La commémoration de Lahouari 40 ans après, et ses suites aux Flamants – dans les quartiers Nord de Marseille
« Et nous on fait quoi alors ? »
La commémoration de Lahouari 40 ans après, et ses suites
aux Flamants – dans les quartiers Nord de Marseille
Les 17 et 18 octobre 2020, s'est tenue dans des conditions difficiles liées à l'épidémie du Covid, la commémoration des 40 ans de l'assassinat de Lahouari Ben Mohamed, Français d'origine marocaine âgé de 17 ans, tué le 18 octobre 1980 par un CRS à « la gâchette facile » lors d'un contrôle routier dans les quartiers Nord de Marseille.
Sur place, Hassan Ben Mohamed, petit frère de Lahouari et cheville ouvrière de ce travail mémoriel, a été sidéré par l'état lamentable du quartier des Flamants et par la réaction d'une jeune travailleuse sociale méconnaissant ce drame, qui s'est écriée : « Alors, et nous on fait quoi? ». Deux semaines plus tard, un collectif s'est constitué pour tenter de faire revivre le quartier. Il envisage une série d'initiatives publiques dès le printemps 2021, notamment par un partage d'expérience entre les jeunes et les « anciens »..
Mohamed Bouzidi a fait le déplacement depuis Lyon. Il rejoue sa chanson Yaoulidi (Mon fils), dédiée à Lahouari et à tous les autres. (1) D'abord samedi soir 17 octobre dans la petite salle du théâtre Toursky obtenue in extremis par Rabha Attaf (Confluences). Il est accompagné de Hassan Ben Mohamed, guitare en main. Auparavant, il y a eu la diffusion du documentaire Yaoulidi, le prix de la douleur (52 min.), en présence de son réalisateur Joseph El-Aouadi-Marando, mais que le réglage du vidéo-projecteur prêté par Fatima Mostefaoui et son association Avec nous a été laborieux ! Puis le dimanche matin 18 octobre devant la plaque commémorative, 10 rue Pierre Ansaldi (Marseille 14ème arr.). Dans l'assistance, Mme. Ben Mohamed, aujourd'hui âgée de 84 ans, Drifa et Farida, soeurs de Lahouari, ainsi que Moussa, Brahim, Djamel, Nasser, les amis d’enfance, des anciens de la cité et d’ailleurs, parmi lesquels Mbaé Tahamida "Soly" – très actif dans le comité Ibrahim Ali, du nom de ce jeune d'origine comorienne tué en 1995 par des colleurs d'affiches du Front national. Sous les masques anti-Covid, on reconnaît aussi quelques personnalités, dont Alain Fourest. D'autres se sont excusés, accaparés par la commémoration du massacre du 17 octobre 1961 à Paris, qui se tient au même moment à l'Alcazar, cours Belsunce.
Les retrouvailles des « anciens », de nouvelles rencontres aussi
Fait notable, de nouvelles rencontres ont lieu, avec par exemple des étudiantes de l'UNEF Aix-Marseille, ainsi qu'avec le réalisateur Karim Boukercha ayant un autre projet de film sur le sujet, ou encore avec Fabrice Ney, photographe qui se propose de mettre à disposition ses « images des lieux et du territoire » sur la « ZUP n°1 – Marseille 1981 – 1983 ».
Le lendemain 19 octobre 2020, l'édition marseillaise de La Provence consacre une pleine page à l'événement. Le refrain de la chanson semble encore trotter dans la tête du journaliste, qui le retranscrit: « C'est un Arabe en moins/Et la presse ne dit rien/Yaoulidi! (Mon fils)/ A l'heure où le soleil va bientôt se coucher/Vous nous assassinez sans peine et sans regret ». Le quotidien republie également l' article Au nom du frère, au nom du fils, écrit en 2015 par Delphine Tanguy à l'occasion de la sortie du livre de Hassan Ben Mohamed, La Gâchette Facile, aux éd. Max Milo. Elle y aborde en particulier la démarche de l'enquêteur-auteur qui a voulu « s'accaparer » d'un récit, celui de sa propre histoire. Sans oublier qu'il est devenu policier. « Un policier, pour moi, c'était l'ennemi, note Hassan, grandi dans la haine de l'uniforme. Mais je me suis dit: un Maghrébin dans la police, c'est peut-être une façon de changer le rapport aux cités. Au pire, j'y prendrai la place d'un raciste .»
La Provence aborde aussi avec Hassan Ben Mohamed sa volonté de se tourner vers l'avenir. « Je me suis baladé hier. C'est horrible. Tous les commerces ont disparu. …C'est triste parce que dans ma jeunesse, ici [aux Flamants], c'était un laboratoire. Il se passait plein de choses au niveau culturel qui n'existaient pas ailleurs. Il nous faut créer un événement autour de cette mémoire, et transmettre auprès des jeunes, pour faire revivre ce quartier ». (2)
Se soucier d'une meilleure transmission inter-générationnelle
Dans un document de travail sous forme de texte-bilan de cette commémoration des 40 ans, Hassan Ben Mohamed raconte combien il a été interpellé par une jeune travailleuse sociale : « Si vous ne venez au Flamants que pour voir votre famille … Et nous, on fait quoi, alors…? » D'autant que ce n'est pas la première fois. « Nous devons y répondre car nous-mêmes avions déjà questionné nos ainés sur ce problème de transmission. Souvenez-vous, le soir du 4 décembre 2013, chez Cid-Hamid au « Tabou », lors d’une commémoration autour des 30 ans de « la marche pour l’égalité et contre le racisme », Haouaria Hadj Chikh avait pris la parole : « Qu’est ce qui fait que des personnes comme nous, en dehors du manque de curiosité de notre part… on n’a pas été imprégné de cette histoire là? Qu’on soit, encore aujourd’hui, dans une discrimination systémique, qui crée les conditions du spectacle que l’on a depuis maintenant deux, trois ans. Des différents règlements de comptes de nos jeunes dans les cités et de la « mal vie » concentrée dans nos cités et auprès de nos des familles. Pourquoi ? Qu’est ce qui a fait qu’il y a eu cette rupture entre vous et nous ? » (3)
Haouaria Hadj Chikh, présente pour la commémoration 40 ans après, participe à des réunions pour donner des suites. « Afin d’apporter un début de réponse à la lancinante question « Alors on fait quoi ?», ce que nous proposons,» souligne Hassan Ben Mohamed, « c’est de se réapproprier les « Flamants » et de réinvestir la cité sur plusieurs jours. Redonner de la vie aux espaces vides, réécouter les enfants crier en courant au milieu des immeubles. » Le « nous » ici, c'est un projet de collectif inter-générationnel qui pourrait s'appeler Flamants rise. regroupant des énergies d'horizons très divers afin d'organiser une série d'événements socio-culturels (atelier BD parrainé par Farid Boudjellal, expo photo, village festif, épreuve sportive en famille, tournoi de foot inter-quartiers, concours d'éloquence, colloque mémoire et transmission, etc.) qui se terminerait par un grand concert, à l'instar de celui organisé le 5 Juin 1983 avec le fameux groupe Nass El Ghiwane sur le stade Houari (détruit lors de la « réhabilitation » de la cité). « Cet événement majeur a marqué tous les habitants, je m’en souviendrai toute ma vie », dit encore Hassan Ben Mohamed.
par Mogniss H. Abdallah
agence IM'média - Novembre 2020
Contact pour en savoir plus : Pourlamemoiredesflamants@gmail.com
Notes :
(1) - Yaoulidi (Mon fils) est également le titre d'une pièce de théâtre montée par la troupe des Flamants après la mort de Lahouari. Pour un aperçu de la chanson :
https://www.youtube.com/watch?v=mr58PZSuSCk
(2) – cf. articles de La Provence, édition Marseille, lundi 19 octobre 2020 : https://www.laprovence.com/article/edition-marseille/6151691/le-18octobre1980-lahouari-17ans-etait-tue-par-un-crs.html?fbclid=IwAR3kvRO6GQcH4PSV8X3lt5xlXhsWqArbOEY1y2uNpa2hx2SGLszHlf27pg8
(3) – cf. Marseille - Des « ratonnades » de 1973 à la Marche pour l'égalité et contre le racisme - quelle(s) transmission(s) d'un héritage riche d'actions collectives ?
https://www.youtube.com/watch?v=aJ7No-DnCT0
Commenter cet article