Chibanis et Chibanias (Nacer El Idrissi)
Nous voilà bientôt deux ans (2 juillet 2013) après la remise du rapport de la mission d’information sur les immigrés âgés, le bien nommé « Une vieillesse digne pour les immigrés âgés : un défi à relever en urgence »… Pour la dignité, il y a beaucoup à faire et tout à conquérir ; quant à l’urgence, il n’y a plus de temps à attendre !
Cette mission parlementaire, nous l’avons réclamée, nous l’avons revendiquée, nous l’avons exigée, et nous l’avons finalement obtenue suite aux différentes mobilisations, aux luttes des chibani-a-s, à celles des associations et militants héritiers de l’immigration ainsi qu’aux combats des collectifs des droits de l’homme et de soutien aux immigré-e-s.
Cette mission a accompli un travail correct et important de diagnostic partagé, avec audition de l’essentiel des personnes, associations, institutions, et chercheurs et bien sûr des premiers concernés, les chibani-a-s.
Pour notre part, nous avons été auditionnés par cette mission et avons exposé nos points de vue et nos revendications sur la question des vieux migrants. Nous n’allons pas revenir sur les détails des travaux de cette mission, ni sur les modalités d’adoption, ni sur les recommandations (recherche des consensus, vote à l’unanimité des présents, omission volontaire des droits de vote des étrangers pour ne pas braquer des élus de droite…).
La partie diagnostic et état des lieux, nous en partageons l’essentiel, nos réserves, voire nos critiques concernent les 82 recommandations.
Nous allons donc essayer de dresser un bilan, un état actuel de la situation des chibani-a-s et enfin un état des lieux des luttes et des mobilisations. Parmi les 82 propositions, on trouve un peu de tout, des vœux pieux, des redondances, il n’y a rien de chiffré, rien de contraignant, ni rien qui permette de mettre fin à des injustices, des pratiques dont souffrent les migrants âgés. Nous connaissons parfaitement leurs limites : les propositions commencent toujours par des verbes, promouvoir, envisager, réfléchir, encourager, inviter, établir, améliorer, veiller, etc.
Le rapport dans ses recommandations reprend en partie les revendications des chibani-a-s et de leurs soutiens. La plupart de ces propositions relèvent de textes réglementaires, de circulaires internes, leur adoption ou adaptation, ne nécessite pas de texte de lois, ni de recours aux législateurs (délai pour l’ASPA, code de sécurité propre, réorganisation d’ADOMA, texte CARSAT…).
Lors de la remise du rapport le 3 juillet, le rapporteur (Alexis Bacheley, très engagé sur la question et prêchant seul dans le désert de sa majorité) ainsi que le président (Denis Jacquat, caution gaulliste et garant du consensus) se sont engagés à créer un comité de suivi, à le mettre en place et profiter de chaque texte discuté ou soumis au Parlement pour introduire et légiférer sur les recommandations du rapport.
Un bilan amer
Aujourd’hui, le bilan est amer, aucun texte de loi, ni de propositions en perspective. En 2 ans sur 82 propositions, seules deux ont été mises en place. Elles n’impactent en rien, ni n’infléchissent en rien les injustices frappant les chibani-a-s, elles ne mettent pas fin, ni n’atténuent leur calvaire.
La première concerne la loi Borloo, texte en souffrance depuis des années dont les décrets d’applications n’ont jamais été publiés. Il s’agit de la contractualisation de l’aller- retour, une mesure qui ne concerne qu’une partie des chibani-a-s, en outre, ce texte reflète des réalités de 2007 qui ne sont plus celles d’aujourd’hui.
La seconde recommandation mise en place relève du symbolique, il s’agit de l’assouplissement des conditions d’acquisition de la nationalité française qui demeurent encore trop rigides de notre point de vue (25 ans de présence ascendante française...). L’accès à la nationalité française pour ceux qui le souhaitent ne change, ni ne bouleverse en rien la précarité administrative et les conditions de vie difficile des chibani-a-s. Les personnes âgées issues de l’immigration, françaises ou pas, subissent les mêmes traitements et tracasseries.
Aucun texte de loi, ni amendement, ni proposition n’ont été discutés, ni soumis au Parlement, que ce soit à l’occasion de discussions de budgets, ni à l’occasion de discussions de lois rectificatives du budget de la Sécurité sociale, pas même sur le vieillissement ; rien n’est prévu dans le texte Cazeneuve sur la énième loi sur l’immigration. Aucune circulaire n’est à l’ordre du jour. Aucun changement, ni adaptation ne sont envisagés.
Coté pouvoirs publics, ce ne sont que des bonnes intentions sans lendemain, aucune politique publique volontariste n’est mise en oeuvre. Nous craignons la politique de la montre et du pourrissement, tablant sur une dévitalisation des luttes et cyniquement sur la disparition physique des concernés.
Cependant, nous nous réjouissons de l’émergence de ces problématiques sur la place publique et de l’importance des mobilisations et des prises des consciences sur la question des chibani-a-s. Nos luttes sont anciennes, les combats de nos anciens ne datent pas d’aujourd’hui, ils n’ont jamais courbé l’échine, toujours dignes malgré toutes les vaines tentatives d’assignation à l’invisibilité.
Nous revendiquons ces héritages
Nous nous inscrivons dans ces héritages, nous perpétuons les luttes et continuons les actions pour la justice et la dignité des chibani-a-s.
Si la mission parlementaire a permis d’installer le débat au niveau institutionnel, elle a également permis l’émergence d’autres formes d’aide et de soutien aux personnes migrantes âgées. Les initiatives sont nombreuses et diverses, on trouve de nouveaux lieux de sociabilité, des café sociaux et solidaires, des collectifs de soutien, des lieux-ressources.
D’autres expressions se sont fait jour (documentaires, pièces de théâtres, expositions, recherches, productions littéraires…). Aujourd’hui, personne ne peut prétendre ne pas savoir, : nos revendications sont claires, le débat est public, les acteurs sont visibles.
On n’humanise pas une injustice, on la supprime !
Nous avons constaté certaines inflexions et changements d’attitudes de la part des administrations (moins de contrôles, CARSAT, CAF, une diminution des poursuites, souplesse préfectorale), mais cela reste conjoncturel et ne présage en rien un changement durable de ces institutions. En l’absence de textes de loi, de réglementation claire, la crainte est qu’une fois la pression retombée, les vieilles pratiques reviennent et avec elles les mauvaises habitudes .
Les poursuites restent toujours d’actualité, les contrôles sont toujours en cours, une des causes de la précarité des chibani-a-s réside dans ces contrôles qui empêchent les aller- retours aux pays d’origine. La mission parlementaire recommandait de les humaniser et de les encadrer mais on n’humanise pas une injustice, ni on ne l’encadre, on la supprime, c’est tout !.
L’ATMF et ses réseaux -ou au sein du collectif « justice et dignité pour les chibani-a-s »- continuent les luttes et les mobilisations pour que toutes les revendications soient prises en compte et satisfaites (voir le texte justice et dignité pour les chibani-a-s).
Récemment nous avons apporté notre soutien aux luttes des chibani-a-s du Faubourg Saint Antoine à Paris et actuellement à celles de Gennevilliers. Au quotidien, nous accompagnons et accueillons des anciens dans leurs démarches juridiques et socio administratives.
Enfin quand il le faut nous continuons à interpeller et dénoncer l’indifférence des pays d’origine voire leur complicité avec les autorités françaises et réclamons la révision voire l’abrogation des accords bilatéraux très opaques et souvent défavorables aux immigrants en général et aux chibani-a-s en particulier.□
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Cinquièmes rencontres nationales des luttes des immigrations Saint-Étienne 18 et 19 avril 2015 Interventions Débats Document réalisé de façon militante par des sympathisants du FUIQP Ce dossi...
http://www.reperes-antiracistes.org/5emes-rencontres-nationales-des-luttes-des-immigrations.html
Compte-rendu intégral. Transcription YM et AV
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