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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

La mise en scène politique et médiatique du confinement : Nécro-politique et quartiers populaires (Saïd Bouamama)

17 Avril 2020 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Quartiers populaires, #Politique française, #Questions internationales

Il y a le confinement d’une part et il y a le discours politique et médiatique qui l’accompagne d’autre part. La question du confinement renvoie au choix de la stratégie de lutte contre la pandémie qui elle-même découle d’une série de facteurs  [critères de priorités des preneurs de décision c’est-à-dire de la classe dominante, état des moyens disponibles en lien avec les politiques structurelles antérieures  – services public, politique de santé, de logement, etc. -, degré de légitimité du gouvernement, etc.]  Le discours idéologique d’accompagnement renvoie lui à la nécessité pour les dominants de visibiliser certains aspects et d’en invisibiliser d’autres, d’imposer des grilles de lecture et des attributions causales des comportements et d’en occulter d’autre.  En l’occurrence ce que révèle la politique choisie dans la lutte contre la pandémie c’est une nécro-politique pour entraver le moins possible le fonctionnement de l’activité économique et les profits qui vont avec. Le besoin de masquer les conséquences de celle-ci mène pour sa part à une essentialisation des quartiers populaires et de leurs habitants articulant racisme, mépris de classe et moralisation dans le cadre de la préparation stratégique de l’après-pandémie.

  1. Généalogie d’une nécro-politique 

Les dénonciations de l’ « amateurisme » du gouvernement et du président de la République sont récurrentes depuis le début de la pandémie. Elles épinglent pêle-mêle l’incapacité à anticiper, le retard dans les prises de décision ou encore des successions de décisions et de déclarations officielles contradictoires. Bien qu’ayant le mérite de désigner clairement la responsabilité de l’Etat et des intérêts qu’il représente, ces dénonciations tendent à attribuer à des « défaillances », des « défauts »,  des « incapacités », des « insuffisances », etc., des gouvernants, des constats qui sont le résultat ou la conséquence logique du fonctionnement d’un système et de ses critères de priorité.

 

Un choix tardif et partiel

En l’absence de vaccin, il n’existe que deux chemins logiques pour freiner puis stopper une pandémie : freiner la propagation du virus par le biais du dépistage et /ou du confinement ou au contraire le laisser circuler pour atteindre le seuil dit de « l’immunité collective ». L’approche théorique centrée sur le concept d’ « immunité collective » est apparue en 1923 dans les débats sur l’efficacité ou non de campagnes collectives de vaccination[i].  Il s’agit dans ces recherches de déterminer le taux de couverture vaccinale pour assurer une protection optimale de la population cible. Pour simplifier la logique consiste donc à diffuser un « virus[ii] » atténué afin de susciter une immunité adaptative. N’étant pas médecin nous n’entrerons pas dans le très ancien débat sur l’efficacité ou la dangerosité des vaccins actuellement obligatoires. En revanche sans être spécialiste, il est possible et nécessaire d’interroger le transfert de cette approche théorique du champ des vaccins à celui de la pandémie. De même il est indispensable d’interroger l’attractivité de cette approche pour la pensée néolibérale  [c’est-à-dire la doctrine économique d’un marché sans entrave portée par la phase actuelle de mondialisation capitaliste]  de manière explicite comme au Pays-Bas ou implicite comme en France.

Soulignons en premier lieu les conclusions opposées en terme de politique publique de l’approche « immunité collective » selon qu’elle concerne les vaccins ou la pandémie. Dans le premier cas elle conduit à une politique active de l’Etat sous la forme des campagnes de vaccination ou de l’instauration de vaccins obligatoires. C’est d’ailleurs la possibilité que ce caractère actif des politiques publiques soit mis au service des profits l’industrie pharmaceutique  sous la forme de l’imposition de « vaccins inutiles » et/ou « dangereux » qui suscite des débats contradictoires légitimes. Pour la pandémie en revanche l’approche « immunité collective » mène à l’inaction publique c’est-à-dire à une logique du « laisser faire ».  Cette logique a bien entendu un coût humain que ne nient pas les partisans de cette approche. L’économiste de la santé Claude Le Pen évalue comme suit ce coût :

 Si 60 % de la population est contaminée, alors : 1. L’épidémie disparaît ; 2. La population est immunisée contre un rebond épidémique, une rechute ou une nouvelle infection par un pathogène de même nature. C’est l’argument « santé publique » : la « herd immunity » offre une immunisation efficace, efficiente et définitive. Sauf que 60 % d’une population de 60 millions d’habitants cela représente 36 millions de personnes et même si le taux de létalité des personnes infectées est faible, disons de l’ordre de 1 à 1,5 %, cela fait entre 360 000 et 540 000 morts ! À vrai dire, ce serait sans doute moins car ces taux de létalité se réfèrent aux cas avérés quand beaucoup de sujets sont porteurs asymptomatiques. Il faudrait une sérologie généralisée pour connaître le « vrai » taux. Mais même divisé par 10, le chiffre de 36 000 à 54 000 décès potentiel est considérable[iii].

La question posée par l’ « immunité collective » ne concerne pas que le champ médical mais interroge les critères de la décision politique et le choix des priorités. Car cette approche basée sur le sacrifice prévu d’une partie de la population a des avantages évidents en matière économique : ne pas freiner l’activité économique et les profits qui vont avec. Le « laisser faire » comme réaction à la pandémie est au service du « laisser faire » en matière économique ».  Les coûts ne sont pas de même nature selon que l’on est dans une stratégie de confinement et de dépistage ou dans une stratégie d’immunité collective : il est économique dans le premier cas et humains dans le second. Telle est la raison essentielle de l’attractivité initiale de l’immunité collective auprès des gouvernements néolibéraux.  Il a fallu attendre les premières accélérations des contaminations d’une part et les premiers cas de re-contamination [interrogeant sur l’efficacité réelle de l’immunité adaptative pour cette pandémie] d’autre part, pour qu’il y ait « changement de doctrine » pour reprendre l’expression consacrée et que se mette en place le confinement. Ce choix tardif est en outre un choix partiel comme le témoigne le maintien en activité de nombreux secteurs économiques non vitaux. Il est enfin un choix sans cesse remis en cause comme en témoigne la décision de commencer la sortie du confinement par la réouverture des écoles afin de « libérer » les parents pour qu’ils puissent rejoindre leurs postes de travail.

 

Un choix idéologique

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