Comment ne pas voir que la notion de “racisme anti-blanc” a émergé dans le débat politique français pour inverser les rapports de responsabilité : la “victime” ne serait plus l’immigré ou le descendant d’immigrés mais le Blanc, inversion que l’on peut exprimer d’une autre manière ; si l’hostilité à l’immigration progresse, c’est la faute aux immigrés, ou encore : si les immigrés vivent et travaillent dans de terribles conditions, eh bien, c’est de leur faute. »


Le MRAP répondait dans une tribune « Non à la racialisation de la société française ! » :« Si le MRAP ne fait qu’évoquer le racisme anti-Blancs comme l’une des composantes du racisme, les signataires du texte font, par contre, de la “non-existence du racisme contre des blancs” un élément déterminant de leur pensée.


Ce qui implique, selon leur logique, que seul le blanc peut être raciste et seuls les non-blancs peuvent être victimes de racisme. C’est là une réécriture raciale du racisme et cela entre en contradiction avec les fondamentaux du MRAP qui lutte contre tous les racismes. »


Cette argumentation du MRAP est pour le moins curieuse. Qu’il existe, dans tous les groupes de la société, des préjugés à l’égard de l’Autre n’est pas nouveau ; que puissent dominer des visions essentialistes plus ou moins dangereuses, plus ou moins répandues (les juifs sont riches ; les Bretons sont têtus ; les Auvergnats sont avares ; les roms sont des voleurs, etc.) non plus. S’il faut combattre ces préjugés, on ne peut les mettre sur le même plan qu’un système organisé d’oppression d’une catégorie de la population.


Le MRAP s’est illustré au cours de l’histoire, notamment durant la lutte contre la ségrégation aux Etats-Unis. Aurait-il été imaginable, à l’époque, qu’il dénonce « le racisme anti-Blancs » chez les Noirs ? Bien sûr, il existait à l’époque des visions racistes aussi chez les Noirs.


Le MRAP s’est aussi illustré dans la lutte contre l’apartheid. Aurait-il été imaginable, à l’époque, qu’il dénonce « le racisme anti-Blancs » qui existait dans les townships ?


Il ne s’agit pas, quand on dénonce le racisme dans tel ou tel pays, d’évoquer les préjugés des uns ou des autres, mais un système de domination et d’oppression. C’est ce que le MRAP semble avoir oublié.


Ce thème du racisme anti-Blancs est celui de l’extrême droite, suivie désormais par la droite traditionnelle. L’article de Wikipedia consacré au sujet offre quelques informations intéressantes :


« En 1983, l’écrivain Pascal Bruckner avait déjà utilisé le terme de “racisme anti-Blancs” dans son livre Le Sanglot de l’homme blanc. Mais selon le Dictionnaire de l’extrême droite du psychosociologue Erwan Lecoeur, la notion de “racisme anti-Blancs” aurait été introduite à l’origine par l’association d’extrême-droite, l’AGRIF, au côté de termes comme “racisme antifrançais” et “racisme antichrétien”. D’après cet ouvrage, l’emploi de ces notions s’inscrit dans une stratégie de “retournement victimaire” contre l’antiracisme pour “sortir du piège de l’accusation récurrente de racisme” et “la retourner par tous les moyens possibles”. La notion a été largement propagée et instrumentalisée par l’extrême droite (notamment dans le sillage de la nouvelle droite), en réponse à l’émergence du thème de l’antiracisme. Jean-Marie Le Pen le leader du FN affirmait à ce propos :


“L’antiracisme, instrument politique d’aujourd’hui, comme le fut l’antifascisme avant guerre n’est pas un non-racisme. C’est un racisme inversé, un racisme antifrançais, anti-Blancs, antichrétien” »


Mais, le plus inquiétant, est que certains intellectuels aient aussi rejoint ce combat.


« Un certain nombre de personnalités de gauche comme Ghaleb Bencheikh, Alain Finkielkraut, Bernard Kouchner et Jacques Julliard ont lancé, le 25 mars 2005, un Appel contre les “ratonnades anti-Blancs”, appel soutenu et relayé par le mouvement sioniste de gauche Hachomer Hatzaïr et la radio communautaire juive Radio Shalom. L’appel formulait le problème en ces termes :


« Aujourd’hui les manifestations lycéennes sont devenues, pour certains, le prétexte à ce que l’on peut appeler des “ratonnades anti-blancs”. Des lycéens, souvent seuls, sont jetés au sol, battus, volés et leurs agresseurs affirment, le sourire au lèvres : “parce qu’ils sont Français”. Ceci est un nouvel appel parce que nous ne voulons pas l’accepter et parce que, pour nous, David, Kader et Sébastien ont le même droit à la dignité. Écrire ce genre de textes est difficile parce que les victimes sont kidnappées par l’extrême droite. Mais ce qui va sans dire, va mieux en le disant : il ne s’agit pas, pour nous de stigmatiser une population quelle qu’elle soit. À nos yeux, il s’agit d’une question d’équité. On a parlé de David, on a parlé de Kader mais qui parle de Sébastien ? »


C’est là le plus grave. Désormais, ce concept de racisme anti-Blancs a largement dépassé les frontières de la droite et gangréné une partie de la gauche. Le texte du MRAP reflète cette dérive.


Cette vision reçoit un appui de poids avec Jean-François Copé qui décide, à son tour, de « briser un tabou » (« Copé et le “racisme anti-blanc” : Hortefeux et NKM parlent de “tensions””, lemonde.fr, 26 septembre).


« Jean-François Copé, candidat à la présidence de l’UMP, a anticipé la polémique : il dit lui-même vouloir “à dessein” “briser un tabou” en dénonçant l’existence d’un “racisme anti-blanc” dans certains quartiers difficiles, dans son livre Manifeste pour une droite décomplexée (Fayard), dont Le Figaro Magazine, publie des extraits. »

 

_______________________________

(1) Les signataires : Michel Agier (Directeur d’études EHESS/IRD) ; Paola Bacchetta (Professeur, University of California, Berkeley) ; Jean Batou (Professeur d’histoire, Université de Lausanne) ; Omar Benderra (membre du CISA-Comité International de Soutien aux Syndicats Autonomes Algériens) ; Said Bouamama (Sociologue, militant de l’immigration) ; Houria Bouteldja (Membre du Parti des indigènes de la République) ; Casey (Rappeuse) ; Grégoire Chamayou (Philosophe, CNRS) ; Jim Cohen (Universitaire) ; Raphaël Confiant (Ecrivain, Martinique) ; François Cusset (Professeur, Université de Nanterre) ; Christine Delphy (Sociologue, directrice de recherche, CNRS) ; Rokhaya Diallo (Militante antiraciste) ; Cédric Durand (Economiste) ; François Gèze (Editeur) ; Ramon Grosfoguel (Professeur, University of California, Berkeley) ; Nacira Guénif (Sociologue, Université Paris-Nord) ; Eric Hazan (Editeur) ; Rada Ivekovic (Philosophe)Razmig Keucheyan (Maître de conférences en sociologie) ; Michaël Löwy (Sociologue) ; Danièle Obono (Militante altermondialiste et antiraciste, Front de gauche) ; Stéphanie Precioso (Professeure d’histoire, Université de Lausanne) ; Maboula Soumahoro (Enseignante-Chercheuse, Université de Tours – Bard College, USA) ; Rémy Toulouse (Editeur) ; Eleni Varikas (Paris 8 - CRESPPA CNRS).

(* ) Texte posté sur Nouvelles d’Orient et publié dans ce dossier avec l’aimable autorisation de son auteur.


Au delà de la politique politicienne.

Après les propos de Jean-Fançois Copé :: « Un racisme anti-blanc se développe dans les quartiers de nos villes où des individus -dont certains ont la nationalité française- méprisent des Français qualifiés de 'Gaulois' au prétexte qu'ils n'ont pas la même religion, la même couleur de peau ou les mêmes origines qu'eux », François Fillon déclare que pour lui, Jean-François Copé « décrit une situation qui existe ». Pour sa part Valérie Pécresse justifie les propos du secrétaire général de l’UMP. par la nécessité de « rassembler plus large » et de « récupérer les électeurs du Front National »

Alors que l’instrumentalisation politique du concept de racisme anti-Blanc est évidente, à droite largement, mais également parfois à gauche, dans un article d’Elise Vincent publié dans Le Monde.fr du 26 octobre, des chercheurs font le point.

Ainsi, pour Christelle Hamel, Jean-Luc Primon et Maud Lesné qui ont travaillé à partir de l’enquête Trajectoires et origines (TeO) , ce "racisme anti-Blancs" est sans commune mesure avec celui qui est relevé pour les immigrés et leurs descendants. Pour les personnes originaires d'Afrique noire, ce taux atteint 50 % parmi la première génération et 60 % parmi leurs enfants. Un ressenti également très fort pour les ressortissants d'Asie du Sud-Est (35 % et 53 %) ou de Turquie (25 % et 43 %). L'écart est aussi de taille sur un autre point : "Quand on demande les lieux où est constaté ce racisme", dit Mme Hamel, les immigrés et leurs enfants citent "tous les espaces de vie : travail, école, etc.", alors que la population majoritaire n'en fait état "que dans l'espace public", essentiellement la rue.

Pour ces chercheurs, c'est ici que se trouve une différence fondamentale entre le racisme dont se plaignent les « Blancs" et celui dont se disent victimes les immigrés et leurs enfants : "Pour le premier, on a pu démontrer qu'il s'agit d'injures qui n'entraînent pas de discriminations dans l'accès au logement ou à des services. » Pour ces chercheurs, ces agressions ne peuvent donc être considérées comme du racisme en tant que tel.

Nacira Guénif, maître de conférence à l’Université de Paris-XIII estime quant à elle, que les Français "font la douloureuse découverte qu'être blanc, ce n'est plus être dominant et que cela ne garantit plus l'obtention ou le maintien des privilèges hérités d'une hégémonie longtemps légitimée par la race, entendue comme système de pouvoir et d'oppression". Pour Mme Guénif, "le Blanc reprend sa juste place dans le nuancier.■





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