Déclaration de la FIDH sur le droit de participer et à appeler au Boycott - Désinvestissement - Sanctions
La FIDH, à l’occasion de son Bureau international tenu à Paris du 25 au 27 mars 2016, a tenu à formellement reconnaître et réaffirmer le droit des personnes à participer pacifiquement et à appeler à des mesures de boycott-désinvestissement-sanctions (BDS) pour protester contre les politiques d’occupation et de discrimination du gouvernement israélien, et demande instamment aux États de respecter et de défendre les droits connexes de liberté d’expression, d’opinion, d’association et d’assemblée.
En 2005, la société civile palestinienne a appelé les personnes et les organisations de la société civile à appliquer des mesures BDS tant qu’Israël ne se conformera pas à ses obligations en vertu du droit international. Devant le manque de volonté politique d’obliger Israël à être comptable de ses obligations internationales, les militants palestiniens se sont tournés vers les actions BDS prises pour mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud et s’en sont inspirés pour faire bouger les choses. Le mouvement était donc, et est encore, une réponse politique à un manque d’action politique.
Liberté d’expression et d’opinion
Alors que le mouvement BDS prend de l’ampleur, il est de plus en plus attaqué et accusé, afin de le discréditer, de promouvoir la discrimination ou l’antisémitisme. Les attaques de ce genre ne font que s’intensifier [1].
En réponse à ces mises en cause de la légitimité du mouvement, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’opinion et d’expression, lorsqu’il s’est rendu en Israël, après les avoir analysés, a considéré que les boycotts étaient des actions « pacifiques, légitimes et acceptées sur la scène internationale », et que ces actions étaient protégées par la liberté d’expression. En tant que telles, des manifestations d’opinion critiquant le gouvernement d’Israël pour ses manquements ne relèvent pas des exceptions, limitées, à la liberté d’expression reconnues par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques [2]. Une telle acceptation internationale de boycotts est démontrée et confortée par l’existence de boycotts tout au long de l’histoire, dans le but de manifester une opposition politique ou pour promouvoir des changements politiques [3].
Aux yeux du Bureau International, le mouvement BDS vise les politiques d’occupation illégale et de discrimination à l’encontre des Palestiniens menées depuis longtemps par le gouvernement d’Israël, notamment en soutenant l’occupation et en s’en rendant complice. Dans ces conditions, des personnes doivent avoir le droit de participer pacifiquement et d’appeler à des mesures BDS pour protester contre de telles politiques. Ces droits sont tout aussi légitimes, légaux et valides que dans le cas des exemples historiques de boycotts ; il convient donc de mettre en garde contre des efforts ou des initiatives visant à restreindre les droits à la liberté d’expression, d’opinion, d’association et d’assemblée, notamment en criminalisant l’exercice de ces droits pour des raisons discriminatoires, portant notamment sur des opinions, politiques ou autres.
Il est clair que la logique des mesures BDS repose sur l’opposition à l’occupation militaire par Israël et ses politiques mises en œuvre dans les territoires palestiniens occupés. Dans ces conditions, nous exprimons notre soutien au droit de participer et à appeler à des activités BDS dès lors qu’elles sont conformes à l’interdiction du racisme et de la discrimination sous toutes ses formes, notamment pour des raisons de race, couleur, origine nationale ou sociale, langue, religion, opinion politique, sexe, identité de genre, orientation sexuelle ou handicap.
Une pratique reconnue par les Nations unies
Les sanctions économiques sont également conformes à l’esprit et aux objectifs de la Charte des Nations unies, et ont été appliquées dans de nombreuses situations, notamment par le Conseil de Sécurité. Une telle pratique est admise en droit international des droits humains, à condition que les sanctions ‘exercent une pression politique et économique sur l’élite dirigeante du pays visé pour l’amener à se conformer au droit international’, en ayant conscience de ‘leurs effets indirects, à savoir les souffrances infligées aux groupes les plus vulnérables de ce pays’, et le cas échéant en prenant des mesures pour les atténuer, comme reconnu par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies [4].
Le Bureau International souligne le soutien historique apporté dans d’autres contextes par les Nations unies et la communauté internationale aux mesures BDS, et exprime sa grave préoccupation devant la multiplication de mesures législatives nationales visant à criminaliser et à réduire au silence des militants BDS. Les droits humains universels, comme la liberté d’expression, doivent être respectés en toute impartialité ; une application partiale et partielle des normes du droit international ne fera que perpétuer le statu quo, en Israël comme en Palestine, et en d’autres zones de conflit.
Les Défenseurs des droits humains
En 2011 Israël a adopté une loi faisant de tout appel à boycott à l’encontre d’Israël un délit [5]. En réponse, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les Défenseurs des droits humains, le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et d’association, et le Rapporteur spécial sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression, ont adressé une lettre d’allégation conjointe déclarant que la loi "viole le droit à la liberté d’opinion et d’expression (…) et crée de nouvelles incitations à l’autocensure, y compris sur Internet, pour éviter des poursuites" [6].
Le Bureau international souligne que des personnes qui, de façon pacifique, appellent Israël à respecter le droit international, en ayant recours à des moyens pacifiques et en respectant les droits d’autrui, sont des défenseurs des droits humains. En tant que tels, ils doivent être protégés. Le fait de les menacer est symptomatique du rétrécissement de l’espace dévolu à la société civile, à l’échelle mondiale. Dans le cadre de l’action de la FIDH à travers l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, nous insistons sur le fait que les militants appelant, dans ces conditions, au BDS, doivent être protégés contre des lois répressives et abusives ainsi que contre d’autres pratiques étatiques.
Alors que des lois semblables sont proposées ou adoptées de par le monde, les ONG internationales de défense des droits humains doivent continuer à attirer l’attention sur les incohérences dans la politique des États à l’égard des pratiques discriminatoires et de l’occupation par Israël du territoire palestinien, et sans équivoque défendre le droit des personnes, des organisations de la société civile et des entreprises de soutenir pacifiquement les mesures BDS ; elles doivent en outre rappeler l’obligation des États, des entreprises et des autres organes de la société de s’abstenir de soutenir la l’occupation du des territoires palestiniens occupés, ainsi que les pratiques discriminatoires mises en œuvre, et de s’y opposer.
Notes
[1] Par exemple, lors de la conférence anti-BDS tenue récemment, le ministre du Renseignement, Yisrael Katz, a déclaré qu’Israël devrait procéder à des « éliminations ciblées de BDS » http://972mag.com/in-israel-bds-is-winning/118198/
[2] Déclaration du Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression au terme de sa visite en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés, le 18 décembre 2011, consultable sur : https://unispal.un.org/DPA/DPR/unispal.nsf/0/67C53F54894114298525796C0056DED2#sthash.lngaSXF5.dpuf
[3] Par exemple le mouvement anticolonialiste Swadeshi, le mouvement des droits civils aux États-Unis et les actions anti-apartheid en Afrique du Sud
[4] Observation Générale 8, Relation entre les sanctions économiques et le respect des droits économiques, sociaux et culturels, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 12/12/97. E/C.12/1997/8, paragraphe 4
[5] Décision confirmée par la Cour Suprême dans sa décision d’avril 2015 sur cette loi, par laquelle elle n’a pas défendu la liberté d’expression
[6] Rapport du Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, 11 juin 2012, A/HRC/20/17/Add.2, paras. 32-33, 34, consultable sur : http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session20/A-HRC-20-17-Add2_en.pdf
Commenter cet article