AG du MRAP le 6 février 2010 : intervention de Mouloud Aounit
Chers amis et adhérents,
Merci à tous et à toutes pour votre participation à cette assemblée générale. Pour ce point de l'ordre du jour, nous allons tenter de nous évaluer politiquement et ce à la lumière de nos objectifs et campagnes fixés par le congrès, et surtout pour analyser, scruter, les terribles évolutions du racisme. Ceci afin de nous remobiliser et mettre notre mouvement en ordre de bataille pour contrecarrer les effets d'une situation d'une gravité extrême et, il faut le reconnaitre aussi, dans un contexte de fragilité de notre mouvement qui, en l'état, n'est pas à la hauteur des résistances et des mobilisations que la situation impose. A cet effet, nous avons un impératif de voir, de relever trois défis prioritaires, vitaux, pour la survie de notre mouvement. Le premier est d'ordre politique : se mobiliser pour redonner une plus grande visibilité politique du MRAP, ce qui passe impérativement par des productions politiques adéquates et permanentes (réactions, réflexions, campagnes, …). Le second : trouve une issue à ce paradoxe du MRAP. L'histoire, les prises de positions du MRAP, ses réactions, ses campagnes et ses combats ont une résonance effective dans de larges couches de la population française, notamment dans les quartiers populaires, et parmi les victimes du racisme. Malheureusement, cette crédibilité ne se prolonge pas par les adhésions vitales et attendues à notre mouvement. C'est pourquoi, ce défi doit être considéré comme une priorité absolue et permanente de notre mouvement, car il en va de sa survie et de son avenir. Enfin, nous avons un mode de fonctionnement, des statuts qui par leur lourdeur épuise pèse sur l'efficacité de notre action. C'est pourquoi, à la lumière de ces deux années de fonctionnement, un bilan sur le fonctionnement de nos instances s'impose et une réflexion adéquate sur nos statuts doit être envisagée.
Mon propos ici se veut d'abord être une tentative d'analyse du cadre de l'environnement politique qui caractérise l'état de notre société. Analyse indispensable pour ancrer nos perspectives et actions politiques futures. Comme dans toute logique libérale, le gouvernement réduit l'homme à une seule dimension : celle d'un homo economicus, à savoir un objet au service d'un système où l'argent est roi tout en étant dans son contrôle, sur tous les aspects de la vie sociale, individuelle, et même intime. Par ailleurs, la normalisation des esprits se développe, du domaine de l'éducation à celui de la recherche, de l'histoire à celui des sciences sociales, en parallèle se développent des contrôles psychiques pour repérer depuis la maternelle des déviances, ou considérées comme telles, et qui concourent à la mise en place d'une véritable traçabilité des individus. Tous ces éléments participent à façonner notre société autour de ce qu'il convient d'appeler une nouvelle idéologie sécuritaire dont témoigne le développement de la vidéo surveillance et des fichiers qui exclus tout risque, tout conflit qui veut tout normaliser, tout contrôler, n'hésitant pas pour cela à mettre en place un quadrillage de plus en plus serrés des droits et des libertés fondamentales de chaque citoyens. Une idéologie basée sur l'uniformisation des comportements, mais qui doit résoudre la contradiction entre une société basée sur un consensus entre les citoyens et la lutte de tous contre tout ce qui caractérise les rapports sociaux qu'impose le libéralisme, un système qui tolère et même fait en sorte que les travailleurs puissent être privés de papiers. Une idéologie qui en voulant évacuer les antagonismes sociaux a pour ambition d'instaurer une société formatée, lissée, parfaite, à l'image de ces sociétés qui ont asservi l'homme, une société pacifiée mais qui édulcore les problèmes au lieu d'y porter remède, qui enferme ou puni de relégation tout ceux qui sont considérés comme mettant en cause le consensus plutôt que de se questionner sur les pratiques et ses valeurs.
Entrer dans cette logique obsessionnelle de tout régir par les lois, y compris les comportements personnels, en suscitant des mouvements d'opinion à l'allure de référendum, ne comportent-ils pas le risque de voir à plus ou moins long terme se développer une situation comparable à celle de la suisse où la passion l'emporterait sur la raison ? L'instrumentalisation du port de la burqa n'est-il pas exemplaire de cette volonté de tout réglementer par les lois. En ce domaine n'est-il pas préférable de résoudre les véritables problèmes autrement qu'en légiférant sur la manifestation des symptômes qui les révèlent. Légiférer en s'appuyant sur des pulsions que l'on cherche à exciter, tout comme tenir des propos qui favorisent la libération de la parole raciste ne pousse t'il pas le FN à la surenchère bien plus qu'il ne siphonne ses voix ?
Les débats, les déclarations auxquels on assiste aujourd'hui en France sont les signes inquiétants d'un malaise profond. La situation politique est dans une impasse. Pour en sortir, le gouvernement recoure aux pratiques les plus éculés justifiant son action par de fausses évidences d'un populisme gesticulateur autant que dangereux qui se traduit par le lancement d'initiatives intempestives. En propulsant l'immigration et les immigrés au centre de débats et de polémiques, volontairement entretenus, le pouvoir chercher à mieux faire oublier ou masquer ces échecs alors qu'il refuse en ce domaine de s'attaquer aux véritables questions que sont les effets, et les ravages d'une crise économique, sociale, politique et son cortège de violences, de discriminations, d'inégalités.
Une idéologie qui prépare une société au caractère totalitaire de plus en plus marquée, fière d'elle-même, de son passé, sûr de son identité, c'est bien le fond du débat proposé par Besson et dans laquelle en creux, le consensus national serait mis en péril par des ennemis incapables d'y adhérer ou de s'y soumettre. D'une part à l'intérieur par les immigrés et leurs descendants, qui ne partagent pas les valeurs de la république, présentés comme responsables et coupables des zones de non droit, défiant l'autorité de la république et dont on veut organiser l'invisibilité. Et d'autre part par les étrangers demandeurs d'asile, réfugiés économiques, clandestins, racisés, déshumanisés, réduits à une simple statistique de quota d'expulsés.
C'est dans ce contexte de fabrication d'un consensus national qui occulte le passé colonial, d'une France qui proclame d'autant plus fort les valeurs universelles qu'elle les respecte toujours moins qu'il nous faut je crois analyser cette xénophobie qui cible de façon toujours plus précise les figures de l'ennemi, celles de l'immigré essentiellement, de l'arabe, et du musulman.
Si occuper le terrain par les dérapages voulus ou des déclarations peut permettre de détourner l'attention des véritables problèmes, si la volonté de siphonner les voix du FN est présente, on n 'en assiste pas moins à la mise en place d'un projet idéologique structuré qui, par touches successives, par effet d'annonce, ou par mesures concrètes, en dépit des replis stratégiques, des discours contradictoires, de volte-faces, n'en a pas moins une cohérence qu'il s'agit d'analyser. Un élément principal ne réside t'il pas dans le fait que la nature du racisme aujourd'hui et son évolution prennent de plus en plus un aspect culturel dans lequel les termes « inassimilables » et de « non soluble » dans la république, de dangereux pour nos valeurs et le consensus national, acquiert une sorte d'évidence, participe à une nouvelle construction de la figure de l'immigré qui prend inexorablement le pas sur la figure de l'immigré voleur du pain des français qui en reste pas moins prégnante. N'assiste t-on pas en la circonstance au terme d'un processus qui a vu une évolution du racisme anti-arabe, vers un racisme anti-musulman de plus en plus ciblé, construit à partir des facteurs culturo-religieux dans la théorie du choc des civilisations et la guerre au terrorisme ont facilité la diffusion ? Quel rapport ce racisme entretient-il avec les thèses de la nouvelle droite développées dans les années 80 qui posaient déjà les questions de l'identité nationale et que résumait un titre du Figaro magazine avec en couverture une Marianne voilée : « serons-nous encore français en l'an 2000 ?». Le questionnement sur la nature du racisme aujourd'hui doit faire l'objet me semble-t-il d'une réflexion et d'une discussion dans deux directions : d'une part à côté des facteurs d'explications historiques et économiques, traditionnels qu'il nous faut renoncer à côté des nouveaux enjeux géostratégiques qui découlent du cadre nouveau de la mondialisation dans lequel s'inscrit la question des migrations, de l'externalisation des contrôles. D'autre part, il me semble important de prendre en compte le facteur culturel et d'analyser la perméabilité de nombre de personnes même de gauche et d'expliquer la porosité des partis à ces facteurs d'ordre civilisationnel. Pourtant la société multiculturelle est de mieux en mieux acceptée, nombre de discriminations dont sont victimes les immigrés, les issus de, sont jugées intolérables et injustifiables par l'opinion publique; la prise en compte de la diversité commence à être reçu comme une évidence par de nombreux citoyens. Malgré cela, l'état, ses institutions, ses services, remettent chaque jour gravement en péril par leurs actions le vivre e,ensemble. Le comportement de la police et de la justice dont la complicité est parfois inadmissible sont symptomatique d'une xénophobie d'état qui inquiète. Une enquête publiée il y a quelques moins établissait de façon incontestables l'existence de contrôles au faciès avérés. Plus grave, le nombre de morts suspectes après des contrôles de police mérite un recensement et que dès aujourd'hui des informations puissent être échanger entre les comités.
Reste une question : quelle initiative prendre pour que cesse le harcèlement policier, l'impunité de certains services de l'état et de leurs agents ? Ne faut-il pas prendre davantage en compte les effets dévastateurs de la politique du tout répressif, du tout sécuritaire, de la tolérance zéro, de la politique du chiffre, qui ne se limitent pas seulement aux interpellations d'étrangers ? Mesurer quel en est l'impact social auprès des jeunes des quartiers populaires qui en sont les cibles ? Violences faites aux jeunes ? Violence d'état ou violence économique ? Comment inverser le discours sur la violence et la délinquance qui renvoie invariablement à certaines catégories ethniques ou sociales qui, comme les classes laborieuses du 19ème siècle, seraient des classes dangereuses.
De même, ne faut-il pas s'interroger sur le concept de communautarisme qu'on a souvent opposé aux exigences exprimées par les jeunes de banlieues ou des victimes des discriminations qui n'ont pas trouvées en interpellant, en se tournant vers les lois de la république les réparations appropriées. Les questions relatives à l'histoire, son enseignement, et la fonction qui lui est assignée ne sont pas une quelconque affaire de spécialistes en ce que les représentations du passé agissent sur le présent. Ces questions restent de première importance pour déterminer le type de société que l'on veut et les valeurs qui doivent la structurer. Ce passé colonial non reconnu pèse très lourdement sur les discriminations quotidiennes et le regard de la société vis à vis des populations des ex colonies et leurs enfants. C'est dire toute l'importance de notre mobilisation sur les questions d'histoire et de mémoire. Comment dans la pratique faire place à une histoire commune qui, en dehors de toute concurrence mémorielle, puisse amener à ce que les histoires de chacun se fassent mutuellement écho. Pour que les victimes de l'islamophobie d'aujourd'hui puissent se reconnaître dans les victimes de l'antisémitisme et vice et versa, reconnaissance d'un destin commun.
Le conflit israélo-palestinien reste à cet égard emblématique et avait amené bien des préventions, certains exagérant outre mesure soit les risques de dérapage ou d'incidents inter communautaires, soit les risques de disqualification du MRAP de la part de détracteurs toujours prêts à utiliser l'antisémitisme. Au crédit du MRAP de n'avoir pas cédé à ces pressions qui auraient voulues que le mouvement reste extérieur à cette question. Parce qu'il a développé un discours ayant pour seul fondement la reconnaissance des droits qui ne peuvent trouver toute leur vertu que s'ils sont appliqués et non seulement énoncés, parce qu'il a fait appel à des valeurs universalistes, le MRAP a certainement concouru de façon active à ce que la lecture de ce conflit ne dérape pas sur des lectures communautaristes ou confessionnelles, et cela ne peut que nous encourager à persévérer dans cette voie.
Comment dans un contexte national ou les valeurs républicaines se trouvent parfois instrumentaliser pour faire taire certaines revendication (accusation de communautarisme, concurrences mémorielles), ne pas être interpellés par l'absence de diversité dans certains secteurs particulier dans les lieux de pouvoir (administration et média) et la représentation politique. Comment dans un contexte international, marqué par la multiplication d'affects, la reproduction de stéréotypes nouveaux, l'instrumentalisation de certains faits, comment rester muet, ne pas réagir et dénoncer les amalgames et les peurs entretenus et réactivés, ce qui concoure à la construction de la figure de l'autre, individuelle ou collective, comme ennemi potentiel mettant en danger les fondements d'un consensus national. C'est bien de consensus national dont il est question avec le débat sur l'identité nationale où les facteurs émotionnels tendent à prendre le pas sur toute autre considération jusqu'à aggraver le divorce entre le « eux » et un « nous » que l'on voudrait irréconciliable, tentative d'obtention d'un consensus faisant oublier les légitimes revendications dans les domaines de l'éducation, du logement, de l'accès au travail, aux stages, à l'égalité, en un mot : à la citoyenneté et qui ne s'établit en la circonstance que sur le rejet de l'autre.
Bien évidement d'autres sujets de préoccupations doivent être considérés aussi dans notre réflexion. Ainsi, actuellement, est revenu le débat sur la question du vote des étrangers. Comment faire progresser cette revendication qui pour le MRAP signifie droit de vote à toutes les élections et droit d'éligibilité ? Comment l'intégrer dans une problématique globale de citoyenneté qui doit être pleine et entière ? Cette question mérite d'autant plus d'attention que les roms sont victimes de discriminations et que même membres de l'union européenne ils ne peuvent comme tout citoyen européen exercer leur droit de vote dans toute la plénitude des situations. Racisme et exclusion sociale, exclusion politique, ce triptyque n'est-il pas un élément de nature à expliquer comment fonctionne le racisme et les mécanismes qui précède à sa construction.
En conclusion, les interrogations que j'ai voulu partager avec vous, ces pistes de réflexion que je viens de présenter et qui constituent en grande part le document préparatoire que j'avais transmis au comités locaux pour préparer cette AG, si elle invite au débat qui la suivent doit à l'évidence alimenter les discussions qui devront se poursuivre dans les fédérations, les comités locaux, tout au long de l'année, pour que puissent être présenté lors du prochain congrès une synthèse et un document d'orientations pour les trois années à venir. Celui qui devra après une longue maturation élaborer les orientations du MRAP et son redressement souhaité et attendu par chacun et chacune d'entre-nous.
Mouloud Aounit
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