Le groupe néomaccarthyste intitulé « Observatoire du décolonialisme » dispense une haine tous azimuts déguisée en approche scientifique (collectif)
Le groupe intitulé « Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires » prétend « lutter contre la promotion de l’antisémitisme, du sexisme et du racisme par la pseudo-science et pour défendre les principes qui dépendent de l’Université : la langue, l’école et la laïcité ». En réalité, il s’agit d’un groupe néomaccarthyste, défenseur du colonialisme et du racisme, qui détourne en s’en prévalant les notions de liberté, de laïcité, d’éducation et de rigueur scientifique. Allié au « Printemps républicain », « Vigilance université » et autre « Vigilance collèges et lycées », il s’en prend à la liberté de la recherche et tout particulièrement à certains chercheurs qui ont travaillé sur l’antisémitisme et qui combattent aussi l’islamophobie et toutes les formes de racisme et de sexisme. Comme le sénateur McCarthy, ils choisissent des cibles qu’ils diffament et dénigrent. C’est la cas en particulier de l’historien Alain Policar et du sociologue Michel Wieviorka.
De l’art de l’amalgame
Sur l’anti-décolonialisme de papier
Texte collectif à l’initiative d’Alain Policar
Depuis plusieurs mois, des chercheurs, pour la plupart membres ou proches de l’Observatoire du décolonialisme, stigmatisent tous ceux qui ne veulent pas céder à la fièvre obsidionale, les accusant de nourrir le ressentiment à l’égard de la France ou encore de favoriser l’islamo-gauchisme. Ces attaques permanentes s’en prennent ouvertement aux personnes, quitte à travestir indignement leur pensée. Ils utilisent les organes de presse dont l’objectif est d’installer, plus ou moins volontairement, les conditions d’une guerre civile, n’hésitant pas à alimenter le soupçon d’une indulgence coupable à l’égard du terrorisme islamiste.
Le dernier épisode, après maintes tribunes dans Le Point, Valeurs actuelles ou Causeur, est l’article diffamatoire publié par Marianne (journal que l’on avait connu mieux inspiré). Dans un texte intitulé « Michel Wieviorka n’est que le pompier pyromane de l’antiracisme », une quinzaine de défenseurs d’une identité nationale réifiée s’en prennent à de nombreux auteurs dont, à l’évidence, interprétation charitable, ils ne connaissent pas les travaux.
Quelques lignes permettent de constater que les signataires font table rase des règles élémentaires du débat. Leur modèle est emprunté à l’éthologie, plus précisément à la théorie de l’empreinte : il suffit de s’intéresser à un champ d’études pour être définitivement marqué par le contact intellectuel avec celui-ci. Ainsi, s’intéresser au décolonialisme vaut approbation de ses principes théoriques, prêter attention aux inégalités, notamment d’origine ethno-raciale, c’est vouer aux gémonies l’idéal républicain d’égalité, s’intéresser à la pertinence morale des frontières, c’est nécessairement souhaiter leur abolition, se pencher sur les promesses non tenues de l’universalisme équivaut à douter du bienfondé de celui-ci. Dès lors, ne faudrait-il pas appliquer un traitement identique à qui n’hésite pas à publier chez Ring, éditeur de Marsault, dessinateur condamné pour harcèlement et injure publique, militant d’extrême droite ?
Nous ne remettons évidemment pas en cause le droit de critiquer la mouvance décoloniale. Mais nous exprimons un doute substantiel quant à la connaissance de ce courant théorique, tant d’élémentaires distinctions ne sont jamais faites. La focalisation sur quelques noms, dont celui de Ramon Grosfoguel (proche du Parti des Indigènes de la République), permet de négliger les travaux d’Enrique Dussel, élève de Levinas, ou encore de Jung Mo Sung, Silvia Rivera Cusicanqui et Eduardo Restrepo.
La technique de l’amalgame
Chacune des interventions médiatiques de nos vigilants utilise la technique de l’amalgame. Ainsi, un tel est supposé défendre le burkini, alors qu’il s’est contenté d’analyser de façon critique les arguments mobilisés pour condamner son port. Cela signifie que la distinction entre approbation et tolérance, philosophiquement élémentaire, n’est pas comprise. Nos polémistes prendraient profit à relire Pierre Bayle ou John Stuart Mill. Ils comprendraient alors que si la tolérance est l’attitude consistant à s’abstenir d’intervenir dans l’action ou l’opinion d’autrui, quoiqu’on ait le pouvoir de le faire, cela signifie qu’elle suppose une désapprobation préalable. Tout principe de tolérance est un principe de restriction : il exclut de bonnes raisons d’interdire, ce qui le distingue radicalement de la permission qui est fondée sur l’absence de ces raisons. On peut donc tolérer le burkini ou le voile sans l’approuver.
Il en est de même à propos du niqab. On est en droit d’examiner les raisons de le porter sans souhaiter sa propagation. Pourtant, les membres d’un jury de thèse sur cette question sont supposés militer en sa faveur ! Ce qui autorise les dénonciateurs à oublier que le travail visé était avant tout une importante contribution à la méthode de l’observation participante, mais aussi une forte critique de l’« argumentation » néo-républicaine, laquelle transforme le républicanisme en un communautarisme national.
La vision du monde des détracteurs du décolonialisme ne laisse aucune part à la subtilité. Ceux qui considèrent que les problèmes soulevés par les théoriciens décoloniaux méritent examen sont accusés, au mieux, d’être des idiots utiles ou, au pire, de complicité avec le terrorisme islamiste. De ce point de vue, il est sans doute utile de revenir sur l’accusation d’islamo-gauchisme. Selon les signataires du fameux Manifeste des Cent, il s’agit d’une l’idéologie « qui mène au pire ». Ceux qui la propagent dans nos universités, « très puissants dans l’enseignement supérieur » (point non étayé et, très probablement, inexact), commettraient d’irréparables dégâts.
Dès lors, on peut se demander si la dénonciation du décolonialisme ne serait-pas, en définitive, une façon de fermer les yeux sur les conséquences du colonialisme.
N’est-ce pas pour cette raison qu’est niée l’existence d’un racisme systémique, laquelle ne peut être comprise sans la reconnaissance du lien entre nos sociétés contemporaines et l’ordre colonial ? Et, à l’évidence, nos adversaires ne comprennent pas que, même si les agents sont dépourvus de préjugés racistes, la discrimination et la stigmatisation fonctionnent. Les institutions peuvent en effet être racialement oppressives même sans qu’aucun individu ou aucun groupe ne puisse être tenu pour responsable du tort subi. Cette importante idée avait déjà été exprimée par William E. B. Du Bois dans Pénombre de l’aube. Essai d’autobiographie d’un concept de race (1940), ouvrage dans lequel il décrivait le racisme comme un ordre structurel, intériorisé par les individus, et ne dépendant pas seulement de la mauvaise volonté de quelques-uns. En conséquence, les cris d’orfraie à propos de la réalité d’un racisme systémique sont stupéfiants.
Liste de signataires :
Ali Aït Abdelmalek, Gérard Alegre, Mourad Asfoure, Fabien Aviet, Magali Bessone, Marie Bardiaux Vaïente, Goulven Boudic, Tal Bruttmann, Olivier Karl Butzbach, François Calori, David Chaillou, Christiane Chauviré, Rémi Coutenso, Yves Couture, Chopin David, François Delpla, Frédérick Detue, Speranta Dumitru, Jean-Louis Fabiani, Adélie Elbaz, Martine de Gaudemar, Alexandre Gefen, Antoine Germa, Frédéric Gros, Josée Guedj, Nad Iam, Pierre Kanuty, Samuel Kuhn, Alain Laskawiec, Christian Laval, Sylvain Maniach, Nicolas Masuez, Myriem Méghaïzerou, Régis Meyran, Jean-Yves Mondon, Marie-France Morales Berger, Denis Moscovici, Christophe Naudin, Aïda N’Diaye, Luca Paltrinieri, Nicolas Petton, Alain Policar, Jean-Yves Pranchère, Alain Renaut, Jean-Mathieu Robine, Elisabeth Salomon, Brigitte Silberstein, Shy Shriqui, Thoamas Skorucak, Christophe Tarricone, Sylvie Taussig, Agnès Tricoire, Alexis Tytelman, Alexandre Vasseur, Rosemonde Wojciechowski, Francis Wolff, Emmanuel Zareie, Anna Zielinska.
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