Achille Mbembe : « La lutte contre l’antisémitisme échouera si l’on en fait une arme pour pratiquer le racisme »
27 Juin 2020 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Antisémitisme et négationnisme, #Afrique, #Palestine
Le philosophe, historien, politologue et penseur post-colonialiste camerounais a été la cible d’une intense controverse en Allemagne. La raison ? Il lui est reproché d’avoir dressé un parallèle entre l’apartheid en Afrique du Sud et la situation des Palestiniens
La polémique a débuté par une lettre ouverte de Lorenz Deutsch, envoyée en mai dernier au Parlement de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dans l’est de l’Allemagne. Dans celle-ci, le porte-parole de la politique culturelle du groupe parlementaire FDP (Parti libéral-démocrate) demande d’interdire au philosophe Achille Mbembe de prononcer un discours lors de la Ruhrtriennale, un important événement culturel estival (annulé par la suite pour cause de COVID-19).
La raison de cette requête ? Un passage d’un ouvrage d’Achille Mbembe, intitulé Politiques de l’inimitié, dans lequel le professeur d’histoire et de science politique à l’Université du Witwatersrand (Johannesburg, Afrique du Sud), évoquant la politique de colonisation israélienne, estime que celle-ci « rappelle à certains égards » l’apartheid en Afrique du Sud. Un parallèle qui, selon l’élu allemand, relève de l’antisémitisme et du droit d’Israël à exister.
Middle East Eye : On vous reproche d’avoir établi un parallèle entre l’apartheid sud-africain et la situation faite dans les territoires palestiniens occupés…
Achille Mbembe : Non, non, non. Ce n’est pas vrai et de nombreux collègues allemands l’ont bien compris. J’ai écrit noir sur blanc, à la page 72 de Politiques de l’inimitié, que la situation dans les territoires palestiniens rappelait à bien des égards celle qui prévalait en Afrique du Sud sous l’apartheid. J’ai tout de suite ajouté que « la métaphore de l’apartheid » ne suffisait cependant pas à rendre compte d’une trajectoire historique somme toute particulière. Cela a toujours été ma position.
Ceci dit, aurais-je dressé un parallèle ou esquissé une comparaison que cela n’équivaudrait guère à de l’antisémitisme. Un certain nombre de chercheurs israéliens eux-mêmes font ce genre d’analogies. Pour celles et ceux qui s’y intéressent, la comparaison est une partie intégrale des méthodes utilisées dans les sciences humaines et dans les sciences sociales.
Lorsqu’elle est bien faite, elle n’implique aucun jugement de valeur et n’a pas pour but de placer des événements distincts sur une échelle hiérarchique. Elle est indispensable parce que toute situation humaine et tout événement sont, par définition, travaillés par une double historicité, fermée et ouverte. En tant que méthode, la comparaison vise justement à éclairer cette double dimension et à faciliter l’intercompréhension. Cela aussi, de nombreux Allemands le comprennent.
Cette sordide cabale n’a donc strictement rien à voir avec ce que j’ai dit ou écrit, ou avec mon travail en tant que tel. Encore moins avec qui je suis ou les causes que je défends. Tous ceux qui m’ont un tant soit peu lu ou écouté savent que je ne suis pas un propagateur de haine et que je ne nourris aucun préjugé à l’égard de qui que ce soit. Tout ce que j’ai dit et écrit, et les causes pour lesquelles je me suis battu, portent sur les thèmes de la montée en humanité, de l’émergence d’une conscience planétaire et de la réparation du monde et du vivant.
La vérité est qu’un politicien local, Lorenz Deutsch, qui semble utiliser l’antisémitisme comme un filon pour sa carrière politique, m’a calomnié sans savoir qui j’étais réellement et sans avoir lu mes écrits. La calomnie a été relayée sans aucun examen critique ni enquête sérieuse par un bureaucrate fédéral, Felix Klein, dont je doute qu’il connaisse quoi que ce soit aux pensées-monde qui viennent du Sud.
Et le bureaucrate, et le politicien, ont vu un nègre. Dans le contexte de raidissement nationaliste qui prévaut en Allemagne, ils ont dû se dire qu’un nègre doublé d’un antisémite, cela devait nécessairement rapporter de belles dividendes politiques ou de carrière.
De véritables spécialistes dans des champs aussi divers que les études juives, les études sur l’Holocauste, des spécialistes des études sur les génocides et sur le colonialisme comparé ayant fermement condamné cette vulgaire instrumentalisation de l’antisémitisme, ceux qui me persécutent ont rafistolé, vaille que vaille, de faux arguments dont les termes n’ont cessé de changer, alimentant ainsi une interminable querelle.
MEE : Comment avez-vous réagi à cette accusation ?
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