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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

« Il est temps de marcher avec notre boussole politique ». Entretien avec Omar Slaouti

17 Mars 2017 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Antiracisme politique, #Police Justice

Extrait :

Dirais-tu que ces dernières années s’est constitué un nouveau mouvement antiraciste, notamment autour de la question des violences policières, et plus largement de la lutte contre l’intensification de la violence d’Etat dans les quartiers populaires, mais aussi contre l’islamophobie ? Si oui, quelles sont les grandes coordonnées de cet espace, en particulier les points d’accord fondamentaux sur lesquels il se bâtit ?

Il ne s’agit pas tant d’un nouveau mouvement antiraciste qu’une césure encore plus aiguë entre ce que l’on nomme l’antiracisme politique et l’antiracisme moral. Si les violences policières constituent – notamment par le crime – le paroxysme du racisme, ce sont leurs mécanismes qui sont analysés différemment selon les organisations antiracistes, parfois même au sein d’une même organisation antiraciste. Avons-nous affaire à des pratiques racistes de la police ou à des pratiques d’une police raciste ? Au-delà, avons-nous affaire à des pratiques racistes d’un État ou aux pratiques d’un État raciste ?

Ce qui est interrogé ici par les mouvements antiracistes est la dimension structurelle et donc institutionnelle du racisme. Certaines organisations antiracistes s’arc-boutent sur une approche du racisme comme consistant dans des dérives, des bavures, des excès de zèle de certains agents appartenant à des institutions en elles-mêmes irréprochables car, nous disent-ils, « républicaines ». Ces organisations prennent appui sur le fait qu’aucun texte de loi n’est discriminatoire à l’égard d’un groupe de personnes en raison de sa culture, de son ethnie, de sa religion réelle ou supposée.

A mon sens, elles se trompent. D’abord parce qu’elles font l’impasse sur un certain nombre de textes dont l’interprétation dans le contexte qui est le nôtre vise au contraire des catégories de la population bien ciblées : celui de la loi de 2004 contre les signes religieux est dans le cas d’espèce un texte qui sous couvert de neutralité vise les musulmanes. Il en est de même du décret Châtel [qui interdit aux mamans voilées d’accompagner les sorties scolaires, NDLR]. Ou plus récemment, d’une disposition de la loi Travail du gouvernement Valls qui avait renversé le principe initial réaffirmant la liberté religieuse dans l’entreprise et qui y a substitué une rédaction prévoyant la possibilité de la limiter par des dispositions du règlement intérieur. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut interpréter les décisions récentes de la Cour de Justice de l’UE. On soulignera toutes les conséquences genrées de ces dispositifs institutionnels racistes. À l’échelle plus locale, nombreux sont les arrêtés municipaux interdisant les repas de substitution.

Mais, indépendamment même de la traduction dans des textes de loi, le racisme structurel, tout comme le sexisme structurel, peut se passer de tout formalisme législatif. Il suffit que les pratiques discriminatoires perdurent voire s’amplifient sans que la justice et donc les politiques n’y mettent fin. Aucun texte de loi ne préconise les différences de salaire discriminatoires entre les hommes et les femmes au détriment de ces dernières ; pour autant, elles perdurent car le système s’en arrange bien, et elles sont même « naturalisées » en retour. En ce sens, l’État est structurellement sexiste.

Il en est de même pour le racisme. Alors que l’État Français est condamné pour contrôle au faciès, le gouvernement fait appel de cette décision et en novembre 2016, la Cour de Cassation condamne de nouveau l’État Français. Là encore, aucun texte de loi ne dit expressément de contrôler surtout les noirs et les arabes, mais cette pratique existe et répond à une logique sociale de domination. Comme le souligne Emmanuel Blanchard, les contrôle d’identité ont une fonction bien plus politique que strictement policière, il s’agit de nier l’évidence, la légitimité et de dévaloriser l’identité d’un individu. C’est ce que le sociologue Harold Garfinkel nommait une « cérémonie de dégradation ».

Par racisme d’État, on entend un racisme structuré par les pouvoirs dominants (politique, économique, symbolique) qui construisent, essentialisent puis hiérarchisent : les blancs, les noirs, les musulmans, les asiatiques, les rroms, les arabes… C’est cette analyse qui en retour forme l’ossature de l’antiracisme politique. Un antiracisme politique qui s’oppose à un antiracisme moral, non pas par le fait qu’il n’y ait pas de morale dans l’antiracisme politique, mais par le fait qu’il n’y ait pas de politique dans l’antiracisme moral. Une approche purement morale du racisme et de l’antiracisme ne peut servir au mieux que de campagne d’affichage pour Benetton, au pire de faire-valoir pour SOS Racisme.

En lien avec la dimension institutionnelle, le racisme se systémise. C’est le cas de l’islamophobie comme le montre cette enquête de l’Institut Montaigne en 2015, qui prouve que les musulmans en France sont plus discriminés au travail que le sont les noirs aux Etats-Unis.

Un autre aspect fondamental, c’est qu’il n’y pas un espace de l’antiracisme déconnecté des autres espaces de luttes, si tant est que l’on puisse parler d’espace. L’antiracisme par exemple, et ce n’est pas nouveau, redessine non seulement les contours du féminisme qui à bien des égards a été utilisé à des fins racistes par des politiques allant de l’extrême droite à l’extrême gauche, mais au-delà, contraint de conjuguer au pluriel le féminisme. C’est au final de l’intersectionnalité à la consubstantialité, tout le champ social de luttes contre le racisme, le sexisme, l’homophobie qui s’interroge.

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