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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Islamophobie, « islamo-gauchisme », (post)fascisme. Entretien avec Enzo Traverso Enzo

8 Décembre 2020 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Islamophobie, #Extrême-droite

Enzo Traverso, historien spécialiste des totalitarismes et du fascisme, revient dans cet entretien sur l’intensification de l’offensive islamophobe et interroge la notion d’ « islamo-gauchisme », utilisée pour délégitimer par avance toute solidarité de la gauche vis-à-vis des musulman·e·s, telle qu’elle avait pu se manifester lors de la manifestation du 10 novembre 2019. Il revient enfin sur les caractérisations des extrêmes droites européennes et du terrorisme djihadiste, en posant la question de l’adéquation du concept de fascisme

Enzo Traverso est historien, professeur à l’université Cornell aux États-Unis et l’auteur de nombreux ouvrages – dont La violence nazie (La Fabrique, 2002), Mélancolie de gauche (La Découverte, 2016), Les Nouveaux visages du fascisme (Textuel, 2016) – et articles, dont plusieurs sont parus sur Contretemps.

Comment analysez- vous les réactions diverses que l’on observe depuis l’assassinat ignoble de Samuel Paty au sein de la classe politique française ? Alors que Macron avait semblé relativement modéré sur la question de la laïcité lors de la campagne présidentielle en 2017, son gouvernement semble aujourd’hui pris dans une délirante fuite en avant islamophobe, qui se traduit très concrètement avec la dissolution de Baraka City, du CCIF et d’autres associations… Comment expliquez-vous cela ? 

Enzo Traverso : Macron est un pur produit de notre époque, l’âge du néolibéralisme « post-idéologique ». Son tournant islamophobe n’est pas le résultat d’une évolution idéologique, simplement un choix lié à des convenances politiques.

En 2017, il est apparu comme l’homme providentiel capable de renouveler un pays paralysé par des vieux clivages obsolètes — c’était son discours modernisateur — et donc de rassembler des forces venant aussi bien de gauche que de droite. Pendant la campagne électorale, lorsque la rhétorique xénophobe était incarnée par Marine Le Pen, il semblait même incarner une nouvelle politique susceptible de rallier au libéralisme — un libéralisme « anglo-saxon », plus multiculturaliste que national-républicain — une large partie des classes moyennes « progressistes » et même un secteur de la jeunesse d’origine postcoloniale.

Aujourd’hui, le contexte a changé radicalement. Le mise en œuvre d’une politique sociale très antipopulaire et la répression brutale des mouvements sociaux — notamment les Gilets jaunes et le mouvement contre la réforme des retraites — lui ont aliéné le soutien de l’électorat de gauche. Du coup, il n’est plus l’homme qui veut dépasser le clivage droite-gauche, mais plutôt l’homme qui veut renouveler la droite. D’où sa nouvelle posture de Bonaparte incarnant la loi et l’ordre et sa nouvelle rhétorique xénophobe : deux messages qui s’adressent, au-delà de la droite traditionnelle, aux électeurs du Rassemblement National.

Une fois épuisée la mythologie de 2017 autour de l’homme de culture à l’Élysée, le philosophe, l’ami de Paul Ricœur, etc., Macron se dévoile maintenant pour ce qu’il est : un politicien qui navigue en pratiquant un machiavélisme de bas étage, en modelant un discours qui change selon ses convenances. Le seul ancrage idéologique solide chez Macron c’est sa foi en l’économie et en la société de marché. Pour le reste, il peut très bien passer de l’antiracisme à l’islamophobie, de la « société ouverte » à l’« ordre républicain », de la France cosmopolite à la France fière de son histoire et de son « identité », de la repentance coloniale à la fierté du passé colonial, comme il vient de faire.

Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a récemment dénoncé vigoureusement « l’islamo-gauchisme » qui sévit supposément au sein des départements universitaires de sciences humaines en France. Comment interpréter l’essor de cette catégorie, mais aussi un certain nombre de réponses d’intellectuels de « notre camp » qui se défendent de tout islamo-gauchisme ? 

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