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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

À Gaza, c’est l’avenir des Palestiniens qui s’invente (Nadia Yafi et Leïla Chahid)

18 Juillet 2018 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Palestine, #Palestine Gaza, #Palestine mouvement national

C’est une conversation à cœur ouvert qu’Orient XXI a eue avec Leïla Shahid, ex-ambassadrice de la Palestine à Paris et à Bruxelles auprès de l’Union européenne. Elle y aborde sans langue de bois et sans tabous l’intifada pacifique de Gaza, le processus d’Oslo, la colonisation de la « Jérusalem métropolitaine », l’affaiblissement de l’establishment palestinien et le péril que représente l’infléchissement des positions arabes. Elle replace le conflit avec Israël dans le temps long et rappelle avec force que la question des réfugiés demeure centrale.

Nada Yafi. Vous avez choisi d’entamer cet entretien à un moment particulier, celui de la journée mondiale des réfugiés, le 21 juin. Cette question est- elle essentielle pour vous aujourd’hui ? Est- elle la raison de l’explosion à Gaza à propos de laquelle vous vous êtes beaucoup exprimée dans les médias ?

Leïla Shahid. — Cette question est au cœur de la question de Palestine. Je ne peux pas parler de « conflit israélo-palestinien » : un conflit se déroule entre deux protagonistes. Or, nous ne sommes pas un simple « protagoniste », nous sommes un peuple face à une puissance occupante colonialiste depuis 70 ans. La « question de Palestine » pour reprendre les termes mêmes de l’ONU, n’a pas commencé en 1967, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire. Elle a commencé en 1948 le jour où le projet d’un État national juif en Palestine est venu remplacer l’État que les Britanniques étaient censés préparer à l’indépendance, comme la France avait préparé le Liban ou la Syrie à l’indépendance par le biais de mandats. Le Royaume-Uni n’avait pas encore de mandat sur la Palestine en 1917 lorsqu’il a produit la déclaration Balfour, une lettre adressée à Lord Weizmann qui préconisait « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour les juifs » avec un bémol scandaleux : « étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine ».

Comment aurait-il pu en être autrement ? À ce moment-là, moins de 10 % de la population de la Palestine était juive. On leur donnait la prééminence sur les 90 % de la population non juive. Comme le dit Monique Chemillier-Gendreau qui est la plus grande juriste française sur cette question, c’est une décision totalement illégitime, car la souveraineté d’un pays appartient toujours au peuple. La souveraineté de la France est au peuple français, les Russes ne peuvent pas dire : demain nous allons décider que la France sera annexée à la Belgique. Le Liban a une souveraineté ; même si demain la Syrie occupait le Liban, personne ne reconnaîtrait cet état de fait, puisque c’est au peuple libanais que revient la souveraineté et non à un régime ou à un gouvernement. Et pourtant, dans le cas de la Palestine, personne n’a consulté le peuple palestinien pour ce « foyer national juif » qui est devenu l’État d’Israël en 1948.

On ne va pas revenir sur la série d’événements qui ont ponctué l’histoire de la Palestine entre 1917 et 1947 ce serait trop long, mais il est essentiel de remettre les choses dans leur contexte historique. La question de Palestine commence avec la dépossession de la terre par le mouvement sioniste (on ne peut pas dire israélien parce qu’Israël n’existait pas encore) et ce, par un nettoyage ethnique planifié, voulu dans l’optique d’une transformation d’un pays à majorité arabe habité par des chrétiens, des musulmans et des juifs non sionistes en un État national juif. Le mouvement sioniste, très bien organisé, est issu de l’Europe de l’époque. Qui sont ses dirigeants ? Theodor Hertzl, David Ben Gourion, Chaim Weizmann, Menahem Begin, Shimon Peres… Ils sont tous Européens. Ils viennent de Pologne, de Lithuanie, d’Allemagne, d’Autriche, de France et ils sont donc comme des poissons dans l’eau dans les cercles européens. Ils sont capables de mobiliser tous ces pays à leurs côtés, au moment où les Britanniques et les Français victorieux remplacent l’empire ottoman. Tout cela avant même qu’on ne découvre l’horreur du génocide. Nous sommes dans les années 1920 du XXe siècle et les Palestiniens — dont beaucoup de membres de ma propre famille du côté de ma mère — étaient encore crédules : ils ne pouvaient imaginer que leur pays serait ainsi octroyé par les Britanniques à une infime minorité.

Au tout début, la direction nationaliste palestinienne pense pouvoir leur expliquer la situation, en souligner l’iniquité par des moyens non violents, lors de conférences tenues à Londres, Paris ou Jérusalem. Après tout, juifs, chrétiens et musulmans avaient toujours vécu ensemble sous l’empire ottoman. Ils n’ont donc pas recours à une révolte. La révolte armée en Palestine commence en 1936 et la résistance non violente aussi, avec une grève générale historique qui dure pas moins de six mois. Les paysans en sont le moteur. Ils sont beaucoup plus lucides que la classe des notables, de la bourgeoisie palestinienne qui est proche des Britanniques, voire liée à eux par certains intérêts, et prête à les ménager. Pourquoi les paysans ? Parce que le mouvement sioniste avait décidé de chasser les Palestiniens des terres dont il prenait possession. Les juifs cherchaient un lieu de substitution aux pays où ils avaient souffert de pogroms, comme en Russie tsariste ou en Europe de l’Est, et ce longtemps avant l’extermination des juifs en Allemagne, qui fut le summum de la barbarie.

Le mouvement sioniste est né au même moment que tous les mouvements nationalistes européens, au XIXe siècle. La majorité des juifs choisissaient alors les États-Unis jusqu’à ce que ceux-ci imposent des quotas sévères dans les années 1920. Certains ont alors émigré également en Palestine, bien qu’au départ le mouvement sioniste ait envisagé d’autres possibilités pour l’État projeté, comme l’Argentine ou l’Ouganda. Si la Palestine est finalement choisie, c’est que les Britanniques y voyaient leur intérêt, et pas seulement pour ses rapports avec l’Ancien Testament. Des propriétaires juifs tels que Lord Rotshild (citoyen français) ont acheté des terres en Palestine, et la première chose qu’ils ont faite a été de mettre à la porte les paysans palestiniens, afin d’accorder l’exclusivité du travail aux juifs. Les paysans n’étaient pas propriétaires des terres qu’ils cultivaient sous l’empire ottoman, ils étaient simples métayers pour le compte de propriétaires absents palestiniens, libanais ou syriens. Ils étaient tout à fait disposés à travailler pour les nouveaux propriétaires. Mais ceux-là avaient l’intention de créer une véritable classe de paysans et de prolétaires juifs pour l’État projeté.

Chasser les paysans

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