Confinement: dans les quartiers populaires, attention aux contrôles sous tension (Camille Polloni)
Depuis le début du confinement, les quartiers populaires essuient un pénible débat sur leur irrespect supposé des consignes. Mais le traitement policier qui leur est réservé mérite d’être examiné
Vendredi soir, la porte-parole du ministère de l’intérieur, Camille Chaize, dressait un bilan chiffré des onze premiers jours de confinement : 4,3 millions de contrôles ont été effectués en France, dont 260 000 ont conduit à des verbalisations.
Si cette période agit comme un révélateur des inégalités dans tous les domaines – logement, revenus, accès à la santé et à la technologie entre autres –, la question de savoir comment les forces de l’ordre font respecter le confinement partout sur le territoire, de manière identique, équitable ou injuste, se pose également. Dans ce domaine, il n’existe évidemment que des bribes de réponses.
Depuis dix jours, les quartiers populaires sont publiquement désignés comme des lieux où le confinement serait moins bien respecté. Par l’extrême droite, sans surprise. Mais aussi par de nombreux autres commentateurs, avec ou sans arrière-pensées, qui y voient une preuve de l’indiscipline des habitants ou le signe de conditions matérielles d’existence rendant les contraintes invivables.
La dernière édition du Canard enchaîné rapporte des propos prêtés à Laurent Nuñez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, lors d’une visioconférence avec les préfets de zone de défense le 18 mars. « Ce n’est pas une priorité que de faire respecter dans les quartiers les fermetures de commerces et de faire cesser les rassemblements », aurait-il déclaré – son cabinet ne nous a pas répondu – après avoir été alerté par les préfets que l’exercice était difficile. Et le journal d’affirmer : « Après avoir ordonné quelques contrôles dans les quartiers sensibles, le ministère de l’intérieur relâche la pression. » Rappelons que le premier jour du confinement, le département de Seine-Saint-Denis, qui représente 2,4 % de la population française, avait concentré à lui seul 10 % des verbalisations.
Dans les rangs policiers, cet article a fait réagir. Le syndicat Alternative Police s’est fendu d’un communiqué pour y répondre directement. « Il n’est pas question de plumer toujours les mêmes, les honnêtes gens qui se lèvent tôt le matin et rentrent tard le soir pour gagner chaque fin de mois l’équivalent du Smic », écrit le syndicat, supposant donc que les honnêtes gens qui se lèvent tôt le matin ne vivent pas dans les banlieues. Quant à Yves Lefebvre, secrétaire général d’Unité SGP Police-FO, il estime que la police a besoin de « l’armée en support » pour faire respecter les mesures de confinement dans les « quartiers difficiles ».
Mediapart a par ailleurs eu accès aux échanges autour de cette « tolérance » supposée sur un groupe Facebook privé, ouvertement destiné aux membres des forces de l’ordre, qui compte plus de 7 000 membres. On ne peut toutefois pas exclure que certains civils, approuvés par les modérateurs, en fassent partie. Au milieu de propos outranciers comparant les habitants des banlieues à des « animaux », les traitant de « connards » ou appelant à les « laisser mourir » après les avoir entourés de barbelés, les membres du groupe rivalisent d’inventivité dans leurs commentaires.
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Confinement: dans les quartiers populaires, attention aux contrôles sous tension
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Mesures de confinement : Les contrôles de police ne doivent être ni abusifs ni violents ni discriminatoires
Ainsi que : Egalité trahie 31, Collectif C-Nous (38), Maison Communautaire pour un Développement Solidaire (75), Pazapas Belleville (75), REAJI (69), R.E.S.O Fertile (38), Les Fleurs d’Aurore de Drancy (93) et de St Martin le Vinoux (38)
(Paris, le 27 mars 2020) Après seulement dix jours de confinement, des vidéos et témoignages faisant apparemment état de contrôles abusifs et de violences par les forces de police ont commencé à émerger sur les réseaux sociaux. Les organisations signataires appellent le ministre de l’Intérieur et le directeur général de la Police nationale à veiller à ce que le maintien de l’ordre et les opérations de contrôle dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 ne donnent pas lieu à des abus. Ils doivent rappeler immédiatement aux policiers en charge des contrôles que ces opérations doivent s’opérer dans un cadre strictement légal, sans discrimination, et sans recourir à des techniques dangereuses et potentiellement mortelles contre les personnes.
Des vidéos postées sur Twitter en provenance d’Asnières, de Grigny, d’Ivry-sur-Seine, de Villeneuve-Saint-Georges, de Torcy, de Saint-Denis et d’ailleurs en France, montrent des habitant.e.s apparemment frappé.e.s, gazé.e.s, et, dans un cas, une personne se faisant heurter par un policier à moto. Les vidéos semblent aussi montrer qu’elles/ils n’opposaient ni violence, ni résistance aux forces de l’ordre. Dans certains cas, les propos proférés par les forces de police avaient un caractère xénophobe ou homophobe.
Des images montrent également des policiers recourir à des techniques d’immobilisation dangereuses et potentiellement létales, comme l’a encore récemment rappelé la mort du livreur Cédric Chouviat, décédé suite à un plaquage ventral et une clé d’étranglement à l’occasion d’un contrôle routier. L’usage de la force n’est légal que s’il est strictement nécessaire et proportionné, et toute violation de ces principes doit engager la responsabilité des forces de l’ordre, et éventuellement de leur hiérarchie.
De tels comportements sont inacceptables et illégaux. L’état d’urgence sanitaire ne doit pas être en rupture avec l’Etat de droit et ne saurait justifier des contrôles discriminatoires ni un recours à la force injustifié ou disproportionné par les forces de l’ordre françaises
En France, les contrôles de police discriminatoires et abusifs à l’égard de personnes en raison de leur apparence physique, de leur origine réelle ou supposée, ou de leur lieu ou mode d’habitat sont courants et sont rarement sanctionnés, comme le montrent de nombreux rapports. Nous craignons que ces pratiques illégales ne s’intensifient dans les semaines à venir, et ce dans un climat d’impunité préexistant.
De tels abus de la part des forces de l’ordre menaceraient la cohésion nationale alors que celle-ci est plus que jamais indispensable pour faire face à la grave crise sanitaire que connaît le pays. Ils risqueraient aussi de compromettre l’adhésion d’une partie de la population aux mesures de confinement et de prévention décidées par les autorités.
Nous reconnaissons l’importance cruciale de la mission collective confiée aux forces de l’ordre pour faire respecter les mesures de confinement et les difficultés auxquelles elles font face, mais nous dénonçons fermement tout abus dans la mise en œuvre de cette mission.
Si vous avez été la cible d’un contrôle abusif ou discriminatoire, nous vous rappelons qu’un numéro spécial (06 83 60 58 27) a aussi été ouvert depuis fin 2019, pour vous aider à faire valoir vos droits.
Contact médias VoxPublic :
Erika Campelo : 06 10 29 52 50 (tel, sms, whatsapp, telegram)
Rafaëlle Parlier : 0614 79 86 74 (tel, sms, whatsapp, telegram)
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