Le mot race (Éric Fassin)
27 Septembre 2019 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Racisme
Dans les médias français se multiplient les couvertures et les articles, mais aussi les tribunes et les manifestes, au nom de l’antiracisme, non pas tant contre le racisme que contre le mot race, accusé d’en faire le jeu. Il importe donc à la fois de définir les usages actuels du mot, pour « l’antiracisme politique » comme pour les savoirs critiques, et de comprendre les enjeux de cette réaction.
« C’est très exactement la réalité de la “race”. Cela n’existe pas. Cela pourtant produit des morts. […] Non, la race n’existe pas. Si, la race existe. Non certes, elle n’est pas ce qu’on dit qu’elle est, mais elle est néanmoins la plus tangible, réelle, brutale, des réalités. »
Colette Guillaumin, « “Je sais bien mais quand même”, ou les avatars de la notion de race », Le Genre humain n°1, « La Science face au racisme » (Paris, éditions Fayard, automne 1981), p. 55-65 (citation p. 65).
Sexe ou race
À l’unanimité, les députés français ont voté le 12 juillet 2018 un amendement qui supprime le mot « race » dans le premier article de la Constitution. Celui-ci stipule en effet que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». L’expression remonte au Préambule de la Constitution de 1946 : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. » Faisant fi de ce contexte historique, l’Assemblée nationale ne veut entendre aujourd’hui, dans le mot race, que le racisme.
Le Parti communiste est depuis longtemps engagé dans ce combat : après une première tentative qui a échoué en 2003 face à l’opposition de la majorité de droite, il a réussi en 2013, avec le Front de gauche, à faire adopter par l’Assemblée nationale une proposition de loi effaçant le mot race de la législation française – ou plus précisément le qualifiant (à la différence de l’amendement de 2018) : « la République combat le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie », stipule son premier article ; mais « elle ne reconnaît l’existence d’aucune prétendue race ». En tout cas, ce texte n’allait jamais être inscrit à l’ordre du jour du Sénat. Il n’est pas certain que le texte de 2018, porté par la droite, connaisse un sort différent. Du moins a-t-il une valeur symbolique forte, et d’autant plus qu’en l’absence des députés d’extrême droite, il a été adopté à l’unanimité.
Comment comprendre le nouveau consensus contre le mot race ? Rappelons d’abord que cet amendement a une double visée : il s’agit, non seulement de supprimer, mais aussi d’ajouter. Si la révision constitutionnelle aboutit, l’article proclamera désormais l’égalité « sans distinction de sexe », un mot remplaçant l’autre. Comme le rappelle Jean-Christophe Lagarde, député UDI porteur du texte, lors du débat parlementaire : « En commission, un très large consensus s’est dégagé, d’une part pour supprimer le mot “race” de notre Constitution, puisqu’il n’existe pas de races différentes au sein de l’humanité, et, d’autre part, pour intégrer le fait qu’il ne peut pas y avoir de distinction selon le sexe dans notre corpus législatif. » La « race » (avec guillemets) cède la place au sexe (sans guillemets).
Paradoxalement, c’est donc pour combattre le racisme que l’Assemblée nationale refuse de nommer la « distinction de race » (je renvoie sur ce point à l’analyse critique de Magali Bessone en 2013), et en même temps, c’est pour lutter contre le sexisme qu’elle choisit d’introduire la « distinction de sexe » : dans les deux cas, pourtant, distinguer reviendrait à discriminer. Qu’importe : d’un côté, comme l’explique la Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, « l’espèce humaine est unique et indivisible » ; mais de l’autre, l’humanité est sexuée, comme l’atteste la loi sur la parité. Autrement dit, invoquer la vérité du sexe sert au premier chef à récuser la fausseté du terme race, « scientifiquement infondé ». La Constitution ne ferait donc que refléter un savoir biologique censé séparer le bon grain de l’ivraie – soit le vrai du faux.
Vérité ou pouvoir
Lire la suite sur Médiapart
![Le mot race](https://image.over-blog.com/-XzW69Ay30cO4IHgDuxQwd5uqgE=/170x170/smart/filters:no_upscale()/https%3A%2F%2Fwww.mediapart.fr%2Fimages%2Fsocial%2F800%2Fclub.png%23width%3D800%26height%3D465)
Dans les médias français se multiplient les couvertures et les articles, mais aussi les tribunes et les manifestes, au nom de l'antiracisme, non pas tant contre le racisme que contre le mot race ...
https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/260919/le-mot-race
Partager cet article
Partager cet article
Suivez-moi
Newsletter
Abonnez-vous pour être averti des nouveaux articles publiés.
Pages
Catégories
- 786 Extrême-droite
- 688 Islamophobie
- 574 Étrangers et immigrés
- 371 Antisémitisme et négationnisme
- 370 Racisme
- 349 Police Justice
- 320 Palestine
- 308 Palestine Solidarité en France
- 299 Internet
- 294 Colonisation
- 265 Palestine BDS
- 246 Informations militantes
- 234 Israël et le sionisme
- 233 Palestine Colonisation occupation
- 216 MRAP
- 202 Front national
- 196 Proche et Moyen-Orient
- 174 Algérie (1830-1962)
- 170 MRAP expressions plurielles
- 164 "Gauche" décomplexée
- 159 Antiracisme politique
- 153 Palestine Gaza
- 145 Afrique
- 141 Repères antiracistes. Le Blog
- 126 Mouloud Aounit
- 121 Initiatives locales
- 118 Mémoire Seconde guerre mondiale
- 117 LDH Ligue des droits de l'homme
- 115 Politique française
- 112 Libertés
- 104 Amériques
- 104 Europe
- 100 Laïcité
- 100 Roms migrants
- 99 Questions internationales
- 95 Quartiers populaires
- 84 Société française
- 80 Palestine Prisonniers
- 80 Réfugiés et droit d'asile
- 79 Mouvements antiracistes
- 77 "Racisme anti-blanc"
- 74 Hommages
- 68 Maghreb
- 64 LICRA
- 64 Tsiganes et voyageurs
- 54 CRIF
- 53 FUIQP
- 51 Identitaires
- 48 Monde arabe
- 47 Macron et LREM
Commenter cet article