Colloque : pour une lecture profane des conflits et des guerres. Introduction
Introduction au colloque du 25 octobre 2014
Avant d’introduire le colloque, je partirai d’un courrier des lecteurs adressé au Financial Times le 22 août et repris par plusieurs sites
Je cite
«L'Iran soutient Assad.
Mais les pays du Golfe sont contre Assad !
Assad est contre les Frères Musulmans.
Les Frères Musulmans et Obama sont contre le Général Sissi.
Mais les pays du Golfe sont pro-Sissi ! Ce qui veut dire qu'ils sont contre les Frères Musulmans !
L'Iran est pro-Hamas, mais le Hamas soutient les Frères Musulmans !
Obama soutient les Frères Musulmans, mais le Hamas est contre les Etats-Unis !
Les pays du Golfe sont pro-Américains.
Mais la Turquie est, avec les pays du Golfe, contre Assad, pourtant la Turquie est pour les Frères Musulmans et contre le Général Sissi.
Et le général Sissi est soutenu par les pays du Golfe !
Bienvenue au Moyen-Orient, passez une bonne journée.
Vous n'avez rien compris ? C'est pas grave.
Comme disait l'historien français Henry Laurens, «Si vous avez compris quelque chose au Liban, c'est qu'on vous l'a mal expliqué.»
Fin de citation
Preuve que face à la complexité des situations, une lecture religieuse ne peut qu’ajouter de la confusion à la confusion.
Nous avons intitulé ce colloque « Pour une lecture profane des conflits et des guerres - En finir avec les interprétations ethnico-religieuses »
Pourquoi « profane », et non pas « politique », « idéologique », voire même « anti-impérialiste », comme certains ont pu en faire la remarque ? Pour nous le terme « profane » dans le sens d’étranger au religieux.
D’autre part « lecture profane » en référence au livre de Lotfallah Soliman « Pour une histoire profane de la Palestine » paru en 1989 mais également en référence à celui de Georges Corm publié en 2012
Ignorance ou facilité journalistique face à la complexité des choses,, …ou plus probablement vision occidentalo-centrée du monde,- hypothèses que les travaux de la journée confirmeront ou non-, les interprétations ethnico-religieuses sont une clef d’analyse trop souvent privilégiée pour expliquer nombre de situations….
Sans remonter très avant dans l’histoire, on ne peut faire l’impasse sur l’importance donnée par les colonisateurs à ce contexte pour mener à bien leur projet de domination et justifier leurs entreprise.
Aujourd’hui qu’il s’agisse de conflits internes à une société où, comme en France, l’on se trouve de fait face à la volonté de réduire une question sociale à une question de signes religieux, ou bien, au niveau international qu’il s’agisse de conflits et de guerres, opposant des Etats ou des Etats à des « minorités », c’est bien souvent au travers de ce prisme que l’on rend compte des situations.
Et cela n’est pas spécifique à l’Afrique ou au Moyen-Orient- où certains veulent absolument réduire le conflit israélo-palestinien à un conflit confessionnel. L’Inde également est loin d’être épargnée tout comme le Pakistan. Plus près de nous géographiquement, l’Irlande et les crises des Balkans n’ont pas échappé non plus à cette lecture.
Certes il serait abusif de nier tout rôle du religieux ou de sous-estimer les dangers que représentent les dérives sectaires des intégrismes religieux . Wahabisme, salafisme chez les musulmans, groupes fondamentalistes hindous,…sans oublier le rôle des groupes fondamentalistes chrétiens sur lesquels curieusement l’impasse est faite.
S’il appartiendra aux intervenants de déterminer la nature propre à chacun de ces mouvements, de les replacer dans leur contexte et d’analyser leur dynamique, on peut dès à présent avancer que l’irruption de ces groupes bouscule la représentation de l’espace politique et de ses acteurs à laquelle nous sommes habitués, représentation que l’on a la prétention de croire unique et universelle, avec les malentendus que cela peut créer.
Notre conception politique somme toute récente qui a dressé une ligne de séparation entre ce qui relève du politique, et ce qui relève du religieux ne nous empêche-t-elle pas de nous décentrer, et d’analyser les situations autrement qu’avec nos références ? Et cela, en dehors de toute hiérarchie ou jugement de valeurs.
Si comprendre pourquoi des idéologies de libération et d’émancipation des peuples ont pu connaître un tel échec jusqu’à laisser place à des partis se réclamant de la religion occuper un espace politique non négligeable, les travaux de la journée aborderont sans aucun doute
- les enjeux réels des conflits et de leurs causes profondes historiques, sociologiques, économiques, géostratégiques en mettant à jour le réseau d’intérêts croisés, de contradictions et de complicités comme celle des Etats-Unis alliés des talibans en Afghanistan ou celles de la France avec l’Arabie Saoudite.
Alors que les dernières révolutions arabes ne manqueront pas d’être évoquées, les intervenants seront sans doute également amenés (à l’occasion des exposés ou lors des débats qui suivront)
- à dénoncer les interventions extérieures, celles de la France en Afrique et ce dans un contexte global de reconfiguration de l’impérialisme et de son discours de légitimation dans lequel les Droits de l’Homme sont instrumentalisés, souvent érigés en dogme pareillement à une religion alors même que les droits des peuples ont été « rancardisés »
- à mentionner les ravages des politiques néo-libérales, celles du FMI qui ont démantelé les Etats et les services sociaux,
S’il est indéniable que la religion a toujours travaillé les sociétés et parfois de façon souterraine, aujourd’hui le démantèlement de l’action sociale de l’Etat tout comme les politiques autoritaires et répressives menées par les gouvernements en place ne laissent-t-ils pas la voie libre à ces mouvements qui se replient sur des valeurs identitaires et préconisent des modes de vie et des formes d’organisation sociale tournés vers un passé souvent mythifié et pas des plus progressistes (sachant pertinemment qu’en la circonstance il est fait référence à notre propre échelle de valeurs) ? En tout cas un passé qui n’est pas celui des Qarmates qui, au IXème siècle, en Arabie orientale et dans le sud de l’Irak, ont fondé un Etat aux principes égalitaires étonnants, notamment entre hommes et femmes.
Se pose dès lors en creux la question centrale de comment refaire société
Un problème auquel ici même nous sommes confrontés tant l’Etat qui se concentre de plus en plus sur ses seules fonctions régaliennes ne répond plus aux aspirations d’une majorité grandissante de ses citoyens.
En lien direct avec ce qui a motivé ce colloque, on ne peut terminer sans réfléchir au traitement médiatique des dramatiques événements actuels qui soulève une dimension essentielle qu’analyse avec courage la Fondation Frantz Fanon lorsqu’elle souligne que l’émotion produite par les images insoutenables d’exécutions, l’accusation répétée de barbarie, outre qu’elle conduit à la déshumanisation des auteurs de ces atrocités participe dans un amalgame éhonté à diaboliser l’ensemble des musulmans suspectés de connivence culturelle avec les assassins et sommés d’approuver la nouvelle guerre proche-orientale de l’Occident, et les bombardements décidés par la civilisation … Oubliant que depuis des dizaines d’années les guerres contre le terrorisme n’ont fait que développer ce phénomène et le rendre plus complexe.
En tout état de cause, pour nous militants antiracistes, l’enjeu est de taille : Cette mise en avant de la « sauvagerie » des acteurs qui de fait installe une dichotomie entre un « eux » barbare et un « nous » civilisé doit nous interpeller et oblige à nous interroger.
A l’intérieur de notre mouvement la réflexion et l’intérêt pour les questions internationales se doivent d’être encore développés tant il est incontestable que la représentation qui est donnée de la situation internationale influence et détermine le regard que l’on porte sur l’étranger.
En jeu dès lors la question essentielle de la représentation, de la construction de l’image de l’Autre.
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