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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Peut-on critiquer l’anticonspirationnisme? (Nicolas Lebourg)

30 Juin 2016 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Extrême-droite, #Antisémitisme et négationnisme

La dénonciation du complotisme souffre trop souvent d’un fort mépris de classe et générationnel et d’une pathologisation médicale de l’opinion.

Le quotidien Libération vient de publier une tribune critiquant l’action des pouvoirs publics contre le conspirationnisme, telle qu’elle est entreprise depuis le début d’année. Il n’est pas courant que des intellectuels viennent critiquer ce que l’on pourrait nommer l’anticonspirationnisme, et cela mérite quelque attention. Les signataires rejettent le présupposé selon lequel les lycéens seraient naïvement portés à se laisser influencer par les messages conspirationnistes disponibles sur le web. Sur le plan des principes, ils récusent l’idée que l’État use des enseignants pour délivrer un message politique. Au niveau de l’action, ils rejettent le matériel produit par l’Éducation nationale, jugé niais et contre-productif, et préconisent plutôt un usage de l’anthropologie, selon le modèle d’une expérience pédagogique menée au Lycée d’Aubervilliers. Peut-on critiquer ce qui, de prime abord, paraît une action civique nécessaire?

Démontrer à une classe que l’argument négationniste proféré par un élève relève d’un discours fallacieux est une nécessité évidente pour un enseignant. Assurer des séances spécialement dédiées à l’avance à la critique de discours catalogués comme conspirationnistes par les pouvoirs publics est une autre chose. Cela pose un problème éthique car non seulement la neutralité politique de l’enseignement primaire et secondaire est une nécessité mais c’est aussi une obligation juridique faite aux enseignants. Il est fait strictement interdiction à ceux-ci d’effectuer une quelconque propagande politique en cours.

Mais, autant les limites de l’incitation à la haine ou la violence sont assez aisément définies par notre jurisprudence (avec, là aussi, certaines dérives liberticides), autant les limites du conspirationnisme sont plus étroites. À un an d’une présidentielle qui s’annonce tumultueuse, on voit bien la difficulté: si un enseignant se mettait à vouloir démonter le discours conspirationniste qu’il prêterait à l’un des candidats, ce serait une faute professionnelle. Prenons aussi un exemple actuel: lorsque Alain Finkielkraut affirme que «l’affaire Denis Baupin» relève d’une machination multiculturaliste pour faire disparaître «l’affaire de Cologne», faudrait-il soutenir l’enseignant qui aurait décidé de déconstruire ce propos? On est bien là face à une rhétorique typique du conspirationnisme. Pourtant, les partisans de Finkielkraut hurleraient à la censure d’État et à la dictature du politiquement correct. Ceux qui détestent Finkielkraut feraient alors assaut de dénonciation du «deux poids, deux mesures». On serait, comme de coutume, réduits à une lamentable polémique.

On est bien là face à un problème de l’anticonspirationnisme: la démocratie n’est pas le règne du bien mais un système qui assure que les conflits se déroulent dans la paix civile.

Frontières ambiguës

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