Mémoire des luttes : la marche de 1983 (Youcef Sekimi)
30 Août 2015 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #FUIQP, #Racisme
J’ai rejoint la Marche à Feyzin par un concours de circonstances. Je n’ai eu pas le même itinéraire que mon collègue Farid. Outre qu’il est resté algérien, et que je suis français,. j’étais loin d’avoir le même parcours militant que lui quand j’ai rejoint la Marche !
Je parlais de concours de circonstances : pour moi le point de départ, c’est un problème qui s’est passé dans le quartier : le frère de mon ami a été canardé par son voisin avec un fusil 22 long rifle. Il a eu la chance de n’être que blessé au niveau de la jambe et de s’en sortir. Lorsqu’il a voulu aller porter plainte au commissariat, on l’a mis dehors en prétextant qu’il n’était qu’un délinquant et qu’il n’avait pas à porter plainte.
C’était tout près d’ici, à Firminy, dans la vallée de l’Ondaine, une vallée industrielle ou plutôt anciennement industrielle puisque tout a été démantelé. Une grosse entreprise –Creusot-Loire- était implantée là et autour d’elle les cités bien évidemment.
Ne pas attendre d’être touché pour réagir
Comme c’est aujourd’hui encore le cas pour les violences policières et les crimes sécuritaires, il faut être touché pour pouvoir réagir. Il faut chaque fois être mis dans de pareilles situations aussi dramatiques pour s’engager dans le militantisme antiraciste et cela a été mon cas.
Fait du hasard, deux jours plus tard, dans un local, on a vu une affiche : une charentaise et une babouche se côtoyaient; marchant ensemble, son intitulé « Marche pour l’Egalité et contre le Racisme ». Ca nous a parlé directement .
Cette marche passait à Feyzin, on y est allés et on a rencontré les jeunes des Minguettes : Toumi, Djamel et bien entendu Farid. Immédiatement, on s’est sentis mobilisés pour marcher, d’abord de Feyzin aux Minguettes. On a rencontré beaucoup de jeunes comme nous, on a discuté et lorsqu’on a senti que les gens étaient tous concernés par ce problème énorme du racisme et des crimes racistes, que beaucoup étaient motivés pour aller jusqu’à Paris, avec le copain de Firminy qui m’accompagnait, on a décidé de continuer. Cela nous concernait, il fallait qu’on soit solidaires, et que l’on apporte notre pierre à ce mouvement-là.
C’était une aventure pas évidente, et parfois même difficile surtout lorsqu’en milieu de chemin, vous apprenez qu’un crime raciste[1] a encore été commis alors même que justement vous marchez pour les dénoncer, difficile parfois aussi lorsqu’il faut convaincre et attirer le maximum de sympathie de la part de Français qui ne se sentaient pas concernés ou qui n’étaient pas au courant.
Changer notre image.
Dans les années 80, comme le dit Farid, le jeune immigré n’est connu qu’au travers des faits relatés par la presse et la télé et de l’image qui est donnée de lui
. Notre parcours, c’était les petites villes et les villages où l’on ne nous connaissait pas et nous, on se présentait et on disait : « Voilà ce qu’on est, on a deux pieds, deux jambes, on parle, on mange… et on a aussi un cerveau. Et on voudrait bien avoir les mêmes droits que vous ! »
A vrai dire, c’était l’égalité des droits qui nous intéressait et nous motivait : j’estime que quand on a les mêmes droits, dès ce moment-là toutes les barrières tombent, et on a tout gagné.
[1] Habib Grimzi, passager du Bordeaux-Vintimille défenestré par des candidats à la Légion , le 14 novembre 1983
On est allés à la rencontre des gens. Ils étaient très accueillants dans l’ensemble, c’était une véritable découverte des deux côtés : nous, on découvrait des Français et ça nous sortait de nos banlieues, des paysans avec qui on n’avait forcément pas le même mode de vie. Il y a eu vraiment une rencontre tout à fait formidable.
A Grenoble, des milliers de personnes de toutes origines, les associations marocaines, tunisiennes, turques, espagnoles avec leurs banderoles, nous attendaient. Cela faisait vraiment chaud au cœur et cela nous aidait pour continuer le combat.
Un combat confisqué
Notre combat a été quelque peu détourné, je dirais même volé –et ça s’est décidé en haut lieu : le gouvernement avait décidé de s’accaparer le mouvement, - d’ailleurs au milieu de la Marche, on voyait la protection policière et les RG.
Nous étions pour la plupart des novices en politique puisque pour la plupart, nous n’avions aucune expérience associative ou politique. En ce sens la récupération n’a pas été trop difficile et dès lors des gens extérieurs ont pu penser pour nous, je dirais même à notre place. Ils ont pu et su imposer leur slogan paternaliste « Touche pas à mon pote ! » Ce qui signifie clairement que c’est moi qui suis le pote et que c’est lui qui me défend. Et nous qui avions marché pour l’Egalité … !
Cela nous a rendus amers, on a été dépossédés de notre mouvement. En tout cas, c’est une opinion qui est partagée par beaucoup d’entre nous. De l’amertume, on en a eu, c’est vrai, mais nous, ceux qui sont restés militants, n’oublions pas ce que la Marche nous a apporté et que notre formation s’est faite à l’occasion de la Marche.
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