Suzanne Citron (1922-2018), la résistance chevillée au corps (Laurence De Cock)
23 Janvier 2018 , Rédigé par Repères anti-racistes
Suzanne était une femme rugueuse, au sens le plus noble du terme : vigilante, intègre, franche, et engagée. C’était cela, une boule de force, de colère et de courage.
Rendre un hommage lisse à Suzanne serait lui faire offense. Il est impossible de se contenter d’une notice biographique imbibée de consensus poli autour d’une grande historienne. Suzanne était une femme rugueuse, au sens le plus noble du terme : vigilante, intègre, franche, et engagée. C’était cela, une boule de force, de colère et de courage.
D’abord et surtout, elle détestait la couardise de celles et ceux qui optent pour le silence et la compromission pour jouer leur carrière aux dés et aux accolades. C’est le privilège des enfants nés dans des familles bourgeoises, au début du XXème siècle, élevant leurs petites filles dans les livres, l’école stricte et les études, à l’égal des garçons. La dignité y est plus rapide à conquérir que dans les familles populaires soumises aux oppressions. Suzanne a toujours eu conscience de cela et a orienté son ascendance privilégiée vers la défense des plus opprimé.e.s et démuni.e.s.
Elle était une petite fille « bavarde et docile » indique l’un de ses premiers livrets scolaires à six ans. La bavardise ne la quittera jamais ; mais la docilité ne fera pas long feu. Sa première désillusion de jeune-fille a lieu en 1940 lorsque la République, dont elle n’avait jamais imaginé la faiblesse, courbe l’échine devant Pétain qu’elle sait déjà revêtu de la tunique de la honte. Suzanne Grumbach ne sait pas encore bien-sûr que sa judéité la destine à l’horreur, mais s’indigne, dans les lettres à son père, de ces dirigeants politiques dont les convictions républicaines se révèlent être un vernis bien fragile. Elle décrit cette prise de conscience comme le basculement vers une autre vie, celle d’une jeune femme. Ses carnets de guerre en témoignent, le ton y passe de l’inquiétude juvénile à la froide et distante colère. La fougueuse lycéenne, passionnée déjà par les cours d’histoire de Marguerite Glotz au lycée Molière – qui mourra en déportation - devient une jeune femme « remontée » comme on dit, et la République cesse d’être un idéal qui, protégé de son aura historique, pourrait camoufler impunément ses défaillances. La République passe sous surveillance et Suzanne ne lui fera aucun cadeau. C’est là l’expérience de ses premières Lignes de démarcations, le titre de son autobiographie. Se « démarquer » donc, non pour briller sous les feux de la rampe, mais pour rappeler aux plus endormi.e.s que les discours ont bon dos quand ils ne sont suivis d’aucune pratique. C’est en vertu de cela que Suzanne passe à l’acte, inlassablement. La résistance d’abord dans la foulée de son inscription à l’université de Lyon, avec sa sœur Janine, dans les milieux protestants ; une résistance qu’elle a sentie vibrer dans le discours de l’un de ses maîtres, l’historien Henri Marrou dont elle décrit la conférence inaugurale sur les Romains comme un appel subliminal à ressusciter la démocratie. En vertu de cela aussi que, miraculeusement rescapée d’une déportation qui s’est arrêtée à Drancy, elle ne cesse de poursuivre de sa verve tous les germes des haines et discriminations restés inscrits dans la société malgré le drame de la guerre. Suzanne n’a pas souri pendant au moins un an après la libération se souvient-elle, mais elle a assisté au procès de Pétain grâce à son grand-père juge et y apprendra à regarder son ennemi dans les yeux.
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Suzanne Citron (1922-2018), la résistance chevillée au corps
Rendre un hommage lisse à Suzanne serait lui faire offense. Il est impossible de se contenter d'une notice biographique imbibée de consensus poli autour d'une grande historienne. Suzanne était u...
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