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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Aller plus loin avec M. Mustapha Dali, Recteur de la Grande mosquée de Cannes

9 Mai 2012 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Islamophobie

Aller plus loin avec M. Mustapha Dali, Recteur de la Grande mosquée de Cannes

Cet entretien fait suite au communiqué du recteur de la grande mosquée de Cannes publié après la profanation du carré musulman du cimetière de Carros.


Question : Après la profanation du carré musulman du cimetière de Carros, alors que nombre de personnalités se sont exprimées, la communauté musulmane semble avoir été tenue à l’écart, et ce alors même qu’elle était directement concernée. Vous avez publié un communiqué qui n’a pas connu dans les médias la diffusion que l’on était en droit d’attendre, comment expliquer cet ostracisme que vous dénoncez ?

Mustapha Dali : C’est un constat qu’il faut dresser : dans notre département, que ce soit de la part des autorités politiques, administratives, ou de la part des médias, nous sommes ostracisés et systématiquement discriminés.

A ce sujet, je voudrais revenir sur l’affaire de Toulouse, qui est exemplaire du comportement habituel à notre égard. Le maire de Cannes, Monsieur Brochand, avait demandé aux communautés religieuses juives et chrétiennes d’être présentes à la cérémonie qu’il organisait à la mémoire des deux soldats et des enfants juifs lâchement assassinés à Toulouse et Montauban. Ce faisant, il a carrément zappé, sans état d’âme, de façon naturellement délibérée, le responsable de la communauté musulmane. Nous avons été tout simplement les oubliés de la cérémonie.

Je suis de par ma fonction, le représentant de cette communauté dans la ville de Cannes. Recteur de la grande mosquée de Cannes, et celle-ci est à 500 mètres à vol d’oiseau de la mairie… Un ostracisme, une mise à l’écart difficilement compréhensibles alors même qu’à Cannes, la grande mosquée se trouve à deux pas de la synagogue, de l’église principale et du temple protestant, une sorte de carré d’or et que, de surcroît, depuis un an, tous les responsables religieux ont engagé un véritable dialogue fraternel qui a permis de faire tomber nombre de préjugés et d’idées fausses. Nous avons organisé un véritable mouvement pour la Paix. Par un tour de force surprenant, nous sommes arrivés, le 13 novembre dernier, à créer, sans moyens, mais avec un réel enthousiasme et une énergie spirituelle unique, le premier festival du vivre ensemble et nous sommes en train de boucler le second prévu le 3 juin prochain.

Dans cette tragédie de Toulouse, il ne faut pas non plus oublier que, parmi les victimes de Mohamed Merah, se trouvait un militaire, français d’origine musulmane et que, par delà cette mort, notre communauté a été d’autant plus touchée et meurtrie que l’assassin bien que français est aussi d’origine arabe, ce qui a participé, de façon directe, à une stigmatisation encore plus forte de la communauté musulmane.

J’ai été tenu au courant de la cérémonie organisée par le maire de Cannes par le rabbin et son assistant et de fait, avec de nombreux autres musulmans, je me suis rendu à la cérémonie. A la fin de la cérémonie et au moment de la dispersion des derniers participants, le maire a répondu à mon salut, par un haussement d’épaules, façon de nous signifier le peu d’importance qu’il accorde à notre présence et le peu d’intérêt accordé à la communauté musulmane. Ce n’est, en tout cas, pas l’image que je me fais du rôle d’un maire qui se doit être l’élu de tous ses administrés.

Quant aux médias, je leur ai fait parvenir, dès le dénouement de la tragédie de Toulouse, un long communiqué. Nice-Matin, le quotidien en position de quasi monopole dans la région, n’en a jamais fait état. Des courriers concernant ce drame ont été adressés à des personnalités et des organismes, mais personne n’a daigné faire état de leur contenu, ni même répondre.

Ainsi donc, pour en revenir au constat du début, ces pratiques de discrimination, ces difficultés que nous rencontrons pour avoir accès aux canaux traditionnels d’expression ne datent pas d’aujourd’hui et la question est bien entendu de savoir comment remédier un jour à cet état de fait.


Question : Une interpellation qui s’adresse uniquement aux médias ?

Mustapha Dali : Quels que soient les événements ou les victimes de ces événements, nous avons, en premier lieu, énormément de travail à entreprendre pour faire valoir nos droits dans une République qui est de plus en plus discriminante vis à vis de ses minorités, dans une République qui aujourd’hui développe des thèses qui font le lit de l’extrême droite, le lit du Bloc identitaire ou de Riposte Laïque, qui développe une xénophobie et une sorte d’ethno-centrisme qui font que celui qui ne correspond pas strictement au modèle assimilé dominant, celui qui, bien que citoyen français, est « différent », se retrouve à ce titre rejeté quand bien même il n’est pas appelé à disparaître de l’espace républicain.


Question : Des relents de racisme et d’islamophobie …

Mustapha Dali : Le score de l’extrême droite qui surfe sur l’islamophobie, sur la présence des Arabes, des étrangers, montre tout le danger de la récupération politique de ces thèmes racistes durant la campagne électorale mais aussi malheureusement bien avant. Nos hommes politiques ne réagissent guère pour condamner ces amalgames et autres accusations tout aussi douteuses que nauséabondes. Au niveau local, les maires, qui sont censés servir les valeurs de la République et appliquer ses principes, ont un grand rôle à jouer pour que tous les citoyens soient traités sur un même plan d’égalité, sans discrimination, à commencer par les citoyens musulmans qui concourent à la richesse de la ville puisque nous travaillons et payons nos impôts…


Question : Comment inverser la tendance ? Qu’en est-il des tentatives de représentation de la communauté musulmane ?

Mustapha Dali : Vous savez, contrairement à certains pays du Nord, la France a une culture du rapport de force. Les musulmans ne sont pas organisés et quand ils cherchent à s’organiser de façon indépendante, ils sont immédiatement ostracisés ou noyautés ou mieux, mis à l’index. Les organisations musulmanes ne peuvent exister et avoir pignon sur rue que si cela vient d’en haut, de l’Etat, dans une relation de dépendance et d’instrumentalisation par le ministère de l’Intérieur, ministère qui est paradoxalement celui des affaires religieuses, ce qui est bien français. C’est le cas du CFCM (Conseil français du culte musulman) qui n’aurait jamais existé sans la volonté de monsieur Sarkozy, de manière à le contrôler et même à faire dire à ses responsables ce que l’on veut qu’ils disent dans les moments de forte tension.

Cela donne une photographie du comportement de l’Etat français, de l’administration française et même du politique à l’égard de la minorité religieuse qui représente tout de même entre 10 et 12% de la population française qui, en définitive, dans son désir le plus profond, ne souhaite que vivre tranquillement sa vie et sa spiritualité dans la discrétion et la dignité !


Question : Si la communauté représente 10 à 12 % de la population française, les médias cependant se focalisent essentiellement sur les agissements d’une minorité …

Mustapha Dali : C’est la raison pour laquelle la grande majorité des membres de la communauté sont absolument outrés et outragés par les projecteurs que l’on braque sur une toute petite minorité d’extrémistes musulmans. Une minorité excessivement radicale, excessivement fondamentaliste, mais qui sur l’ensemble du territoire français ne compte que 2000 à 2500 personnes, chiffres qu’il faut mettre en rapport avec les 7 millions de musulmans qui vivent en France … une instrumentalisation de cette minorité qui dure depuis des années, que les médias affectionnent de présenter comme représentative de l’Islam de France, et ce depuis 1989, plus précisément depuis l’affaire de Creil. Une instrumentalisation qui a permis en France l’adoption d’un certain nombre de lois liberticides dirigées contre la communauté musulmane, avec le vote des lois contre le foulard, contre la burqa, et une focalisation des débats sur le hallal, les piscines etc.

Au cours des 15 dernières années qui viennent de s’écouler, on aurait pu contrôler et je dirais même « éradiquer » naturellement ces mouvances extrémistes si l’on avait pu donner du travail, un logement, aux jeunes qui s’y engagent …Bref, si on les avait empêchés de la sorte - ces jeunes désœuvrés - de rentrer dans un circuit de rejet de la République et de la France, au bout d’un parcours sans avenir fait d’échec social, scolaire.

La manipulation de ces jeunes, qui trouvent refuge dans une forme de religiosité radicale et passéiste et qui n’a rien à voir avec l’islam de Paix et d’ouverture vers le monde est à dénoncer. Les mouvements wahhabites fondamentalistes venant surtout d’Arabie Saoudite avec leurs pétrodollars ont joué un rôle majeur, et certains islamistes ont été couverts et n’ont jamais été inquiétés dans leur action prosélyte en France. En répondant au désarroi de ces jeunes en mal d’identité et de reconnaissance, ils leur ont offert une vision « idéaliste » de la religion, une altérité devenue trop visible par son traitement médiatique obsessionnel qui fait que ce phénomène, au lieu d’être considéré comme un simple phénomène sociologique mineur traité par des sociologues et des historiens, s’est retrouvé traité par la loi et par le politique, ce qui est une aberration. Ainsi en est-on arrivé à lancer de grands débats sur l’identité, la laïcité et l’islam ; en fait c’est tout l’islam qui est attaqué à travers une minorité d’extrémistes qui ne représentent rien mais qui sont présentés comme une menace pour la République.


Question : Un discours et des analyses qui ne trouvent pas leur place au sein des médias généralistes et qui ne sont jamais repris par les intellectuels médiatiques et influents …

Mustapha Dali : Effectivement. Nous vivons dans ce climat délétère depuis un certain nombre d’années sans que, ni les intellectuels, ni la société civile, ni les politiques ne s’insurgent contre cet état de fait. Il existe bien entendu quelques rares individus comme Jean Bauberot, véritable référence en matière de laïcité, certains sociologues comme Christine Delphy ou Vincent Geisser qui s’insurgent et protestent contre ces attitudes xénophobes et discriminantes, mais la société civile et les médias, dans leur ensemble, reviennent invariablement sur ces thèmes en ayant recours à de pseudo-historiens, philosophes ou à de pseudo-sociologues passés maîtres dans l’art de la manipulation des fantasmes. Caroline Fourest, Bernard Henry Lévy, messieurs Zemour et Finkelkraut et consorts ne cessent de jeter de l’huile sur le feu pour conduire à cette fracture dans le corps de la société française et empêcher de la sorte le vivre ensemble, l’harmonie et la cohésion sociale en accusant les musulmans de vouloir installer le communautarisme et la Charia en France.

Question : Reste en effet persistante l’accusation de communautarisme qui serait l’apanage des musulmans …

Mustapha Dali : En France, il est évident que nous vivons dans un système communautaire et non communautariste. Et il n’est pas inutile de rappeler que la communauté des homosexuels a fait voter un certain nombre de lois répondant à ses revendications ; alors qu’elle ne comporte que 450 000 membres, la communauté arménienne de France a fait voter une loi sur le génocide d’un peuple avec lequel elle n’entretient plus de liens  autres qu’affectifs ; la loi Gayssot prend en considération la tragédie qu’a connue la communauté juive pendant la guerre, une communauté juive forte aujourd’hui en France de 600 000 membres.

Contrairement aux autres communautés, la communauté musulmane qui représente 7 millions de personnes se voit interdire toute revendication jusqu’à recevoir même indistinctement et dans son ensemble, des signes très négatif au prétexte des agissements, certes répréhensibles et extrémistes, d’une petite minorité de 2000 personnes.


Question : Comment expliquez-vous ces raidissements de la société française face à l’islam ?

Mustapha Dali : La crise mondiale, celle du système monétaire international, le chômage sapent le fondement des sociétés occidentales et font qu’aujourd’hui comme hier l’on cherche non pas les véritables causes de cette crise, mais des coupables et des boucs émissaires.

Après la Deuxième Guerre mondiale, ce rôle était dévolu aux Soviétiques, aux Rouges du Bloc communiste. Aujourd’hui les boucs émissaires, ce sont les musulmans, et l’islamisme et le terrorisme, qui en sont les dérives sectaires, ne justifient pas que l’on mette tous les musulmans dans ce panier-là, vision réductrice issue de la théorie du « choc des civilisations ». A cela s’ajoute la dépendance toujours plus forte des médias, de plus en plus contrôlés par les multinationales et la haute finance internationale qui font aujourd’hui la pluie et le beau temps sur l’économie mondiale et dans de nombreux pays, jusqu’à pouvoir financer et faire nommer les dirigeants des gouvernements.

Il est temps de revenir pour nous, aux fondamentaux de la République française : liberté, égalité, fraternité et de leur donner un réel contenu en construisant à mon sens d’abord la fraternité pour accéder à l’égalité et à la liberté.

(Entretien réalisé par Y.M &A.V.)

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