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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Epidémies coloniales, racisme d’Etat et dispositions d’exception (Olivier Le Cour Grandmaison)

13 Avril 2020 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Colonisation

La pandémie du Covid-19 a conduit des historiens à rappeler celle qui a frappé le monde, l’Europe et la France en 1918 : la grippe dite espagnole et celle de la grippe asiatique (1956-1958), plus encore oubliée. Intéressant mais partiel puisque les colonies n’entrent pas dans ce tableau mémorial. Singulière omission.

« Qu’il soit établi une séparation complète entre les villages indigènes et les villages habités par les Blancs... » Vœu de la section médicale du Congrès colonial français (1905)

« L’œuvre de la colonisation française a été l’œuvre de la Troisième République ! Nous devons l’affirmer bien haut. » Marcel Saint-Germain, sénateur, (1907)

La pandémie du Covid-19 a conduit des historien-ne-s et des journalistes à rappeler celle qui a frappé le monde, l’Europe et la France en 1918 : la grippe dite espagnole et ses 400 000 victimes françaises, selon certains. Et celle de la grippe asiatique (1956-1958), plus encore oubliée, qui a fait environ 25 000 morts dans l’Hexagone. Intéressant mais partiel puisque les colonies n’entrent pas dans ce tableau mémorial. Singulière omission.

1913. Les républicains et leurs alliés peuvent être fiers. Dix-huit ans après la célèbre conférence de Berlin, achevée en février 1885, au cours de laquelle les puissances européennes se sont accordées sur le partage du continent africain, ils ont conduit la France vers les sommets. Elle est désormais la deuxième puissance impériale du monde, juste derrière la Grande-Bretagne. Remarquable bilan. Entre ces deux dates, les colonies françaises sont passées de moins d’un million de kilomètres carrés à treize millions environ. Quant aux populations « indigènes », elles ont progressé de sept à plus de quarante-huit millions. Extraordinaire expansion souhaitée par Victor Hugo, notamment, qui, en mai 1879, déclarait lors d’un banquet républicain organisé pour célébrer l’abolition de l’esclavage : « Allez […] emparez-vous de cette terre [africaine]. Prenez-la. A qui ? A personne…[1]»

A la veille de la Première Guerre mondiale, c’est chose faite. Conquérir de vastes régions par la force des armes est une chose. Coloniser et exploiter de façon optimale les terres et les populations en est une autre. Sous les tropiques, en effet, le climat, les moustiques, les mouches, les eaux, les sols mêmes sont à l’origine de maladies diverses et graves. S’y ajoutent les « indigènes » dont la dangerosité sanitaire est établie par l’écrasante majorité des hygiénistes et des praticiens qui les tiennent pour de terribles « réservoirs à virus[2] ». Nature, insectes, animaux divers, Arabes, Noirs et Indochinois ; tous sont des menaces permanentes jugées d’autant plus inquiétantes que la plupart du temps, la médecine est alors incapable de soigner. Faute de pouvoir guérir, il faut donc prévenir au mieux afin que les Européens puissent accomplir leur « mission civilisatrice » et « mettre en valeur » les possessions françaises.

Pour obvier aux dangers précités, les spécialistes de l’hygiène coloniale estiment qu’il est indispensable de séparer quartiers blancs et quartiers autochtones, et de limiter les interactions entre les populations européennes et « indigènes. » aux seules relations professionnelles. De là une conséquence majeure : cette séparation est souvent associée à une purification ethno-raciale susceptible de prendre des formes diverses. L’une et l’autre peuvent être réalisées grâce à l’expulsion des autochtones du centre-ville suivie de leur installation dans les faubourgs, comme à Douala, par la construction de quartiers européens de facto, voire de jure, interdits aux « indigènes », ou encore par la destruction de certaines zones habitées par ces derniers pour libérer des espaces jugées indispensables au renforcement de la sécurité sanitaire des Blancs.

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