Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

« Rendre justice aux héritiers de l’immigration coloniale » (Olivier Le Cour Grandmaison)

22 Février 2017 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Colonisation

Un appel et une pétition lancés à la société civile réclament la reconnaissance des crimes coloniaux commis par la France. Le politologue Olivier Le Cour Grandmaison* explique l’urgence de rendre justice aux héritiers de l’immigration coloniale et postcoloniale.

Pourquoi avez-vous lancé un appel pour la reconnaissance des crimes coloniaux commis par la France ? 

Olivier Le Cour Grandmaison. Lors de la commémoration du 8 mai 1945, en 2016, il nous a semblé important de lancer un appel relatif à l’ensemble des crimes coloniaux pour qu’ils soient enfin reconnus et qu’on ne s’en tienne pas à des revendications fragmentaires. Cet appel rappelle tout d’abord les moyens employés pendant la période coloniale sous la 3ème République, et notamment la condition des « indigènes » comme sujet français, jusqu’en 1945. A ce titre, ils furent assujettis au travail forcé et à un certain nombre de dispositions d’exception. Certaines étaie
nt rassemblées dans le code de l’indigénat, aussi appelé « code matraque » en Algérie par les dits sujets français. Aujourd’hui encore, pour beaucoup, la fin de la Seconde guerre mondiale inaugure une période de paix. Or, après 1945, et contrairement à des chronologies oublieuses qui contribuent à entretenir le grand roman national, la France a presque constamment été en guerre dans ses colonies
jusqu’au 19 mars 1962.

Quels sont ces territoires où la guerre a continué ?

Olivier Le Cour Grandmaison. D’abord les terribles massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, qui débutent le 8 mai 1945. Outre des milices coloniales, l’ensemble des forces armées française sont impliquées. Bilan : près de 35000 morts. Il s’agit bien d’un crime d’Etat. Pour le comprendre, il faut remonter à la conférence de Brazzaville qui s’est tenue en 1944 dans la capitale du Congo français. Conférence organisée par le Comité français de libération nationale (CFLN) qui réunit l’ensemble des forces ayant combattu l’Allemagne nazie. Toutes s’accordent sur le fait que la France, pour redevenir une grande puissance mondiale, doit impérativement défendre son empire colonial. L’application impitoyable de cette politique se vérifie avec les massacres du 8 mai 45. Pour les autorités françaises, il s’agit de faire la démonstration qu’elles ne tolèreront aucune velléité d’indépendance dans quelque territoire colonial que ce soit. Sétif est un signal sanglant adressé à la population algérienne et à l’ensemble des colonisés. A preuve les massacres de Haiphong en Indochine en novembre 1946 puis ceux de Madagascar ; près 80 000 morts. En juin 1954, la guerre d’Indochine s’achève, le 1er novembre, le conflit algérien débute. Entre 1945 et 1962, le nombre de morts dans les colonies est estimé à un million soit plus que l’ensemble des civils, militaires et résistants français au cours de la Seconde guerre mondiale, (environ 600 000).

Comment expliquer les difficultés, sinon les réticences de l’Etat français et du corps politique, à reconnaître ces massacres ?

Olivier Le Cour Grandmaison. Depuis la loi du 23 février 2005, toujours en vigueur, la droite de gouvernement assume publiquement un discours de réhabilitation du passé colonial français. Cette loi scélérate établit une interprétation positive du passé colonial français. Elle a été le prologue d’un combat qui se poursuit encore. En témoigne, le discours de François Fillon, au cours de l’université d’été de son courant, où il a vanté les « mérites » de la colonisation française. De même l’extrême droite. Quant à l’actuel chef de l’Etat, à son gouvernement et à la majorité qui les soutient, ils font preuve d’une pusillanimité qui ne se dément pas.

Quels sont les enjeux, pour la société française, d’une reconnaissance collective de ces crimes ?

Olivier Le Cour Grandmaison. Il y a en France plusieurs millions d’héritiers de l’émigration coloniale et postcoloniale, qu’ils soient français, algériens, ou nationaux d’anciennes colonies. Pour beaucoup d’entre eux, ce passé colonial a parfois gravement et durablement affecté leur histoire personnelle et familiale. L’une des façons de rendre justice aux victimes du colonialisme et à leurs descendants, c’est de reconnaître publiquement les crimes commis.

Pourquoi est-ce si difficile en France ?

Olivier Le Cour Grandmaison. Le passé colonial implique au moins trois Républiques, la 3ème, la 4ème et la 5ème, ainsi que l’ensemble des forces politiques. La droite, la SFIO et, dans certains cas, aussi la direction du PCF dont les députés ont voté, le 12 mars 1956, les pouvoirs spéciaux demandés par le socialiste Guy Mollet. Le retour sur ce passé colonial met à mal bien des mythologies nationales et partisanes.

La façon dont on traite les jeunes Noirs et Arabes en France a-t-il à voir avec ce passé colonial ?  

Olivier Le Cour Grandmaison. Y compris après 45, ceux que j’appelle les colonisés-émigrés, ont été soumis à des dispositifs répressifs d’exception. Lors de la manifestation du 14 juillet 1953, six militants du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) sont tués par la police. En octobre 1961, les Français musulmans d’Algérie de Paris et de la banlieue se voient imposer un couvre-feu raciste décidé par le préfet Maurice Papon, avec l’aval du gouvernement de Michel Debré. Les massacres qui vont suivre, les rassemblements pacifiques organisés par le FLN, témoignent là encore du recours à des violences extrêmes.

Quant aux héritiers de l’immigration coloniale et post-coloniale aujourd’hui, les jeunes des quartiers populaires plus encore, ils sont en quelque sorte l’incarnation des classes pauvres et dangereuses du XXIème siècle, contre lesquelles les violences policières que l’on sait sont couramment employées. De plus, les pratiques policières dans les quartiers populaires – contrôle au faciès réitérés, humiliations et brutalités – tendent à établir une sorte d’état d’urgence permanent qui ne dit pas son nom mais dont l’objectif est bien est d’assigner les jeunes visés à leurs quartiers.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que faire vivre cette mémoire douloureuse contribuerait à une guerre des mémoires ?

Olivier Le Cour Grandmaison. La reconnaissance des crimes coloniaux mettra enfin un terme à ce qui est vécu par les héritiers de l’émigration coloniale et postcoloniale comme une discrimination mémorielle et commémorielle inacceptable. Contrairement à ceux qui affirment que cela contribue à relancer je ne sais quelle guerre des mémoires, une telle reconnaissance permettra aux personnes concernées de voir leur passé singulier enfin publiquement reconnu. Relativement à ces questions, si l’on s’affranchit d’un tropisme hexagonal particulièrement aveuglant, on découvre que la France n’est pas le phare qui illumine le monde mais une bien faible lueur. La Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont tous, pour différents épisodes sanglants de leur passé colonial et conquérant, reconnu les torts terribles infligés aux populations autochtones. Parfois même, cette reconnaissance officielle s’est accompagnée de réparations financières accordées aux victimes. C’est le cas aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne dernièrement où, à la suite d’un jugement prononcé en juin 2013, les victimes mau-mau des massacres perpétrés au Kenya par les Britanniques ont eu gain de cause devant la justice.

Entretien réalisé par Ixchel Delaporte

*Auteur de L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies, Fayard, 2014

« Rendre justice aux héritiers de l’immigration coloniale » (Olivier Le Cour Grandmaison)

Partager cet article

Commenter cet article