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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Enquête : Éric Zemmour, le joker de la droite extrême (Marie-France Etchegoin, Vanity fair)

12 Mars 2020 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Extrême-droite

Paris, Ier arrondissement, le 8 janvier. Un garçon, tout de noir vêtu, genre black bloc de fin de manif, et une fille en pantalon camouflage se dirigent vers Éric ­Zemmour. Ils ont à peine 20 ans et je les vois débouler au coin de la rue Saint-­Honoré, au sortir de l’interview que vient de me donner celui qui, dans son émission sur CNews, encourage les poli­ciers à répli­quer « à balles réelles » partout où ils sont agressés. Le garçon a un anneau à l’oreille. La fille, des cheveux noir de jais. Les voici à notre hauteur. « Éric, on peut faire un selfie ? » demandent-ils avec un sourire béat. Le couple repart avec sa photo, sans un mot. Et Zemmour jubile.

 

Il faut prendre au sérieux cet homme de bientôt 62 ans. Il raconte l’époque. Il est un symptôme, et ce symptôme ne cesse d’enfler. Longtemps, les plus optimistes ont parié sur sa fonction cathartique – à travers lui, « se purgeaient » les mauvaises passions. Le problème, c’est que, désor­mais, il les catalyse. Pour vendre des livres ? Pour marcher un jour sur l’Élysée ? Pour jouir, simplement, des réactions qu’il provoque et des pulsions qu’il libère ? Son pouvoir semble grandir en même temps que ses transgressions. Il a des soutiens en bas de l’échelle, mais aussi tout en haut, même si, à l’automne 2019, il a fait sauter les dernières digues lors d’un ras­sem­blement organisé, à Paris, par les amis de Marion Maré­chal, la nièce de Marine Le Pen. La harangue d’une rare violence qu’il y a prononcée n’a fait que renforcer ses positions.

 

« J’ai pesé chaque phrase de ce discours », me dit le sexagénaire au bar de l’hôtel du Louvre. Quatre mois après l’avoir tenu, il ne regrette rien et revendique chaque passage. Tout a été prémédité. « J’ai rédigé un premier jet, un deuxième, un troisième... Cela m’a pris du mercredi au vendredi. » Le samedi suivant, le 28 septembre, il est allé lire son texte, « au mot près », souligne-t-il, à la « convention de la droite ». Euphé­mique appel­la­tion pour un meeting qui réunit en ce début d’automne la fine fleur maréchaliste et les conservateurs qui veulent nouer des alliances avec l’extrême droite. En tout, deux mille fans. Ils attendent Zemmour presque comme le messie à la Palmeraie, un « espace événementiel » au décor tropical loué pour l’occasion dans le XVe arrondissement de Paris. Et ce jour-là, l’orateur avance tout sauf masqué. « République, valeurs républicaines, État de droit... tout cela ne veut plus rien dire », lance-t-il, courbé sur son pupitre. Il parle le premier, avant Marion Maréchal. C’est à lui que revient le privilège de fixer les termes du débat. « Le progressisme », martèle-t-il à l’ombre des cocotiers plastifiés qui ornent la salle, est « liberticide » et ne vaut pas mieux que « le communisme, le fascisme, le nazisme, le néo-libéralisme ou le droit-de-l’hommisme ». Les démographes, les historiens, les hommes politiques ? « Ne les croyez pas [quand ils] vous disent que vous avez tort d’avoir peur. » Pour « la droite mondialisée », seules importent « les villes où sont localisées les banques qui gèrent son argent ». « Le marché », lui, « a placé ses hommes à la tête de l’État » pour en faire « l’arme de destruction de la nation et l’asservissement de son peuple, du remplacement de son peuple par un autre peuple ». Le grand remplacement ! Sous les vivats de conventionnels, Zemmour agite sans vergogne cette théorie conspirationniste popularisée par l’écrivain Renaud Camus, inspiratrice de plusieurs attentats d’extrême droite de par le monde. Il ne recule devant aucun amalgame. Sus aux « femmes voilées » et aux « hommes en djellaba » qui portent « les uniformes d’une armée d’occupation ». Et sus aussi à tous les « immigrés » : ils « imposent aux Français de souche » de « vivre sous la domination des mœurs islamiques ». Même la glaciale parente de Jean-Marie Le Pen hausse un sourcil, tandis que son ami Éric, dont la voix s’enroue à mesure que ses visions s’hallucinent, lance à son auditoire : « À l’époque, le dynamisme démo­gra­phique de notre continent a permis aux Blancs de coloniser le monde. Ils ont exterminé les Indiens et les Aborigènes, asservi les Africains. Aujourd’hui, nous vivons une inversion démographique. Je vous laisse deviner qui seront les Indiens et les esclaves... C’est vous ! » Extermination. « Extermination de l’homme blanc hétérosexuel catholique », précise Zemmour, juif berbère, fils de rapatriés d’Algérie et qui interroge ainsi son public : « Les jeunes Français vont-ils accepter de vivre en minorité sur la terre de leurs ancêtres ? Si oui, ils méritent leur colonisation. Sinon, ils devront se battre pour leur libération. » Préconisation de guerre civile. Mais pour les autres. Lui, sans doute, est trop vieux. Du jamais vu ni entendu à ce niveau de notoriété. Braises attisées, irresponsabilité affichée.

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