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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Ennemis mortels (Olivier Le Cour Grandmaison)

8 Septembre 2020 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Islamophobie, #Colonisation

Ennemis mortels (Olivier Le Cour Grandmaison)

Conclusion de l'ouvrage :

Conclusion

« Les données essentielles du problème humain de l'immigration nord-africaine [ ... ] sont ethniques et se ramènent à ce fait fondamental : l'islam. [ ... ] Beaucoup plus qu'une foi, beaucoup plus qu'une pratique religieuse, beaucoup plus qu'un orgueil communautaire, l'islam est une manière d'être, de sentir, de comprendre, un tempérament en somme, une psychologie qui crée par-derrière toutes les apparences secondaires d'européanisation, un profond refus de toute assimilation. »

Louis Chevalier (1947).

« C'est là le grand reproche que j'adresse au pseudo-humanisme : d'avoir trop longtemps rapetissé les droits de l'homme, d'en avoir eu, d'en avoir encore une conception étroite, parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement raciste. »

Aimé Césaire (1955).

Aux Français.e.s, de droite comme de gauche, fiers d'appartenir à un pays à nul autre pareil qui, du « Roi-Soleil » aux glorieuses Républiques sans oublier la « Révolution » de 1789, se distingue par son admirable « passion de l'universel1 », la citation d'Aimé Césaire en exergue de cette conclusion sera sans doute inacceptable. Elle le sera plus encore si l'on ajoute, par souci de précision, que la conception étriquée et critiquée par l'écrivain martiniquais fut aussi « sordidement » et durablement hostile à l'islam, comme civilisation et religion. Cette islamophobie fut savante et élitaire d'abord, au principe de la politique coloniale appliquée ensuite dans de nombreuses possessions ultramarines, d'État lorsqu'elle a légitimé l'adoption de dispositions discriminatoires portant atteinte à la liberté de circulation comme à la liberté religieuse, à des droits fondamentaux donc, et justifié des mesures de police et de surveillance. L'ensemble fut constitutif d'un état d'exception permanent appliqué, entre autres, aux « indigènes » musulmans, jusqu'en 1945. Islamophobie populaire, ou souhaitée telle enfin, comme le prouvent certains ouvrages recommandés par l'institution scolaire, ainsi que des nouvelles et des romans à succès publiés à la fin du XIXe siècle et pendant l'entre-deux-guerres.

Islamophobie ? Pour ceux qui croient le terme nouveau, forgé par les « Frères musulmans » afin de « criminaliser la moindre » remise en cause « du dogme religieux »2, de telles analyses seront jugées excessives et insignifiantes. Beaucoup sont convaincus que le triomphe de la IIIe République a sonné le glas des conceptions hiérarchisées du genre humain et des discriminations multiples fondées sur l'adhésion, réelle ou imputée, des « indigènes » à la religion musulmane. N'est-elle pas remarquable cette République qui, en adoptant des lois majeures sur la liberté de la presse (1881), l'école publique, laïque et obligatoire (1881 et 1882), la liberté d'association (1901) et la séparation des Églises et de l'État (1905), a su porter si haut les idéaux de ses fondateurs et dirigeants historiques ? Certains concéderont qu'il y eut certes des hommes influents, comme Arthur de Gobineau, Gustave Le Bon et Georges Vacher de Lapouge, pour théoriser l'existence de races supérieures et inférieures, mais de semblables conceptions ne furent pas celles des élites politiques, administratives, savantes et universitaires de l'époque. La France républicaine serait ainsi demeurée insensible aux chants de ces tristes sirènes exaltant la race blanche et/ou aryenne, c'est selon, la pureté du sang et la nécessité de la préserver. Quant à l'« Arabe », au « Jaune » et au « Nègre », ils se voyaient attribuer des caractéristiques négatives établissant leur minorité individuelle et collective, leur dangerosité parfois aussi, et pour ce dernier sa sauvagerie qui le ravale au plus bas. D'autres admettront que les réalités d'alors furent autrement plus complexes que cette dichotomie enchantée conforme au roman national qu'elle contribue à entretenir3.

Mais, ajouteront-ils, le célèbre discours de Jules Ferry sur les « races supérieures » et leur « devoir » de civilisation à l'endroit des « races inférieures »4 . par exemple, était conforme à l'esprit du temps et de la colonisation. Sauf à commettre le péché mortel d'anachronisme et à se départir d'une objectivité indispensable à la rigueur analytique, il faudrait étudier cette situation en se gardant de toute réflexion sur la compatibilité de ces conceptions et des orientations coloniales qu'elles ont légitimées avec les principes républicains.

Objection classique qui prospère sur l'oubli, la méconnaissance ou la marginalisation des discours et des textes critiques de l'époque alors que leurs auteurs furent souvent célèbres et que certains d'entre eux demeurent des figures exemplaires du régime républicain. En juillet 1885, à la Chambre des députés, Georges Clemenceau, Frédéric Passy — premier Prix Nobel de la Paix en 1901 avec le fondateur de la Croix-Rouge, Henri Dunant — et Camille Pelletan ont immédiatement réagi aux propos du fondateur de l'école laïque qu'ils accusent de trahir les idéaux de 1789 et de la République en se faisant l'apôtre de l'inégalité des races pour justifier les guerres et les conquêtes coloniales qu'il défend, et qu'il entend poursuivre. Enfin, désireux d'obtenir une majorité indispensable au soutien de cette politique, Jules Ferry n'hésite pas à solliciter des élus royalistes, comme Albert de Mun qu'il félicite pour son « discours très beau et très patriotique », et des ecclésiastiques en la personne de l'évêque et député monarchiste d'Angers, Charles-Émile Freppel. Singulière coalition. Réunissant des hommes que tout oppose par ailleurs, elle confirme qu'elle est au service d'orientations qui ne doivent rien aux principes républicains et tout aux compromissions indispensables pour persévérer dans cette voie impériale, militaire et désastreuse pour les peuples et les collectivités visés. « Parler à ce propos de civilisation, c'est joindre à la violence l'hypocrisie », déclare Georges Clemenceau. À ceux qui vantent les bienfaits de la colonisation, il rétorque : « Regardez l'histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares, et vous y verrez la violence, les crimes déchaînés, l'oppression, le sang coulant à flots, et le faible opprimé, tyrannisé par le vainqueur5. »

Dans le champ académique, certains se sont livrés à une déconstruction roborative, allègre et systématique des théories racialistes de leurs contemporains, qu'ils soient adeptes de la mesure des crânes, sociologues ou versés dans la psychologie des peuples ; beaucoup jouissant alors d'une influence aussi importante qu'inquiétante au regard de ses effets intellectuels et collectifs. Dangereuse involution. Contrairement au roman national-républicain toujours vivace, elle n'est pas limitée à quelques personnalités, souvent extérieures au monde universitaire, hostiles aux droits de l'homme et à la « Gueuse », puisqu'elle affecte l'ensemble des sciences sociales et humaines, et, plus largement, « tous les domaines de notre vie d'action et de pensée », estime Jean Finot dans un ouvrage paru en 1906. Véritable conception du monde qui conjoint théorisations, analyses diverses, enquêtes de terrain et pratiques soutenues, entre autres, par le développement des sciences coloniales et leur consécration institutionnelle grâce à la fondation, en 1922, de l'Académie du même nom6. L'ensemble prospère d'autant plus qu'il se pare des atours prestigieux de nombreuses disciplines et de l'autorité scientifique de leurs différents promoteurs pour beaucoup acquis à la République qu'ils défendent avec enthousiasme depuis qu'elle a réussi à faire du pays la deuxième puissance impériale du monde. Mais Jean Finot n'est pas dupe du poids des mots, des envolées lyriques et prétendument généreuses, et des travaux qui se développent dans les universités, les laboratoires et les facultés de médecine. À des degrés divers, bien sûr, il considère que les uns et les autres légitiment le « massacre des peuples dits inférieurs » et le « droit, revendiqué » par les Européens, « de dominer »7 ceux qui n'ont pas l'heur d'appartenir au Vieux Continent, soit très exactement ce que font les républicains et leurs alliés engagés dans la construction de la « Plus Grande France ». Analyse des théories et des conceptions, assurément, et des pratiques qu'elles autorisent. Jean Finot sait que les premières sont indispensables au développement comme à la pérennité des secondes.

Le projet même de République impériale, sa réalisation obstinée et souvent meurtrière entre 1881 et 1912, son extension après la Première Guerre mondiale au Togo, au Cameroun, au Liban et en Syrie, la mise en place d'un État colonial comme État d'exception permanent, l'assujettissement des « indigènes » établi par leur statut de « sujets français » et de nombreuses dispositions exorbitantes du droit commun, la défense implacable des possessions ultramarines n'auraient pas été sans l'adhésion de la majorité des dirigeants politiques et des élites républicaines aux doctrines relatives à l'inégalité des races. Pas de République impériale sans République raciale8 et sans racisme d'État, tous trois entés sur un racisme scientifique, élitaire et républicain grâce auquel la première et la seconde ont été conçues puis mises en oeuvre avec le soutien des radicaux-socialistes et des socialistes9.

Tableau toujours partiel en vérité. Au terme de cet ouvrage, une conclusion se dégage avec clarté. L'islamophobie savante élaborée par de prestigieux professeurs du Collège de France, des psychologues, des médecins, des juristes, des sociologues et des historiens, popularisée par des ouvrages de référence comme le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (1869) de Pierre Larousse, des manuels destinés aux élèves des écoles, des nouvelles d'un auteur célèbre – Maupassant –et, pendant l'entre-deux-guerres, par de nombreux romans exotiques souvent beaucoup lus, a elle aussi été indispensable à l'avènement de la République impériale comme à sa défense. Plus encore, si cette islamophobie, d'abord élitaire et antérieure à la construction de l'empire colonial, a remarquablement prospéré, c'est parce que nombre de ses concepteurs dans différentes disciplines partageaient avec d'autres savants de leur temps une conception hiérarchisée du genre humain qu'ils ont jugé nécessaire de compléter pour rendre compte de la situation des Arabes musulmans en mobilisant des éléments cultuels et culturels, civilisationnels en un mot, propres à l'islam. Les conceptions racialistes et islamophobes développées par Renan et ses nombreux épigones, leur influence durable, qui est à l'origine d'un renanisme longtemps puissant, l'attestent. Pourtant éloignés de ce dernier et 'des études ultérieures consacrées à l'histoire et au présent des peuples mahométans du Maghreb, de l'A-OF et du Levant, les travaux des psychologues et des psychiatres de l'École d'Alger, ceux des praticiens, des médecins légistes et des spécialistes du droit colonial corroborent la position subalterne, l'impossible assimilation et la dangerosité polymorphe des musulmans.

Réputé par essence inférieur, hostile au progrès de la raison, des sciences et des techniques, exaltant le djihad contre les infidèles, l'islam condamne ses sectateurs au fatalisme et au fanatisme, lequel est depuis les années 1840 pensé comme un obstacle majeur à l'expansion impériale de la France, à la « pacification » et à la « mise en valeur » des territoires conquis. Aussi faut-il, pour venir à bout des « passions religieuses et déprédatrices des tribus arabes10 », concevoir une doctrine et des pratiques militaires nouvelles. Au mitan du XIXe siècle, la guerre totale menée dans l'ancienne Régence d'Alger par l'armée d'Afrique commandée par le général Bugeaud en témoigne. Par la suite, les multiples insurrections et émeutes des « indigènes » de cette possession, et les conflits surgis au lendemain de la Première Guerre mondiale au Maroc (1921-1926) puis en Syrie (1925-1927) confirment ce que beaucoup tiennent pour une vérité : l'islam fut et demeure un puissant facteur de résistances et de contestations souvent radicales. Ce contexte scientifique, académique et politique aide à comprendre les débats relatifs aux orientations « musulmanes » de la France et l'application en Algérie, en Tunisie et en A-OF d'une politique islamophobe, malgré l'opposition de certains spécialistes et hauts fonctionnaires des colonies qui s'inquiètent de leurs conséquences pour l'établissement de relations apaisées avec les « indigènes » mahométans. Si, au Maroc, Lyautey est parvenu à mettre en œuvre des conceptions et des pratiques différentes, qu'il espérait pouvoir étendre au Maghreb français, son départ en 1925 et surtout la peur de l'islam, du panislamisme, de la montée des nationalismes soutenus par l'Internationale communiste, et celle plus grande encore de leur possible coalition ont eu raison de ses orientations et ses ambitions.

Quant aux intéressés eux-mêmes, savoir les « musulmans » comme les contemporains l'écrivent alors, de l'émir Khaled au lendemain de la Grande Guerre à Ferhat Abbas dans les années 1930 puis au Front algérien en 1951, tous ont exigé le respect des droits fondamentaux et de la liberté religieuse, en vain.

Pendant l'entre-deux-guerres, l'islam n'est plus seulement la religion qui entrave les progrès de la colonisation française, il devient une menace existentielle pour les « puissances musulmanes » du Vieux Continent, estiment de nombreux contemporains, dirigeants et/ou spécialistes de l'empire. Ces bouleversements de la conjoncture politique internationale et nationale, et les nombreuses analyses développées alors ont pour conséquence une évolution significative des représentations de l'islam. Sa dangerosité s'impose d'autant plus que les sectateurs du Prophète semblent de nouveau conquérants11 dans les colonies, notamment, cependant qu'en métropole la présence croissante de Nord-Africains, jugés nuisibles à la sécurité sanitaire comme à l'ordre moral et public, inquiète les autorités. Aussi des mesures discriminatoires et particulièrement restrictives sont-elles adoptées le 4 avril 1924. Mettant un terme à la libre circulation, elles entendent limiter cette immigration pour des motifs où se mêlent des considérations ethnico-raciales et religieuses, et la volonté de préserver la population française de maux divers et graves engendrés par cette « invasion pacifique »12.

Relativement aux droits fondamentaux des « indigènes » musulmans, Jules Ferry a contribué à établir la doctrine de la IIIe République. Dès 1892, il s'exprime sur ce sujet majeur dans un texte rédigé avec soin puisqu'il s'agit de la préface écrite pour l'ouvrage de Narcisse Faucon consacré à la Tunisie. « Le régime représentatif, la séparation des pouvoirs, la Déclaration des droits de l'homme et les constitutions sont là-bas des formules vides de sens. On y méprise le maître qui se laisse discuter », affirme le fondateur de l'école laïque. De telles analyses ne valent pas uniquement pour cette colonie. Soucieux, sans doute, d'établir ses conceptions et la politique qui en est la suite sur des fondements valables pour l'ensemble des possessions conquises en terre d'islam, Jules Ferry ajoute : « Les musulmans n'ont pas la notion du mandat politique, de l'autorité contractuelle, du pouvoir limité, mais ils ont, au plus haut degré, l'instinct, le besoin, l'idéal du pouvoir fort et du pouvoir juste13. » Victoire éclatante et sinistre du relativisme qui est au principe d'une conception purement instrumentale et illibérale du droit colonial conçu comme la continuation de la politique islamophobe de la France par d'autres moyens. De même pour l'État colonial établi dans les différents territoires mahométans, qu'il prenne forme du protectorat ou d'une administration directe que dirige un gouvernement général investi de pouvoirs exorbitants, comme en Algérie. À preuve, en 1892 toujours, Jules Ferry défend la nécessité d’établir dans ce territoire une autorité toute-puissante et très libre vis-à-vis de la métropole, à l'instar des « Anglais en Inde », des « Hollandais à Java » et des « Russes dans leurs grandes expansions asiatiques »14 Pour Jules Ferry, et de nombreux républicains et contemporains, l'homme de la Déclaration des droits de l'homme et le citoyen doivent être blancs et de civilisation chrétienne pour jouir de ces droits fondamentaux et de prérogatives politiques. Sordidement racistes, sordidement islamophobes, aussi, sont ces conceptions qui ont longtemps fait florès. Islam ? Ô phobie !

 

1 P. Bouretz, La République et l'universel, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », 2000, Pp 11

2 G. Kepel, Terreur sur l’Hexagone. Genèse du djihad français, avec la collaboration de A. Jardin, Paris, Gallimard, 2015, p. 41-42. Il est pour le moins singulier qu'un professeur s'autorise ce qui ne serait pas toléré d'un.e étudiant-e de master. Une rapide recherche permet de découvrir ce que tous ceux qui s'intéressent sérieusement à ces questions savent : le terme « islamophobie » – comme « islamophilie » – est en usage chez les orientalistes et les spécialistes français des colonies dès le début du xe siècle.

3 « La stupéfiante et heureuse inconscience épique du Français à se sentir de plain-pied avec l'universel accuse dans la psychologie nationale au moins deux traits expressif; », affirme Alphonse Dupront dans un ouvrage à vocation encyclopédique publié dans la collection célèbre d'une prestigieuse maison d'édition. Et, pour illustrer son propos, fi ajoute : « l'un demeure, pris que nous sommes dans une geste à la mesure du monde, l'incapacité nationaliste » et le fait « que ce pays soit très peu «raciste»... ». La colonisation, analysée par le même ? « Autre chose qu'impérialisme, ou même que nationalisme, mais la bonne conscience d'accomplir tout à la fois l'ordre de l'histoire et celui de l'éternel » (« Du sentiment national », in M. François (dir.), La France et les Français, Paris, Gallimard, « Encyclopédie de la Pléiade », 1972, p. 1450 et 1470). Spécialiste des croisades, A. Dupront (1905-1990) fut fondateur et président de l'université Paris-IV-Sorbonne. En 2006, Max Gallo ajoute sa touche cocardière à ce tableau enchanteur en louant « Clovis », « Jeanne, la Pucelle » – qui témoigne de « cette place centrale occupée par les femmes dans l'histoire de notre sensibilité et de notre politique » (sic) –, les Lumières et les droits de l'homme, bien sûr, qui sont autant d'« élans » donnés au « monde ». Sublime histoire dont « nous pouvons » et devons « être fiers », conclut l'académicien (FIER d'être français, Paris, Fayard, 2006, p. 131).

4 J. Ferry, 28 juillet 1885, in 1885: le tournant colonial de la République, Introduction de G. Manceron, Paris, La Découverte, 2007, p. 61.

5 G. Clemenceau, 30 juillet 1885. « Non, il n'y a pas de droit des nations dites supérieures contre les nations inférieures. » « Je ne comprends pas que nous n'ayons pas été unanimes ici à nous lever d'un bond pour protester contre vos paroles », lance-t-il à l'adresse de Jules Ferry (1885 : le tournant colonial de la République, op. cit. p. 78, 79 et 80). Même Jules Harmand, grand défenseur de la colonisation à laquelle il a consacré un livre majeur, dénonce « ces hypocrisies misérables » et « ces mensonges de la civilisation qui ne trompent personne » (Domination et colonisation, Paris, Flammarion, 1910, p. 12). J. Harmand (1845-1921) fut commissaire général du gouvernement au protectorat du Tonkin puis diplomate.

6 Membre de cette institution, l'écrivain Pierre Mille la définit comme un « cerveau colonial complet » qui doit, par la diversité et la richesse de ses membres comme de ses productions, aider les autorités métropolitaines et ultramarines dans le domaine des affaires impériales (Académie des sciences coloniales, Xe anniversaire, Paris, Société d'éditions, 1933, p. 20). Également journaliste, Pierre Mille (1864-1941) fut chef de cabinet du gouverneur général de Madagascar, chroniqueur au journal Le Temps, membre du Conseil supérieur des colonies, fondateur et président de la Société des écrivains coloniaux (1933-1936).

7 J. Pinot, Le Préjugé des races, Paris, P. Alcan, 1906, T édition, p. 15 et 502. Ce livre a rencontré un succès Important, en France comme à l'étranger, puisqu'il a été traduit en anglais et en allemand l'année même de sa parution. « Les doctrines implacables sur l'inégalité des humains, ornées d'un vernis scientifique, se multiplient à l'infini ; basées sur les différences craniologiques, la grandeur ou la petitesse des membres, la couleur de la peau ou celle des cheveux, elles s'efforcent d'appeler comme garant de leurs thèses audacieuses une sorte de pseudo-science avec ses lois problématiques, ses faits non contrôlés ou ses généralisations injustifiables », écrit-il. « Le nombre de ces théories est incalculable. Pour employer l'expression de Charles le Téméraire, c'est une "universelle araignée, dont les pattes sont » partout « visibles [ ... 1. Absolus et cruels, pleins de confiance dans leurs lois, les créateurs et les partisans de toutes ces doctrines s'appliquent à les imposer comme dogmes de salut et guides infaillibles de l'humanité ». Sociologue, J. Pinot (1858-1922) fut directeur de la Revue des revues.

8 Voir C. Reynaud Paligot, La République raciale 1860-1930, op. cit.

9 Juillet 1925. Alors que les députés débattent des crédits nécessaires à la poursuite des opérations militaires engagées contre les forces d'Abd el-Krim au Maroc, Léon Blum déclare : « Nous avons trop l'amour de notre pays pour désavouer l'expansion de la pensée [et) de la civilisation française. » Poursuivant en s'inspirant des célèbres propos de jules Ferry, le dirigeant de la SFIO ajoute : « Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d'attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au mème degré de culture et de les appeler aux progrès réalisés gr✠aux efforts de la science ou de l'industrie , mais le colonialisme de guerre, nous l'avons toujours repoussé » (Le Populaire, 17 juillet 1925, p. 2. Souligné par nous). Délicate précision. À quoi oblige-t-elle ? Pas même à un vote contre puisque le élus socialistes se sont abstenus. Quant au Front populaire, il a poursuivi la politique ultramarine des gouvernements antérieurs sans réformer le statut des « indigènes ». Et le projet Blum-Viollette (30 décembre 1936) destiné à étendre la citoyenneté à 21 000 « indigènes » dits « évolués » des départements français d'Algérie ? En raison des oppositions surgies alors, il n'est pas même discuté au Parlement et les audaces réformistes de la métropole n'ont jamais atteint les autochtones de l'empire.

10 A. de Tocqueville, « Travail sur l'Algérie » (octobre 1841), in Œuvres I, op. cit., p. 696. L'islam a érigé la « guerre en moyen légitime de prosélytisme et en devoir religieux », lit-on dans Grand Dictionnaire universel du XIXè siècle (1869), op. cit., article « Coran », tome V, P. 103.

11  « Les difficultés auxquelles les nations européennes, puissances musulmanes, ont eu à faire face depuis la guerre l'ont bien prouvé. Pour beaucoup de musulmans du Maroc, de Syrie, même de Turquie ou d'Égypte, la guerre sainte contre le roumi restait souhaitable », écrit l'historien Léon Abensour dans un ouvrage destiné au grand public (L'Islam (1927), op cit., p. 93).

12 G. Mauco, Les Étrangers en France. Leur rôle dans l’activité économique (1932), op. cit., p. 560. En métropole, ajoute-t-il, « l'existence des Nord-Africains est un exemple typique des dangers moraux et sanitaires du brusque transplantement dans les centres urbains. Déjà peu aptes au travail discipliné et soutenu de l'industrie moderne, les Nord-Africains achèvent de perdre toute résistance par le genre de vie qu'ils mènent ». La « prostitution » et les « guérisseurs » contribuent à « ruiner la santé morale et physique de ces malheureux, parmi lesquels la tuberculose et la syphilis font des ravages effrayants» (ibid, p. 347).

13 J. Ferry, « Préface » à N. Faucon, La Tunisie depuis l'occupation française (1892), op. cit., in P. Robiquet, Discours et opinions de Jules Ferry, op. cit., p. 529. Souligné par nous).

14 J. Ferry, Le Gouvernement de l'Algérie, Paris, A. Colin, 1892, p. 57.

 

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