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Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale

Sur l'islamophobie sondagière (Renaud Cornand)

8 Février 2013 , Rédigé par Repères anti-racistes Publié dans #Islamophobie

mucchielliLes résultats de l’enquête IPSOS/CGI business consulting « France 2013 les nouvelles fractures » pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et le Cevipof sont à bien des égards inquiétants concernant la stabilisation dans les représentations majoritaires d’une catégorie de français stigmatisés : les « musulmans » (1). Ce phénomène a été largement repris par les médias feignant de s’étonner de l’évolution de l’islamophobie en France (2). Loin de minimiser les conséquences politiques de ce phénomène, il est nécessaire de regarder plus largement les résultats de l'étude. Sans prétendre fournir une analyse exhaustive des résultats de l'enquête ou de leur condition de production, ce texte propose quelques réflexions mettant en garde sur les effets sociaux d'enquêtes mal construites comme de leur utilisation journalistique.

Les français « préoccupés » prioritairement par « l'immigration » ou « l'intégrisme religieux » sont très minoritaires

Ce résultat peut sembler paradoxal au vu des constats introductifs, il n'en reste pas moins incontestable. Le premier tableau du travail de restitution de l'enquête en offre une démonstration sans ambiguïté. Il s'agissait de demander aux enquêtés de choisir parmi treize thèmes cités (3) ceux qui leur semblaient les plus préoccupants aujourd’hui. D'un point de vue méthodologique, une première remarque s'impose : la liste des thèmes est choisie par les enquêteurs et non les enquêtés ; elle est donc le produit des représentations des enquêteurs concernant les opinions des enquêtés, d'une théorie sociale provisoire qui demande à être vérifiée empiriquement. Or cette théorie sociale provisoire ne s'impose en rien par évidence : on sait les sondages construits par ce qu'ils demandent et la façon dont ils le demandent mais aussi par l'ensemble de ce qu'ils ne demandent pas. On aurait ainsi pu imaginer allonger la liste d'une multitude de thèmes supposés participer des préoccupations des français : en ces temps de défilés homophobes contre le mariage pour tous, on aurait pas été étonné de trouver dans cette liste « la progression de l'homophobie en France » comme on aurait pu y trouver la question des violences faites aux femmes ou l'évolution du racisme. Il faut par ailleurs noter que l'augmentation des possibilités de choix aurait fait baisser la probabilité pour chaque thème de trouver sa place dans le tiercé vainqueur.
Mais une subtilité de la question renforce l'enquêté dans la conviction selon laquelle lorsqu'il répond il produit sa propre vision du social, et renforce dans le même temps la conviction des lecteurs de la restitution de l'enquête que les résultats présentés sont des données représentant fidèlement les perceptions spontanées des interviewés : l'utilisation de la formule « selon vous ». Cet usage est une technique bien connue de la recherche en sciences sociales : lorsqu'une question utilise ce type de formulation, l'enquêté est conforté dans l'idée qu'il est à même d'avoir un avis sur la question, qu'il est légitime pour se prononcer. Ici, il est légitime pour se prononcer à travers l'opération de choix dans une liste pré-construite : l'opinion qui devient sienne est le résultat d'une pré-sélection qui lui a tout à fait échappé.
Une fois mis en lumières ces difficultés méthodologiques dont s’embarrassent bien rarement les sondeurs, revenons aux résultats. Avec donc la possibilité pour chaque enquêté de choisir parmi les thèmes proposés ceux qui leur semblaient les plus préoccupants, c'est le chômage qui arrive en tête avec 56% de répondants, suivi par le pouvoir d'achat à 41% (4). Les principales préoccupations exprimées par l'échantillon enquêté sont des préoccupations sociales traditionnelles. « L'intégrisme religieux » (5) n'arrive qu'à la neuvième position (17%) des répondants et « l'immigration » (6) à la dixième (16% des répondants). Seul un peu plus du sixième de l'échantillon a donc choisi au moins l'un de ces deux thèmes, et on peut supposer sans grand risque d'erreur que les effectifs de chaque modalité de réponses sont constitués majoritairement des mêmes individus de l'échantillon. Ce choix est donc largement minoritaire. On peut noter que dans le cadre d'une distribution aléatoire de l'échantillon, la probabilité de chacune des modalités d'être parmi les treize possibilités est de 3/13, soit environ 23% (7). Les effectifs réels des modalités étudiées sont donc inférieurs aux effectifs théoriques dans le cas où toutes les réponses seraient équi-probables. On retrouve par ailleurs ici les divisions politiques classiques : le score du thème « intégrisme religieux » est chez les sympathisants de gauche de 10% et celui de « l'immigration » de 4% ; du côté des sympathisants UMP « l'intégrisme religieux » est choisi par 21% des répondants et « l'immigration » par 23% ; enfin chez les sympathisants FN 29% optent pour « l'intégrisme religieux » et 55% pour « l'immigration ». Il n'y a là rien de très étonnant, au sortir notamment de la campagne pour l'élection du président de l'UMP qui a donné lieu à un déversement islamophobe quasi-permanent du côté de Jean-François Copé (8).
On est donc bien loin du constat d'une évolution de l'opinion française qui considérerait uniformément comme des thèmes prioritairement préoccupants les question d' « intégrisme religieux » et d' « immigration ».

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