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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

17 octobre 1961 17 octobre 2010 : mémoire d'un crime d'État

3 Décembre 2010 , Rédigé par Webmestre Publié dans #Mouloud Aounit, #Algérie (1830-1962), #Colonisation

Discours de Mouloud Aounit (MRAP) au pont Saint-Michel
17 octobre 1961 : un crime d’État


Le 17 octobre 1961, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants manifestaient pacifiquement à Paris contre un couvre feu raciste décrété par Maurice Papon alors Préfet de Police de Paris leur interdisant de circuler dans les rues après 20h. Ces manifestations silencieuses, appelées par le FLN, exprimaient une exigence de dignité, d’égalité et la volonté d’indépendance de l’Algérie. Une répression sanglante d'une violence et d'une sauvagerie inouie se déchaîna alors, et qui se poursuivra jusqu'au 20 octobre. Arrestations massives, noyades, tortures, et déportations frapperont aveuglément les Algériens de Paris et de sa banlieue.


Partout aux portes de Paris, aux bouches de métro, la police traque l’Arabe avec une férocité sans nom. Dans les commissariats, on humilie, on tue même. Au gymnase Japy, toute la nuit, on torture. De ce même pont Saint-Michel, des Algériens sont assommés et jetés ligotés dans les eaux glacées de la Seine.

Du 17 au 20 octobre 1961, plus de 11 000 personnes seront raflées, parquées comme du bétail, à la Porte de Versailles, à Vincennes. Bilan : au moins 200 morts et 400 disparus.

Dès le 18 octobre 1961, le MRAP appelait à un meeting de protestation. 49 ans après, malgré la mobilisation d’un certain nombre d’entre nous, un tenace silence pèse toujours et lourdement sur ce véritable crime d’État. Cette ratonnade en plein Paris reste toujours impunie presque un demi siècle après.

Et pourtant, chaque année, depuis 1991, nous nous donnons rendez-vous ici même contre l’oubli. Incontestablement, la mobilisation citoyenne a permis quelques avancées :
La première fut l’échec de Maurice Papon, ce complice de crime contre l’humanité, dans sa misérable tentative de faire condamner Jean-Luc Einaudi, l’un des premiers à avoir dénoncé et démontré l’importance de ce crime et les mensonges de la version officielle à travers son excellent ouvrage « La bataille de Paris ».

La seconde avancée fut la reconnaissance en 1999 par l’Assemblée nationale du terme de « guerre » pour parler de ce que l’on mal-nommait hypocritement jusqu’alors les « évènements » d’Algérie.

Enfin, la pose d’une plaque commémorative sur ce pont, inaugurée par le maire de Paris, ou encore la pose de plaque à Nanterre, Gennevilliers, Saint-Denis, Aubervilliers ou la Courneuve rappelant ces évènements, prouvent que la société française est aujourd’hui prête à regarder sa propre histoire malgré nos responsables politiques qui sous prétexte de ne pas de rouvrir les plaies de l’histoire ne font qu’entretenir volontairement la négation et l’oubli.

Le mur du silence médiatique commence à se fendre : ce 17 octobre 2010, France 3 doit diffuser le film Nuit noire, produit en 2005, fiction construite autour de ce massacre

Nous ne sommes pas ici pour demander une quelconque repentance. Nous voulons tout simplement une reconnaissance officielle de ce massacre. Cette quête que nous poursuivons relève tout à la fois d’une mesure de justice, de dignité et de respect pour les victimes et leurs familles. La négation et la non reconnaissance de ce massacre d’État rend impossible le deuil de nombreuses familles et participe aux terribles logiques de haine et de revanche. L’amnésie et le refoulement chez les uns favorisent en contrepoint chez les autres l’amertume, les frustrations, et les rancœurs ; de plus, il encourage et structure, et pas seulement chez les partisans de la colonisation, le racisme anti-algérien en particulier, et anti-maghrébin en général.

Dans ce contexte, les nostalgiques de l’empire français sont loin d’avoir baissé les bras. En témoignent dernièrement les attaques contre le film de Rachid Bouchareb, « Hors-la-loi », malgré le fait qu'il n'hésite pas à monter « le coté obscur » de la lutte pour l'indépendance. En témoigne également le développement de stèles et de monuments à la gloire de l'OAS et dont certains assassins ont trouvé un soutien indéniable avec cette loi du 23 février 2004 consacrant les bienfaits du colonialisme.


L’émergence, dans le débat public, de cette demande de reconnaissance de ce crime d’État, a pour origine notamment le sentiment de mépris que l’oubli, l’amnésie, le retard accumulé ont généré dans les familles des victimes, et de leurs enfants. Ces derniers, qui de surcroît vivent souvent des humiliations quotidiennes, les discriminations sociales, économiques et politiques ressentent ce trou de mémoire comme une marque supplémentaire de mépris.

Enfin, le silence et l’oubli sont de réels dangers pour le devenir de la République. En effet, le refus de la France de regarder et de reconnaître son passé colonial et les forfaits qui l’ont accompagné, participe à ce sentiment que certains extrémistes irresponsables ne se gênent pas d’exploiter, à savoir la concurrence des mémoires et le sentiment que la France participe à une hiérarchisation des souffrances. D’autre part, l’occultation officielle de ce crime d’État, de ce crime raciste ouvre la porte à toutes les politiques xénophobes et racistes mises en place depuis des décennies contre les immigrés, les étrangers et aujourd’hui les Roms. Agitant le chiffon rouge de l’insécurité, le gouvernement Sarkozy cherche à réaliser l’union des « bon Français » contre tous les autres et pratique l’idéal politique du Front national et du pétainisme : exclusion, expulsion, vindicte, violence.

Le MRAP attend une reconnaissance officielle de ce massacre d'État commis le 17 octobre 1961, ainsi que la condamnation par les plus hautes autorités françaises de la pratique de la torture, des crimes contre l'humanité commis au nom de la France pendant la guerre d'Algérie.

Pour que notre pays se libère et des préjugés hérités du colonialisme et des séquelles de la guerre d’Algérie qui marquent encore profondément notre vie publique et notre société civile, le MRAP demande :

Que s’engage un travail approfondi sur toute notre histoire coloniale, en Afrique, en Asie, depuis la conquête del'Algérie, du Niger, et du Tchad, jusqu'à la vaine opposition aux luttes de libération (notamment massacres de Sétif et de Madagascar,crimes de guerre commis en Algérie et ailleurs.)
Que ce travail de mémoire s’intéresse aussi au destin que la France a fait subir aux harkis et à leurs enfants, à l’enrôlement des mineurs en contradiction avec les Conventions de Genève. Ces harkis  - ces supplétifs utilisés pour le renseignement, le repérage, voire la guerre et la répression policière- ont eu pendant
longtemps à souffrir de la stigmatisation. La présence régulière de l’association Harkis et droits de l’homme à nos côtés témoigne aussi de l’importance de prendre en compte le fait que ces harkis ont été aussi victimes du colonialisme.

Le MRAP demande également :

* La liberté d’accès effective aux archives de cette période pour tous, historiens et citoyens
* Le développement de la recherche historique sur ces questions dans un cadre franco-algérien et international

* L’inscription dans les manuels d’histoire de cette tragédie.

* Que l'on baptise une des stations du prolongement de la ligne 12 « 17 octobre 1961 ».

Aujourd’hui, alors que le Musée de l’immigration est symboliquement occupé par des travailleurs étrangers sans papiers, Africains et Asiatiques pour la plupart ; alors que l’on vient de découvrir l’existence d’un fichiers raciste visant exclusivement Roms et Gens du voyage, le Mrap dont la vocation est de lutter contre le racisme sous toutes ses formes affirme que seule la nécessaire reconnaissance des souffrances occasionnées par les violences colonialistes, permettra les relations fraternelles, base des valeurs humanistes qui fondent notre civilisation. Nous lutterons le temps qu’il faudra pour rétablir la vérité historique que tous les pouvoirs politiques qui se sont succédé depuis 1960 ont voulu étouffer, afin de permettre aux jeunes générations de comprendre que leurs parents, grands-parents, victimes de cette histoire doivent être réhabilités comme victimes innocentes.

En 1961, le couvre-feu raciste de Papon visait « les Français musulmans ». La République trahissait ses principes en créant une catégorie à part de Français. Aujourd'hui, nos dirigeants, des hommes et femmes politiques, et pas seulement dans l'extrême-droite officielle, parlent des Français « issus de », de Français d'origine étrangère, de Français de papiers, de bons ou de mauvais français. On distingue de plus en plus des catégories de Français, avec une hiérarchisation. Des circulaires administratives ciblent des personnes en fonction de leur origine, des fichiers clandestins établiraient des généalogies familiales.

Milan Kundera a dit : « Celui qui ignore son passé est condamné à le revivre », alors, n'oublions jamais !!


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