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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

La construction politique et idéologique de l’immigration comme problème (Saïd Bouamama)

3 Octobre 2019 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Étrangers et immigrés

« Je crois dans notre droit d’asile, mais il est détourné de sa finalité par des réseaux, des gens qui manipulent. […] Nous n’avons pas le droit de ne pas regarder le sujet en face. Devons-nous être le parti bourgeois ou pas ? Les bourgeois ne croisent pas l’immigration. Ce sont les territoires les plus pauvres qui sont le réceptacle. Les classes populaires, elles, subissent le chômage, la pauvreté, mais elles subissent aussi ce sujet »

Emmanuel Macron, 16 septembre 2019

Le discours du président de la République sur « l’immigration » du 16 septembre 2019 n’est pas nouveau en soi. Il illustre un rituel désormais installé et se déclenchant à l’approche de chaque échéance électorale.  Les chefs de l’État successifs de ces dernières décennies se sont tous prêtés à ce rituel consistant à présenter l’immigration comme étant un « problème ». De Chirac à Hollande en passant par Sarkozy, ils ont tous eu leur « débat national » ou leur discours consacré à ce « problème ».  Cette transformation de l’immigration en « problème » est relayée par les médias de masse et « étayée » par de pseudos sondages. La construction politique et idéologique agit dès lors de manière performative c’est-à-dire fabrique la réalité sociale ou plus exactement la perception de la réalité sociale par le citoyen quelconque. Nous sommes ici en présence d’un des terrains essentiels de la lutte pour l’hégémonie culturelle dans laquelle la classe dominante gagne des batailles depuis plusieurs décennies au prix de l’intégration grandissante des thématiques d’extrême-droite dans le référentiel politique et médiatique dominant. 

La fabrique du « problème » de l’immigration 

 Le décès de Jacques Chirac est l’occasion de rappeler une étape précédente de ce processus progressif de construction de l’immigration comme problème. Au cour d’un diner débat du RPR à Orléans, il déclare il y a près de trois décennies,  le 19 juin 1991 :

Notre problème, ce n’est pas les étrangers, c’est qu’il y a overdose. C’est peut-être vrai qu’il n’y a pas plus d’étrangers qu’avant la guerre, mais ce n’est pas les mêmes et ça fait une différence. Il est certain que d’avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d’avoir des musulmans et des Noirs […] Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte-d ‘or où je me promenais avec Alain Juppé il y a trois ou quatre jours, qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler ! [Applaudissements nourris] Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur [rires nourris], eh bien le travailleur français sur le palier, il devient fou. Il devient fou. C’est comme ça. Et il faut le comprendre, si vous y étiez, vous auriez la même réaction. Il faut que ceux qui nous gouvernent prennent conscience qu’il y a un problème de l’immigration, et que si l’on ne le traite pas et, les socialistes étant ce qu’ils sont, ils ne le traiteront que sous la pression de l’opinion publique, les choses empireront au profit de ceux qui sont les plus extrémistes[i].

La logique est exactement la même que celle du chef d’État actuel. Elle commence par la pose d’un constat que personne ne contestera : les difficultés économiques et sociales des travailleurs et citoyens  français des classes populaires. Elle se poursuit par l’affirmation d’une attribution causale c’est-à-dire par la désignation  d’une cible : ces difficultés sont liées à l’immigration. Elle se prolonge par un discours de pseudo-quantification : « l’over dose » de Chirac et le « détournement » de Macron. Elle se continue par une caractérisation : le « il y a un problème de l’immigration » de Chirac » et le « elles [les classes populaires] subissent aussi ce sujet » de Macron. Elle se termine enfin par un discours de la peur : Ne pas mettre le sujet de l’immigration en première place de l’agenda politique c’est faire le jeu des « extrémistes ». Le double avantage tactique d’une telle logique saute aux yeux. Le premier est l’évacuation des autres attributions causales au constat de paupérisation des classes populaires. Le second est le renforcement du modèle du bipartisme à l’approche d’une échéance électorale (régionales de 1992 et municipales de 2020) : la droite/« les plus extrémistes » de Chirac, les Nationalistes/les progressistes de Macron.

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